Source: The Conversation – France in French (3) – By Karine Gallopel-Morvan, professeur santé publique, École des hautes études en santé publique (EHESP)
Parmi les mesures qui ont fait leurs preuves pour réduire le tabagisme, figure la mise en place de lieux où il est interdit de fumer et de vapoter. C’est le cas des campus universitaires sans tabac. Alors que leur efficacité est démontrée à l’international, ils restent peu développés en France. On fait le point à l’occasion du Mois sans tabac.
D’après les chiffres de Santé publique France, en 2024, 25 % des Français âgés de 18 à 75 ans déclaraient fumer occasionnellement ou régulièrement, dont 18,2 % quotidiennement. Chez les plus jeunes, 18 % des 18-29 ans sont fumeurs quotidiens (contre 29 % en 2021).
Bien que la consommation de tabac ait fortement diminué dans notre pays depuis 2016, ces chiffres restent supérieurs à ceux observés dans d’autres pays industrialisés, comme la Grande-Bretagne, le Canada ou les États-Unis (moins de 10 % à 15 % de prévalence tabagique), ou encore la Nouvelle-Zélande qui affiche seulement 6,8 % de fumeurs au quotidien chez les adultes en 2024-2025.
Tabac : des conséquences sur la santé, l’environnement et l’économie
Ce tabagisme encore élevé a des conséquences sanitaires, environnementales et économiques importantes en France. Il est en effet responsable d’environ 75 000 décès par an, soit 13 % de la mortalité totale, et est associé à un tiers des cas de cancer, ce qui en fait la première cause de mortalité évitable en France.
Par ailleurs, les mégots, composés de microplastiques et de substances toxiques, contribuent à la pollution des sols et des eaux, affectant la qualité de l’air et la chaîne alimentaire.
Enfin, le coût social annuel du tabac est estimé à 156 milliards d’euros, ce qui représente une charge importante pour la société.
Pour des lieux sans tabac, notamment des campus universitaires
Pour lutter contre le tabagisme, la Convention-cadre de lutte antitabac (CCLAT), proposée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en 2003, recommande différentes mesures probantes pour réduire la prévalence : hausses fortes et répétées des prix du tabac, aides à l’arrêt facilement disponibles pour les fumeurs, interdiction de vente de tabac aux mineurs, campagnes médias, paquet neutre, développement des lieux sans tabac, dont les campus et écoles de santé sans tabac proposés dans le Programme national de lutte contre le tabac (PNLT 2023-2027).
Ces derniers se caractérisent par une interdiction totale de fumer et de vapoter sur l’ensemble des lieux d’enseignement supérieur (intérieur et extérieur). Ils s’accompagnent d’aides à l’arrêt du tabac proposées aux usagers sur site, d’actions de communication régulières, d’ambassadeurs qui sillonnent le campus sans tabac pour aider à le faire respecter et informer sur les aides disponibles pour arrêter, d’ateliers de gestion du stress, et d’évaluations du dispositif.
En France, le développement des campus sans tabac reste très limité en comparaison avec les États-Unis, le Canada, l’Australie, la Nouvelle-Zélande où une majorité, voire tous les lieux d’enseignements supérieurs, sont sans tabac et sans vapotage.
Pourtant, une enquête réalisée par l’Observatoire national de la vie étudiante en 2024 indique que, parmi les étudiants ayant répondu au questionnaire, 16 % fument, dont 6 % quotidiennement. Ainsi si les campus sans tabac étaient développés plus massivement en France, cela pourrait contribuer à réduire le tabagisme des étudiants qui fréquentent l’enseignement supérieur.
L’impact positif des campus sans tabac
En effet, de nombreuses recherches menées sur l’effet des campus sans tabac révèlent plusieurs impacts positifs.
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Pour les fumeurs : ces espaces encouragent les étudiants et les salariés à réduire ou arrêter leur consommation, tout en favorisant le recours aux dispositifs d’aide à l’arrêt disponibles sur place. Ils limitent également l’initiation au tabac et multiplient les tentatives d’arrêt.
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Pour la communauté : les campus sans tabac sont bien acceptés, y compris par les fumeurs. Ils contribuent à dénormaliser le tabagisme, améliorent la connaissance des risques liés au tabac et réduisent les croyances favorables à son usage.
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Pour l’environnement : ces dispositifs sont favorables à l’environnement car ils améliorent la pollution liée aux mégots, diminuent l’exposition à la fumée passive (à l’entrée des bâtiments) et réduisent les coûts de nettoyage des lieux dans l’enseignement supérieur. Ils s’inscrivent aussi dans une démarche de développement durable pour les universités.
