Source: The Conversation – in French – By Victoria Gibbon, Professor in Biological Anthropology, Division of Clinical Anatomy and Biological Anthropology, University of Cape Town
Choisiriez-vous qu’une partie de votre corps continue d’exister après votre mort ? Et comment ce choix pourrait-il affecter vos proches, voire toute votre communauté ?
La première question se pose souvent à ceux qui donnent leurs organes.
La seconde question se pose lorsqu’ils participent à des recherches génétiques. En effet, l’ADN d’un seul individu peut révéler un vaste réseau de relations, et même aider la police à résoudre des crimes commis par des parents éloignés qu’ils n’ont jamais rencontrés. Et plus on remonte dans le temps, plus ce réseau devient complexe.
L’ADN constitue le matériel génétique propre à chaque être vivant sur la planète. Il peut être « immortalisé » pendant une durée imprévisible dans des bibliothèques génétiques numériques qui contiennent non seulement les informations génomiques de cette personne, mais aussi celles de ses ancêtres et de ses descendants.
L’ADN ancien (appelé aDNA) implique l’étude du matériel génétique d’organismes qui ont vécu il y a longtemps, y compris les humains. Les généticiens, les archéologues, les anthropologues et les historiens s’en servent dans la recherche sur l’aDNA. Ces recherches ont permis des découvertes inédites, mais leurs bénéfices ne profitent pas à tous de la même façon. Elles peuvent aussi être destructrices, car l’aDNA est souvent extrait de fragments d’os ou de dents. Et une question demeure : qui peut donner l’autorisation au nom de personnes mortes depuis des générations ?
L’Afrique est le berceau de l’humanité. C’est là qu’on trouve la plus grande diversité génétique au monde. En d’autres termes, tous les êtres humains sont porteurs d’ADN provenant d’une ascendance africaine commune profondément enracinée. Cela fait de l’ADN africain (ancien et moderne) une riche ressource à exploiter pour comprendre ce qui fait de nous des êtres humains. Cependant, la compréhension de la variation humaine et de nos origines implique des recherches intégrées au sein des communautés vivantes, et les communautés sont la solution pour la conservation et l’avenir du travail dans nos disciplines.
Une fois décodée, l’information génétique peut durer éternellement, de sorte qu’elle pourrait être utilisée par n’importe qui, à n’importe quelle fin, pour les générations à venir. Les entreprises de l’industrie pharmaceutique, par exemple, pourraient l’utiliser. Alors que cette science progresse à un rythme étonnant, les cadres éthiques et juridiques qui la régissent ont du mal à suivre. Aucun pays ne dispose de normes s’appliquant spécifiquement au domaine de l’ADN ancien. Par conséquent, des directives éthiques appropriées à ce travail doivent protéger les générations passées, présentes et futures.
Le consentement n’est ni obligatoire ni systématiquement demandé dans ces recherches, même si sa nécessité est de plus en plus reconnue depuis vingt ans. De plus, la notion de consentement éclairé, issue de la médecine occidentale, repose sur l’idée d’une autonomie individuelle. Elle suppose que les décisions médicales sont prises par des individus, et non par des communautés. Et elle s’applique difficilement à des personnes décédées.
C’est pourquoi, dans notre récente publication, nous plaidons en faveur de l’utilisation de la notion de « consentement par procuration éclairé » ou « consentement fondé sur l’autonomie relationnelle ». Il s’agit du cas où des personnes vivantes, par le biais d’une relation avec une ou plusieurs personnes décédées, peuvent prendre des décisions et donner leur consentement en leur nom, en tant que mandataires ou représentants. La relation peut être fondée sur le sexe, la race, la religion, l’identité sociopolitique ou socioculturelle, ou encore biologique. L’ADN étant vulnérable à l’exploration de données et à l’apprentissage automatique, les vivants peuvent ainsi représenter les morts lorsqu’ils sont concernés par les retombées de la recherche.
Les contextes sociaux, politiques, culturels et économiques étant très différents d’un lieu à l’autre, il est impossible d’établir un code universel. Mais quatre principes doivent guider la recherche : honnêteté, responsabilité, professionnalisme et préservation.
Notre étude propose une série de réflexions pour mettre en place ce consentement par procuration pour les personnes mortes depuis longtemps. Un tel système pourrait renforcer la recherche, en la rendant plus inclusive, plus éthique et plus équitable. Il permettrait aussi de mieux protéger les chercheurs et de bâtir des partenariats durables fondés sur la confiance.
