Bébés abandonnés : deux tragédies récentes révèlent l’urgence de services pour parents en détresse

Source: The Conversation – in French – By Nicole Racine, Associate Professor, School of Psychology, Scientist, Children’s Hospital of Eastern Ontario Research Institute, L’Université d’Ottawa/University of Ottawa

En l’espace d’un mois, deux bébés ont été abandonnés à Longueuil. Ces tragédies ne sont pas des événements isolés : elles révèlent la détresse croissante des femmes enceintes et parents vulnérables, et soulignent l’urgence de services spécialisés pour protéger ces vies fragiles.

Le premier, un petit garçon prématuré de 34 semaines, a été laissé devant la porte d’une maison le 5 octobre. La famille qui habite cette maison a trouvé le bébé et a immédiatement appelé la police. Le 27 octobre, le deuxième bébé a été découvert dans un abribus. Le bébé a été transporté d’urgence à l’hôpital où son décès a été prononcé. Une femme de 33 ans, qui fréquentait un refuge voisin, a été arrêtée dans le hall d’entrée, puis relâchée afin de recevoir un soutien psychologique et médical.

Le nombre de femmes et de futures mères sans domicile fixe est en augmentation au Québec et dans tout le pays. Psychologues communautaires et psychologues pour enfants, nous travaillons avec des organismes qui soutiennent ces femmes et constatons chaque jour les difficultés du personnel à leur trouver un logement.

Nous avons publié plus tôt cette année une analyse dans le Journal de l’Association médicale canadienne sur la hausse du nombre de femmes enceintes et de parents sans abri, les effets néfastes de l’itinérance sur la santé des femmes et le développement des enfants, ainsi que sur les stratégies pour répondre à cette crise.




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Le profil de l’itinérance se féminise

Il est difficile de déterminer le nombre de femmes enceintes sans domicile fixe au Canada, car les principales sources de données ne posent pas de questions sur la grossesse. Toutefois, selon des données fédérales récentes, le nombre de personnes sans domicile fixe au Canada a augmenté de 20 % entre 2018 et 2022. Parmi les personnes recensées, 10 % déclarent avoir une famille. Si la plupart des personnes sans domicile au Canada sont des hommes, une analyse menée par Statistique Canada en 2022 a révélé que le nombre de femmes en âge de procréer sans domicile a augmenté.

Il existe de nombreuses raisons qui peuvent expliquer cette hausse. L’itinérance se situe à l’intersection de plusieurs autres inégalités sociales : pauvreté, troubles mentaux, traumatismes, statut de réfugié et consommation de substances psychoactives. Les difficultés financières accrues, l’exposition à la violence familiale et les problèmes de santé sont les principaux facteurs associés à l’itinérance en général. Plus précisément, l’exposition à la violence – y compris la violence sexuelle, la traite des êtres humains et la pauvreté – est un facteur majeur à l’origine de l’itinérance chez les femmes et les filles.

Une étude réalisée en 2013 comparant les femmes sans domicile avec et sans enfants a révélé que celles qui ont des enfants sont plus susceptibles de souffrir de problèmes physiques, de santé mentale et de toxicomanie. C’est la dernière étude comparant directement ces deux groupes.




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Cependant, au cours de la dernière décennie, les chercheurs se sont concentrés sur les femmes sans enfants et les femmes avec enfants de manière isolée, et continuent de montrer que les femmes sans domicile, qu’elles aient ou non des enfants, continuent d’être confrontées à des taux disproportionnés de maladies, de traumatismes et de dépendances.

Ces tragédies ne peuvent être réduites à la seule détresse individuelle. Elles découlent d’interactions complexes entre les conditions sociales, parcours marqués par les traumatismes et lacunes profondes dans les services, des défaillances qui laissent tomber les femmes précisément lorsqu’elles sont le plus vulnérables.

