« N’oublions pas le climat ! », ou comment maintenir l’environnement à l’agenda dans un monde en crise

Source: The Conversation – France in French (3) – By Lucile Maertens, Professeure adjointe en science politique et relations internationales, Graduate Institute – Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID)

Les efforts de lutte contre le changement climatique sont régulièrement mis au second plan quand surviennent des crises immédiates nécessitant la mobilisation de moyens importants. On l’a constaté durant la pandémie de Covid-19 et dernièrement avec la guerre en Ukraine, entre autres. Comment préserver la conscience de l’urgence climatique et maintenir les programmes visant à y faire face dans un contexte où l’urgence change sans cesse de visage ?


Cet article a été co-écrit avec Lorenzo Guadagno, consultant en innovation climatique et mobilité à l’Organisation internationale des migrations (OIM).


La COP30 qui vient de se conclure au Brésil l’a encore une fois mis en évidence : la diplomatie climatique se heurte à un contexte géopolitique saturé par les urgences et l’obstruction politique. Guerres, crises humanitaires et gouvernements hostiles à l’action climatique détournent l’attention politique et médiatique de la cause environnementale et menacent de la reléguer au second plan. Pourtant, des stratégies d’action demeurent possibles pour éviter que la crise écologique ne disparaisse derrière d’autres impératifs internationaux.

L’équipe d’organisation brésilienne a ainsi lancé la campagne mondiale du « mutirão », inspirée des traditions autochtones : elle symbolise le travail collectif, fondé sur l’entraide et la réciprocité, d’une communauté qui s’engage pour une tâche commune, dans un esprit de solidarité et de responsabilité partagée. De son côté, le secrétaire général des Nations unies António Guterres continue de faire du climat sa priorité absolue, rappelant inlassablement que le dépassement de la limite de 1,5 °C constituerait un « échec moral et une négligence mortelle ».

Maintenir la crise écologique à l’agenda

Lorsqu’une crise internationale éclate, les regards s’orientent, à raison, vers les victimes et les solutions possibles pour résoudre rapidement la situation. L’urgence vient bousculer les priorités tandis que les problèmes dont l’échéance paraît plus lointaine perdent en visibilité, au risque de s’aggraver par manque d’action.

C’est pour éviter cette mise entre parenthèses que des organisations internationales, comme l’Organisation des Nations unies (ONU), se lancent dans ce que l’on a appelé le maintien à l’agenda : des efforts visant à maintenir un enjeu à l’ordre du jour alors que tous les regards sont rivés ailleurs.

Pour cela, quatre stratégies sont possibles : associer le défi de long terme à la crise immédiate ; le positionner comme une menace lente mais plus profonde ; garantir un espace politique pour agir sur cette question ; et préserver un sentiment d’urgence malgré la temporalité longue du problème.

Pandémie de Covid-19, guerre en Ukraine, crises humanitaires sont autant d’exemples d’urgences venant rediriger l’attention portée à la crise environnementale durant lesquelles agences onusiennes et autres organisations internationales ont tenté de maintenir cette dernière à l’agenda.

La gouvernance climatique et environnementale à l’épreuve de la crise sanitaire

En 2020, alors que la pandémie de Covid-19 monopolise l’attention politique et médiatique, les organisations internationales tentent d’éviter que la question écologique ne soit éclipsée, notamment en la reformulant à l’aune de la crise sanitaire.

D’emblée, les liens entre la dégradation environnementale, le déclin de la biodiversité et l’émergence de nouveaux pathogènes sont soulignés. On les retrouve tant dans les discours officiels d’institutions onusiennes, qu’à travers la publication de rapports dédiés ou la remise au premier plan One Health, approche intégrée de la santé humaine, animale et environnementale. Rapidement, António Guterres en appelle pour sa part à « reconstruire en mieux » (build back better), un slogan martelé pour encourager l’intégration systématique de mesures en faveur de la transition écologique dans la relance post-Covid.

D’autres s’efforcent de préserver la conscience de l’urgence de la crise climatique, par exemple en exigeant des États qu’ils présentent leur plan d’action malgré le report de la COP26. Rencontres et négociations internationales sont également conduites dans un format hybride, garantissant des espaces (virtuels) de prise de décision en matière d’environnement, malgré la pandémie.

