Source: The Conversation – in French – By Diane-Gabrielle Tremblay, Professeure à l’Université TELUQ, Université du Québec, directrice de l’ARUC sur la gestion des âges et des temps sociaux et de la Chaire de recherche du Canada sur l’économie du savoir, Université TÉLUQ

Plusieurs organisations affirment subir des pénuries de main-d’œuvre, mais quelles sont leurs pratiques de gestion et quels leviers pourraient-elles mettre en place pour conserver leur main-d’œuvre expérimentée ?
En 2022, j’ai réalisé deux études pour le compte du Comité consultatif des travailleurs et travailleuses âgés de 45 ans ou plus, une organisation composée d’entreprises et de syndicats situés au Québec. Une de ces enquêtes a été effectuée auprès d’un bassin de main-d’œuvre. Nous avons sondé plus de 2000 Québécois et Québécoises âgés de 50 à 75 ans, qu’ils soient actifs sur le marché du travail ou à la retraite, afin de connaître leurs aspirations professionnelles et les obstacles auxquels ils ont fait dans leur carrière.
Cet article fait partie de notre série La Révolution grise. La Conversation vous propose d’analyser sous toutes ses facettes l’impact du vieillissement de l’imposante cohorte des boomers sur notre société, qu’ils transforment depuis leur venue au monde. Manières de se loger, de travailler, de consommer la culture, de s’alimenter, de voyager, de se soigner, de vivre… découvrez avec nous les bouleversements en cours, et à venir.
La deuxième enquête a été effectuée auprès de 279 organisations privées, publiques et sans but lucratif. Elle s’est penchée sur la manière dont ces organisations gèrent leurs employés expérimentés.
Premier constat : la gestion du vieillissement n’est pas bien abordée par les entreprises. En effet, seulement 37 % d’entre elles ont mis en place des mesures favorisant le maintien en emploi des personnes âgées de 50 ans et plus.
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Dans le secteur privé, ce chiffre est de 46 %, mais seulement 24 % dans le secteur public.
Les travailleurs âgés font toujours face à des préjugés. Plusieurs entreprises les licencient ou ne les incitent pas à rester.
Elles ne leur offrent plus de formation ni de projets ou de mandats intéressants et ne les invitent pas à encadrer les plus jeunes ou les nouveaux. Or, le mentorat peut inciter à rester en emploi et donner du sens au travail.
Les biais ou préjugés contre ce groupe d’âge concernent la capacité de trouver des solutions ou des innovations, ainsi que la maîtrise des nouvelles technologies. Toutefois, les entreprises reconnaissent le savoir-faire et l’engagement des travailleurs d’expérience, notamment en ce qui concerne les relations avec la clientèle.
Une personne sur deux disposée à prolonger sa carrière
Dans notre sondage effectué auprès des employés, 26 % des répondants retraités ont indiqué qu’ils avaient prolongé leur carrière.
Un cinquième aurait aimé le faire si cela avait été possible, mais la moitié n’avait aucun intérêt à rester en emploi, ce qui pose déjà une limite et confirme que l’allongement de la carrière ne peut constituer la solution unique à la pénurie de personnel.
C’est tout de même une option pertinente, puisque la moitié de la main-d’œuvre est intéressée. Mais il existe des obstacles.
La culture de la retraite commence à reculer dans certains secteurs, puisque l’âge moyen de la retraite au Québec a augmenté dans les dernières années. Mais la Covid a eu des effets inverses dans certains secteurs, où les risques de santé et de contagion sont plus importants pour les personnes âgées.
Les obstacles, comme les incitatifs à quitter ou à rester en emploi varient selon le secteur : le privé, le public, ou un OSBL.
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Quels sont les facteurs qui poussent les personnes vieillissantes à ne pas envisager de prolonger leur carrière ? Dans 30 % des cas, il s’agit de projets de voyage ou de bénévolat. Dans 21 % des cas, c’est la retraite de leur conjoint ou conjointe qui entre en jeu. Dans 12 % des cas, les employés — surtout des femmes — prennent leur retraite pour s’occuper des petits-enfants ou d’un proche.
Les réalités familiales interviennent pour les femmes (conjoint, petits enfants…), mais aussi le bénévolat. Ces activités contribuent à la construction de l’identité, que le travail ne permet peut-être plus, ou pas toujours.
