Comment Téhéran a transformé une défaite militaire en victoire symbolique

Source: The Conversation – in French – By Hanieh ZIaei, Politologue spécialiste du monde iranien et chercheuse en résidence au CÉRIUM, Université de Montréal

La guerre des douze jours, qui a opposé Israël à la République islamique d’Iran en juin dernier, n’était pas seulement un conflit militaire limité ou une opération dite « ciblée ». Elle a surtout servi de levier de propagande pour Téhéran.

Le conflit a éclaté dans la nuit du 12 au 13 juin, lorsque des frappes israéliennes coordonnées ont surpris Téhéran en visant plusieurs sites militaires, nucléaires et scientifiques. La rapidité et la précision de l’opération ont marqué les observateurs internationaux, avant que la République islamique d’Iran ne réplique par des missiles et des drones, et qu’un cessez-le-feu fragile soit instauré le 24 juin.

Sous l’ancien régime iranien, Israël était considéré comme un allié stratégique. Depuis la révolution islamique de 1979, l’État hébreu n’a jamais été reconnu et a été qualifié de « petit Satan » par l’ayatollah Khomeini. L’Iran considère la création d’Israël comme un acte de colonialisme sur une terre musulmane ; depuis lors, le discours officiel nie la légitimité de cet État en terre d’islam.

En tant que politologue chercheure en résidence au CÉRIUM de l’Université de Montréal, de même que chercheure associée à l’Observatoire sur le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord à la chaire Raoul-Dandurand (UQAM), je m’intéresse à l’histoire, la politique et la société de l’Iran contemporain.




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La guerre comme levier de propagande

Ce conflit a offert au régime iranien une occasion de réactiver et de remodeler sa propagande idéologico-politique, en alliant posture victimaire et exaltation d’une fierté nationale puisée dans la mémoire historique et préislamique du pays. Dès le déclenchement des hostilités, les autorités ont adopté un double récit : celui de la victime agressée par Israël et les États-Unis, ses deux ennemis historiques, et celui du gardien de l’intégrité nationale.

Cette stratégie s’inscrit dans une continuité : depuis 1979, la République islamique a toujours instrumentalisé les conflits extérieurs pour consolider sa légitimité interne et revitaliser un discours religieux en perte de souffle.

Dans les médias d’État, Israël est dépeint comme l’agresseur violant le droit international, alors que l’Iran s’est lui-même affranchi de ces normes à plusieurs reprises, notamment lors de la prise d’otages à l’ambassade américaine en 1979 et le non-respect de conventions internationales telles que la Convention de Genève.

Cette rhétorique d’inversion morale renforce l’image d’un Iran « assiégé mais résistant ». Les civils et les sites nucléaires frappés deviennent des symboles de courage et moins de martyre. Le régime reconnaît les dégâts matériels, mais transforme la survie nationale en victoire symbolique : Israël et les États-Unis ont frappé, mais l’Iran, « grande nation résistante », est resté debout.

Fait significatif, le Guide suprême ne parle plus seulement de la « République islamique », mais de l’Iran en tant que civilisation millénaire. Le vocabulaire change : les références à la grandeur perse, aux symboles préislamiques et à la continuité historique du pays remplacent progressivement les slogans religieux. Cette mutation révèle une stratégie claire : nourrir la fibre nationaliste face à l’épuisement idéologique du discours théologique après plus de quatre décennies.

La guerre a également permis au régime de justifier une intensification de la répression intérieure, sous couvert de sécurité nationale. L’arrestation de prétendus « espions » ou « agents sionistes » est présentée non comme une faiblesse sécuritaire, mais comme la preuve de la puissance de l’ennemi et du courage iranien face à lui. Cette rhétorique de l’espionnage, déjà utilisée depuis la révolution de 1979, est amplifiée : toute forme de dissidence devient trahison et peut être condamnée à mort, transformant la peur en outil de contrôle interne.

La cause palestinienne comme vitrine extérieure

La propagande de la République islamique ne se limite pas à un usage interne : elle vise également à mobiliser l’opinion publique arabe et internationale. Lors de l’Assemblée générale des Nations unies en septembre 2025, le président iranien, Masoud Pezeshkian, a affirmé que la République islamique d’Iran se positionne comme le défenseur du peuple palestinien et le soutien stratégique du Hamas.

Le régime cherche ainsi à présenter sa politique étrangère comme légitime, humanitaire et anticoloniale. Cette narration s’inscrit dans la consolidation de l’« axe de la résistance », une alliance politico-militaire regroupant le Hezbollah au Liban, les Houthis au Yémen et plusieurs groupes palestiniens, tous unis par l’opposition à Israël et à l’influence américaine au Moyen-Orient.

En s’érigeant en chef de file de cette coalition, la République islamique renforce son poids régional, séduit certains mouvements de gauche internationaux et justifie son soutien matériel et financier au Hamas, notamment depuis les attaques du 7 octobre 2023, présentées comme une prolongation des luttes anticoloniales.

Malgré les pertes subies, le conflit a offert au régime un levier idéologique majeur. Il permet de resserrer le contrôle interne, de réactiver le nationalisme, et de se présenter comme un rempart face aux menaces extérieures. La peur devient un ciment social ; la résistance, un impératif moral. Ce faisant, la guerre ravive une légitimité fragilisée et offre au pouvoir un récit héroïque : celui d’une nation assiégée mais indestructible.

Israël, les États-Unis et la logique de la survie hégémonique

Du côté israélien, la guerre est présentée comme un impératif de sécurité nationale : protéger les citoyens et neutraliser les menaces balistiques iraniennes légitime, selon Israël, les frappes contre Téhéran. Pourtant, cette logique de survie crée un paradoxe : elle nourrit un cycle de représailles sans fin, accélère la course à l’armement et accentue l’instabilité régionale. La démonstration de force se transforme alors en démonstration de vulnérabilité.


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Pour Washington, ce conflit constitue également une scène de démonstration, celle de sa puissance militaire et de sa capacité de dissuasion. En rappelant sa suprématie, les États-Unis cherchent à contenir les ambitions régionales et à préserver leur rôle d’arbitre hégémonique au Moyen-Orient. Mais cette stratégie a un coût : l’espace du dialogue diplomatique s’amenuise, le droit international s’effrite, et les populations civiles deviennent les premières victimes d’un affrontement d’influences où la logique de puissance l’emporte sur celle de la paix.




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Propagande, nationalisme et légitimation

La guerre des douze jours met en lumière la centralité du nationalisme iranien comme instrument idéologique. À mesure que les symboles religieux perdent de leur pouvoir de mobilisation, le régime réactive les mythes de la grandeur perse et de la continuité civilisationnelle pour consolider l’adhésion populaire. La République islamique se redéfinit ainsi comme nation éternelle, substituant au vocabulaire religieux celui de la fierté nationale et de la résistance patriotique. Les martyrs, hier sanctifiés au nom de la foi, le sont désormais au nom de la patrie.

Cette guerre démontre que, dans la région, la force et la propagande demeurent des leviers essentiels de survie politique, mais au prix des populations civiles. Comme l’écrivait Leo Tolstoï dans Guerre et Paix, « l’histoire des peuples est écrasée par les ambitions des puissants ».

La paix véritable ne naîtra ni de la dissuasion militaire ni de la rhétorique victimaire, mais d’une diplomatie fondée sur la reconnaissance mutuelle, la justice et le respect du droit international. Tant que ces conditions ne seront pas réunies, le cycle de la violence continuera d’être instrumentalisé par des régimes qui transforment la guerre en outil de légitimation et de survie existentielle.

La Conversation Canada

Hanieh ZIaei ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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