Les femmes enceintes et les mères décrivent le système comme déroutant, peu réactifs à leurs besoins et pas sécuritaire. Elles peinent à trouver un logement temporaire ou permanent adapté, avec un soutien avant et après l’accouchement. Cela augmente les risques de fragmentation des soins, de stress et de conséquences négatives sur la santé tant pour les mères que pour les nourrissons.

Les obstacles et la stigmatisation dans les services de santé contribuent en outre à l’insuffisance des soins prénataux et augmentent le risque de complications telles que les hémorragies, les accouchements prématurés et l’insuffisance pondérale à la naissance.

Des aides pour répondre à des besoins complexes

Les femmes et les personnes enceintes sans domicile fixe ont besoin d’un soutien spécialisé répondant à leurs besoins multiples et interdépendants. Bien que l’accès au logement soit une exigence fondamentale, il est urgent que ces logements offrent des services qui s’attaquent aux causes profondes de l’itinérance maternelle.


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Les aides au logement doivent être accompagnées de services de santé physique et mentale qui ciblent ces causes : troubles mentaux, dépendance, traumatismes, exposition à la violence et besoins parentaux. Les femmes doivent pouvoir accéder à des services répondant à leurs besoins périnatals, ainsi qu’à des aides pour la santé et le développement de leur enfant. Elles doivent également avoir accès à des soins leur permettant de faire des choix libres concernant leur santé et leur désir d’être parent ou non.

Idéalement, ces services sont fournis en partenariat avec d’autres services sociaux, notamment la protection de l’enfance, afin d’assurer aux familles un soutien complet. Un soutien intégré peut transformer profondément l’expérience des femmes enceintes en situation de vulnérabilité. Comme le raconte une ancienne cliente d’un centre pour femmes à Toronto, interviewée dans le cadre de nos travaux :

« Ils avaient tout ici. Pas seulement de l’aide pour ma toxicomanie, mais aussi pour devenir mère… Je n’avais jamais été autour de bébés ou de jeunes enfants, je n’avais aucune idée de ce qui m’attendait. »

Ces témoignages montrent à quel point un service sans jugement est essentiel à la réussite à long terme. Une autre femme décrit ainsi son parcours :

« J’étais au plus bas, je n’avais rien, je n’avais personne, je suis venue demander de l’aide, et aujourd’hui, je peux dire que je suis très reconnaissante. Sans eux, je ne serais pas ici… Ils ne vous jugent pas. »

Un exemple de services intégrés au Canada

Les services de santé, de santé mentale et de développement de l’enfant doivent être regroupés et fournis en tandem avec des aides au logement. Il existe au Canada certains modèles qui ont adopté cette approche intégrée.

Par exemple, le centre de santé communautaire Maxxine Wright à Surrey, en Colombie-Britannique, offre des services de santé maternelle et infantile, un soutien en santé mentale, un accompagnement parental et une aide pour les besoins fondamentaux, tout en proposant un hébergement. Grâce à ce modèle, les femmes confrontées à des problèmes de toxicomanie ou de violence peuvent obtenir un logement pendant deux ans après la naissance de leur enfant. Ce type de soutien et de stabilité est essentiel pour aider les familles confrontées aux plus grandes difficultés.

Pour faire face à ces réalités, il ne suffit pas de sensibiliser l’opinion publique : il faut une coordination communautaire, avec une action concertée des services de santé, de santé mentale, de traitement des dépendances, de logement, d’emploi et des organismes communautaires, appuyée par les gouvernements municipaux et provinciaux. Ces réponses doivent être fondées sur la compassion, la bienveillance et un engagement commun à garantir qu’aucune femme et aucun enfant ne soient privés de sécurité, de soutien ou de dignité.

La Conversation Canada

Nicole Racine a reçu des financements de l’Instituts de recherche en santé du Canada et le Conseil de recherches en sciences humaines.

Stéphanie Manoni-Millar a reçu des financements du Conseil de recherches en sciences humaines.

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