Comment les spectateurs des événements sportifs réagissent-ils face aux sponsors « polluants » ?

Source: The Conversation – in French – By Michel Desbordes, Professeur des Universités, Faculté des sciences du sport, Université Paris-Saclay

L’impact du partenariat avec Dacia avec l’Ultra-Trail du Mont-Blanc a été durablement négatif pour l’évènement emblématique du trail. JuliaMountainPhoto/Shutterstock

La présence de Coca-Cola pour les Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024 et Dacia à l’Ultra-Trail du Mont-Blanc (UTMB) a cristallisé les critiques. Ce qui est en jeu pour les organisateurs d’évènements sportifs : trouver un équilibre entre critères financiers, avec la présence de ces marques commerciales, et environnementaux.


Alors que les grands événements sportifs internationaux (GESI) affichent des objectifs environnementaux ambitieux, la cohérence entre ces engagements et le choix des sponsors deviennent cruciaux.

Comment le mesurer ? Avec Maël Besson, fondateur d’une agence en transition écologique du sport, et l’agence The Metrics Factory, nous avons étudié les perceptions en ligne, principalement sur les réseaux X et YouTube, de deux partenariats – Coca-Cola pour les Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024, et Dacia pour l’Ultra-Trail du Mont-Blanc (UTMB).

Notre analyse souligne que les marques perçues comme « polluantes » peuvent affaiblir durablement l’image d’écoresponsabilité des événements qu’elles financent. Les critères environnementaux ne sont plus des variables secondaires ; ils déterminent l’acceptabilité et la légitimée de la tenue même de l’évènement.

Virage écologique du sponsoring sportif

Dans le cadre de notre étude, nous avons analysé 28 des principaux travaux liant responsabilité sociale et sponsoring sportif entre 2001 et 2024. Nous observons que, longtemps centré sur la visibilité et la performance, le sponsoring sportif se transforme.

Sous l’effet conjugué des attentes citoyennes, de la pression réglementaire et des impératifs climatiques, la question de l’impact environnemental s’invite au cœur des stratégies de partenariat. Une marque ne peut plus se contenter de saturer un événement avec son logo. Elle doit prouver qu’elle partage ses valeurs, notamment en matière de durabilité.

Entre discours marketing et réalité mesurable, le fossé est parfois béant. Notre recherche a révélé un paradoxe frappant. La responsabilité sociale des entreprises dans le sport est surtout abordée sous l’angle économique –, intention d’achat, notoriété, image de marque –, tandis que les impacts environnementaux sont largement ignorés.

Coca-Cola et Paris 2024

Coca-Cola a été partenaire des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024.
RobFuller/Shutterstock

À première vue, les organisateurs des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024 ont multiplié les initiatives pour réduire l’impact environnemental de l’évènement : sobriété, sites réutilisés, compensation carbone, végétalisation de l’alimentation, sensibilisation des spectateurs, « interdiction » à TotalEnergies d’être partenaire, mobilités douces, 100 % des sites accessibles en transports publics, etc. Pourtant, la présence de Coca-Cola parmi les sponsors a cristallisé les critiques.

Selon notre analyse des réseaux sociaux X et YouTube, plus d’un tiers des messages associant Coca-Cola, Paris 2024 et l’environnement exprime un sentiment négatif.

Pire encore : Coca-Cola est mentionnée dans 56 % des publications critiques à l’égard de l’impact écologique des Jeux, représentant 63 % des impressions générées. En clair, pour beaucoup d’internautes, la présence de la marque incarne à elle seule l’incohérence entre les ambitions écologiques des Jeux et la mise en avant d’un sponsor vécu comme non écologique.

Le reproche principal, toujours selon notre étude, est la production massive de bouteilles en plastique à usage unique, perçue comme incompatible avec un discours de sobriété environnementale. Cette dissonance nourrit un sentiment de greenwashing, où l’écologie devient un simple vernis pour des pratiques peu vertueuses.

UTMB et Dacia : un impact durable sur l’image

Du côté de l’Ultra-Trail du Mont-Blanc, l’impact du partenariat avec Dacia, constructeur automobile, a été durablement négatif. Un an et demi après une polémique très médiatisée, le partenariat – contrat de naming de l’évènement – n’a pas été renouvelé. Notre étude montre qu’un tiers des messages environnementaux sur l’UTMB restent critiques, et que plus de 80 % de ces critiques portent toujours sur le sponsoring par Dacia.




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Malgré le temps passé et les nombreuses actions en faveur de la préservation de l’environnement mis en place par l’organisateur selon leur plan d’engagement, la perception négative demeure. Elle démontre que certains partenariats peuvent laisser une trace durable dans la mémoire collective, bien au-delà de la période de l’événement lui-même.

Loi Evin climat

L’un des enseignements majeurs de notre étude : la cohérence perçue devient une nouvelle norme de légitimité. L’impact négatif d’un partenariat ne se mesure plus uniquement à des données d’émissions, mais à sa capacité à convaincre les parties prenantes – citoyens, élus, ONG, médias – de sa sincérité.

Le sport reproduit une dynamique déjà connue dans le domaine de la santé publique dans les années 80. Comme pour le tabac ou l’alcool, l’acceptabilité sociale de certains sponsors diminue. Faut-il, dès lors, envisager une « loi Evin climat » interdisant la présence de marques à forte empreinte carbone dans les stades et les événements ?

Montée des exigences des parties prenantes

Au-delà des réactions du grand public analysées dans ces deux études de cas, les exigences environnementales montent chez tous les acteurs du sport.

Chez les sponsors eux-mêmes

Selon l’association Sporsora qui regroupe 280 acteurs du monde du sport, le groupe Accor s’assure que ses nouveaux partenariats soient en cohérence avec ses propres engagements climatiques. Onet exclut catégoriquement toute pratique sportive trop polluante.

Dans le champ des médias

France Télévisions a cessé de diffuser le rallye Dakar (au bénéfice de l’Équipe), invoquant entre autres l’incompatibilité entre l’image de l’évènement et les attentes exigeantes des téléspectateurs.

Pour les collectivités locales

Nous pouvons citer le rejet du sponsor TotalEnergies un temps envisagé pour les JOP 2024 par la Ville de Paris.

Face à la pression sociale croissante, le modèle du sponsoring sportif est à un tournant. Ignorer les enjeux écologiques, ou s’y attaquer de façon purement cosmétique, expose les marques et les organisateurs à des risques réputationnels majeurs, à un rejet du public et à des contraintes institutionnelles nouvelles.

Il est primordial que les partenariats sportifs s’alignent sincèrement avec les limites planétaires.


Cet article a été co-rédigé avec Maël Besson, expert en transition écologique du sport, fondateur de l’agence SPORT 1.5.

The Conversation

Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.

ref. Comment les spectateurs des événements sportifs réagissent-ils face aux sponsors « polluants » ? – https://theconversation.com/comment-les-spectateurs-des-evenements-sportifs-reagissent-ils-face-aux-sponsors-polluants-258603