Quand la guerre en Ukraine alerte sur les crimes environnementaux

Depuis le 24 février 2022, une autre crise, cette fois militaire, menace de reléguer les enjeux environnementaux au second plan : la Russie lance son invasion de l’Ukraine et exécute une stratégie consistant à détruire et tuer systématiquement des cibles militaires et civiles.

Alors que l’Europe s’inquiète de ce conflit et de ses effets sur les approvisionnements énergétiques, le gouvernement ukrainien cherche rapidement à sensibiliser l’opinion publique aux écocides commis dans le pays. Le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) contribue à ce débat, sa directrice exécutive s’entretenant personnellement avec les autorités ukrainiennes, afin de maintenir l’attention sur la crise écologique.

Dans un rapport, le PNUE présente la guerre en Ukraine comme un problème pour l’environnement et les dégradations environnementales comme un enjeu de sécurité publique. Il propose aussi des solutions communes telles que la « relance verte » qui vise à associer la reconstruction d’après-guerre à un plan d’action environnemental. Le programme onusien va jusqu’à emprunter la rhétorique militaire, pour entretenir un sentiment d’urgence qui justifie l’attention accordée à la crise écologique en temps de guerre.




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Crises humanitaires et crise écologique, même combat

Actuellement, les organisations internationales doivent composer avec un climat politique et budgétaire particulièrement défavorable. Face à une double crise de visibilité, de financement et d’espace opérationnel, affectant tant la crise écologique que le monde humanitaire, elles plaident pour une attention conjointe visant à maintenir les deux causes à l’agenda.

Depuis le début de l’année et l’effondrement du soutien états-unien en matière d’aide internationale, des organisations humanitaires alertent sur les conséquences directes des changements climatiques. À la COP30, la Fédération internationale des sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge et l’Agence des Nations unies pour les réfugiés ont défendu des politiques environnementales fortes afin de réduire la fréquence et la portée des événements météorologiques extrêmes.

À l’inverse, les organisations environnementales mobilisent les crises humanitaires et cycles de violence, comme l’invasion israélienne de la bande de Gaza, pour quantifier les impacts des conflits armés sur les ressources naturelles, et estimer leurs conséquences à court et à long terme sur la santé et les droits fondamentaux des populations affectées. La boucle est bouclée : les effets dévastateurs des conséquences environnementales des crises humanitaires et violences armées requièrent des approches intégrées où la protection de l’environnement devient une composante essentielle de l’action humanitaire.

Alors que les crises se multiplient et se chevauchent, préserver l’attention politique pour les questions de fond est un véritable défi. C’est aussi à cela que servent les COP : nous rappeler que l’on ne peut pas mettre le changement climatique sur pause, même si d’autres enjeux peuvent sembler plus urgents dans l’immédiat. À l’échelle globale, les organisations internationales telles que l’ONU jouent un rôle central de maintien à l’agenda pour s’assurer que les urgences n’éclipsent pas totalement les problèmes de long terme qui ne peuvent pas, ou plus, attendre que le vent tourne.

The Conversation

Lucile Maertens a reçu des financements du Fonds national suisse de la recherche scientifique dans le cadre du projet « First things first ! How to keep the United Nations environmental agenda in times of crisis » (Subside n°100017_200834).

Adrien Estève a reçu des financements du Fonds national suisse de la recherche scientifique dans le cadre du projet « First things first ! How to keep the United Nations environmental agenda in times of crisis » (Subside n°100017_200834).

Luis Rivera-Vélez a reçu des financements du Fonds national suisse de la recherche scientifique dans le cadre du projet « First things first ! How to keep the United Nations environmental agenda in times of crisis » (Subside n°100017_200834).

Zoé Cheli a reçu des financements du Fonds national suisse de la recherche scientifique dans le cadre du projet « First things first ! How to keep the United Nations environmental agenda in times of crisis » (Subside n°100017_200834).

ref. « N’oublions pas le climat ! », ou comment maintenir l’environnement à l’agenda dans un monde en crise – https://theconversation.com/noublions-pas-le-climat-ou-comment-maintenir-lenvironnement-a-lagenda-dans-un-monde-en-crise-270203