Dans notre article, nous présentons une série de considérations pour obtenir le consentement éclairé par procuration pour les personnes décédées depuis longtemps. Un système de consentement pourrait enrichir la recherche en l’utilisant de manière innovante. Il s’agit de donner du pouvoir aux personnes concernées par la recherche, en protégeant les chercheurs contre les violations éthiques et en établissant des partenariats équitables à long terme.
La solution
Nous proposons que le consentement pour l’utilisation de l’ADN humain ancien dans la recherche soit un processus porté par les communautés. Au lieu que des individus donnent leur accord au nom des défunts, ce sont les personnes vivantes liées à eux – par la parenté, le lieu d’origine, la culture ou la responsabilité de leur mémoire – qui agissent comme représentantes. Cette approche reconnaît que les individus font partie de communautés, et que le droit de donner un consentement doit tenir compte du contexte social et culturel, pas seulement du choix individuel.
Ce type d’approche a été appliqué en Afrique du Sud dans le cadre de la restitution des “neuf de Sutherland”, lorsque neuf ancêtres San et Khoekhoe ont été exhumés de leurs tombes dans les années 1920 et envoyés à l’université du Cap à des fins d’enseignement médical et de recherche. Près de 100 ans plus tard, ils ont finalement été ramenés dans leur communauté.
Un autre exemple vient du projet Malawi Ancient Lifeways and Peoples. Les chercheurs y ont organisé des visites de sites archéologiques avec des chefs traditionnels, des représentants des autorités locales et nationales, des universitaires et des étudiants. Ce dialogue régulier a tellement fait partie du processus que certains chefs ont eux-mêmes demandé comment l’ADN ancien pouvait contribuer à leurs propres objectifs de restitution ou de reconstruction historique.
Comment cela fonctionnerait
L’étude du passé montre que les sociétés changent profondément au fil du temps. Il n’existe pas toujours une continuité culturelle ou biologique claire entre les époques. Identifier les communautés descendantes légitimes et déterminer qui a le droit de donner un consentement peut donc être complexe. Pourtant, les communautés locales s’intéressent souvent aux résultats de la recherche, et elles ont le droit d’être informées clairement de ses conséquences. Le consentement doit être envisagé comme un processus continu, et non comme un acte ponctuel.
Ce processus commence dès la phase de planification du projet. Les chercheurs partagent une première version de leur proposition et la révisent selon les retours des communautés. Ils doivent être transparents sur le financement, les méthodes utilisées, les risques et les bénéfices possibles. Cette transparence vaut non seulement pour la science, mais aussi pour les personnes liées aux défunts.
Une communication claire est essentielle, et les informations doivent être présentées dans les langues locales et dans des formats faciles à comprendre. Leurs communautés doivent disposer de temps pour réfléchir sans la présence des chercheurs. Leurs remarques doivent être prises au sérieux et les projets adaptés en conséquence. Enfin, les communautés doivent garder la maîtrise du stockage, de l’utilisation et du partage des données.
La collaboration doit se poursuivre pendant toute la durée du projet. Les chercheurs doivent présenter leurs résultats avant publication et redemander un nouveau consentement s’ils souhaitent utiliser les données à d’autres fins.
Ce processus demande du temps et des ressources. Les consultations préalables et le suivi exigent un financement adapté et peuvent ralentir le rythme académique habituel. Mais les bailleurs et les institutions doivent comprendre que construire des relations durables avec les communautés descendantes est une base indispensable et enrichissante pour une recherche éthique.
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Victoria Gibbon bénéficie d’un financement de la Fondation nationale sud-africaine pour la recherche.
Jessica Thompson a reçu des fonds de la Fondation nationale américaine pour la science, de la Fondation Leakey, de la Fondation Wenner-Gren et de la National Geographic Society.
Sianne Alves does not work for, consult, own shares in or receive funding from any company or organisation that would benefit from this article, and has disclosed no relevant affiliations beyond their academic appointment.
– ref. Les morts ont-ils leur mot à dire ? Le défi du consentement dans la recherche sur l’ADN ancien – https://theconversation.com/les-morts-ont-ils-leur-mot-a-dire-le-defi-du-consentement-dans-la-recherche-sur-ladn-ancien-269722