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Pour la société : en réduisant la visibilité du tabac, les lieux d’enseignement supérieur deviennent des modèles en matière de promotion de la santé, participant ainsi à changer l’image de ce produit.
Des initiatives limitées dans l’enseignement supérieur français
À notre connaissance, l’École des hautes études en santé publique (EHESP) a été le premier lieu d’enseignement supérieur en France à mettre en place un campus sans tabac le 31 mai 2018. Une vingtaine se sont lancés depuis, en particulier les facultés de médecine/campus santé (Rennes, Reims, Lille, Brest, Bordeaux, Clermond-Ferrand, Dijon entre autres) dont les doyens se sont montrés motivés par l’initiative.
Au-delà des objectifs décrits précédemment, l’EHESP a également développé son campus sans tabac pour sensibiliser et motiver les futurs managers des établissements sanitaires et médico-sociaux que l’école forme à mettre en place, dans leurs futurs lieux d’exercice professionnel, des hôpitaux et des Ehpad sans tabac.
Les évaluations du campus sans tabac de l’EHESP montrent que c’est un dispositif qui fonctionne et qui est bien accueilli par les étudiants. Ainsi un sondage réalisé entre 2018 et 2025 à chaque rentrée universitaire (n = 2 532 étudiants, taux de réponse de près de 57 %) indique que son acceptabilité est très forte : 96,7 % des étudiants y sont favorables, dont 91,4 % de fumeurs (-article en cours de soumission- K. Gallopel-Morvan, E. Gnonlonfin, J. Raude, J. Hoek, N. Sirven, « Breaking new ground in tobacco control : Student reactions to France’s first smoke-Free campus », BMC Public Health).
Les raisons évoquées de ce soutien des usagers apprenants sont la cohérence du campus sans tabac avec les missions d’une école de santé publique, la protection contre la fumée du tabac et l’incitation à arrêter de fumer. Il est intéressant de souligner que ce soutien a augmenté significativement entre 2018 et 2025, certainement un effet de la baisse de la consommation, notamment chez les jeunes, et de la dénormalisation du tabac dans notre société.
Des outils pratiques fondés sur l’évidence scientifique pour accompagner les établissements post-bac
Forte de son expérience des campus sans tabac, l’EHESP a lancé différentes initiatives pour aider à les faire connaître et les déployer en France :
- Le programme national PRODEVCAMPUS (« Promouvoir et développer les campus universitaires sans tabac en France ») propose, depuis 2023, d’accompagner d’autres lieux d’enseignement supérieur dans cette démarche.
À travers un site Internet dédié (campus-sans-tabac.ehesp.fr), l’école met à disposition des outils pratiques (logos, affiches, brochures) et des formations, afin de faciliter la transition vers des campus sans tabac.
Ces ressources s’appuient sur des données scientifiques, les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé et l’expertise de l’EHESP. Le site propose une méthodologie clé en main, permettant aux établissements post-bac de gagner en efficacité et d’encourager une dynamique collective entre les écoles. Il s’adresse aussi à toute personne engagée en santé publique, souhaitant contribuer à des campus plus sains, plus propres et alignés sur le Programme national de lutte contre le tabac 2023-2027.
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La signature de conventions en 2025 avec la Conférence des grandes écoles et France Universités pour inviter leurs membres à mettre en place des campus sans tabac.
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L’encadrement de deux doctorats sur ce sujet afin d’asseoir le dispositif sur la recherche, ce qui a donné lieu à deux thèses : celle de Diane Geindreau sur “Le rôle des leaders d’opinion dans la dénormalisation du tabac en France : application aux campus sans tabac et aux hausses de taxes” (financement INCa) et celle d’Étienne Gnonfonlin, dont la soutenance est à venir en décembre 2025, sur l’”Évaluation des politiques de campus sans tabac : analyse de leurs effets et des processus sous-jacents influençant les connaissances, attitudes et comportements des usagers face au tabagisme” (financement Ligue nationale contre le cancer).
Le programme de recherche PRODEVCAMPUS (Promouvoir et développer les campus sans tabac en France) est financé par l’Institut national du cancer (INCa/16312), la Ligue nationale contre le cancer, l’ARS Bretagne et le Fonds de lutte contre les addictions.
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Karine Gallopel-Morvan a reçu des financements de l’INCa, l’IRESP, JApreventNCDs, le Fonds de lutte contre les addictions, la Ligue contre le cancer, Ramsay fondation et l’ARS Bretagne.
– ref. Sans tabac, les campus universitaires respirent mieux, mais les initiatives restent limitées en France – https://theconversation.com/sans-tabac-les-campus-universitaires-respirent-mieux-mais-les-initiatives-restent-limitees-en-france-269830