Nos résultats révèlent que 38 % des répondants ne veulent plus travailler, dont 6 % qui ne supportent plus leur emploi.
Les obstacles au maintien en emploi
Notre enquête auprès de la main-d’œuvre montre que 37 % des répondants en emploi ont eu la possibilité de prendre une préretraite, ce qui incite à quitter l’emploi plus tôt, avec des conditions avantageuses.
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Pour 42 %, les répondants affirment qu’il était financièrement possible de prendre leur retraite. 38 % évoquent des motifs personnels, 36 % la surcharge et la fatigue, 28 % la charge mentale trop lourde, et 26 % indiquent des problèmes de santé.
Les femmes ont été plus nombreuses que les hommes à évoquer une charge mentale trop lourde (34 % contre 22 % chez les hommes) pour justifier leur décision. Elles ont aussi été plus nombreuses à invoquer la prise de retraite par le conjoint (20 % contre 8 %), la santé d’un membre de la famille (12 % contre 6 %) et la pandémie de Covid-19 (9 % contre 4 %).
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Les mesures pour le maintien en emploi
D’après les conclusions, ce qui motiverait le plus la main-d’œuvre à rester en poste serait une retraite progressive sans obligation de départ (54 %).
En deuxième position, on trouve l’opportunité de quitter la vie active et de continuer à travailler pour l’entreprise en tant que travailleur autonome (52 %).
Enfin, la possibilité de prendre sa retraite et de reprendre un emploi similaire ou différent, à temps plein ou partiel, arrive en troisième position (46 %).
En outre, 45 % des répondants évoquent l’option de prendre leur retraite et de faire partie d’une banque d’experts consultables à la demande.
En ce qui concerne l’organisation du travail, c’est la transmission de compétences et de connaissances, ou de « savoir-faire », qui incite le plus les travailleurs à demeurer en poste (55 %).
L’adaptation ou la réduction de la charge physique de travail vient en deuxième place avec 45 %, puis l’exercice d’un rôle de formateur ou d’encadrement (44 %).
Il serait également souhaitable de pouvoir suivre des formations ou des ateliers de perfectionnement après 50 ans (42 %), d’ajuster le temps consacré à une tâche donnée (40 %) et de diminuer ou d’adapter la charge mentale au travail (39 %). Par charge mentale, nous entendons l’intensification du travail relié à la planification, la recherche de données, la rédaction, etc.
Agir sur l’organisation du travail
Les entreprises ne peuvent pas lutter contre les facteurs personnels ou familiaux, mais elles peuvent agir sur l’organisation du travail pour réduire la charge physique et mentale. Elles peuvent aussi développer diverses formes de réduction du temps de travail, telles qu’une semaine de quatre jours ou des vacances plus longues. Elles peuvent également offrir des horaires flexibles, des banques d’heures ou la possibilité de répartir et de faire varier les heures de travail sur une année.
Il est intéressant de noter que d’autres groupes d’employés souhaitent également des ajustements dans leur horaire de travail pour des raisons variées : les jeunes pour étudier, faire du sport ou voyager, les parents pour concilier travail et famille, et les plus âgés pour s’adonner à d’autres activités, parfois des voyages, du bénévolat ou du sport.
L’organisation peut donc offrir les mêmes mesures à tous, évitant ainsi les allégations de favoritisme en fonction de l’âge. De plus, elle pourrait accorder une plus grande reconnaissance, confier des missions stimulantes et insuffler un véritable sens au travail aux travailleurs expérimentés, ce qui fait souvent défaut dans de nombreux milieux.
Seules de telles mesures permettront aux organisations de retenir leur main-d’œuvre plus âgée. Depuis quelques années, nous présentons les résultats de ces études aux entreprises pour qu’elles changent leurs pratiques. De plus, l’état devrait envisager de mettre en place des programmes visant à faciliter l’implantation de telles mesures favorisant le maintien en poste.
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Diane-Gabrielle Tremblay a reçu des financements du gouvernement du Québec.
– ref. Garder son personnel vieillissant en emploi ? C’est faisable… à condition d’être plus flexible – https://theconversation.com/garder-son-personnel-vieillissant-en-emploi-cest-faisable-a-condition-detre-plus-flexible-244904
