L’Afrique doit protéger ses banques de développement contre les discours visant à les affaiblir

Source: The Conversation – in French – By Misheck Mutize, Post Doctoral Researcher, Graduate School of Business (GSB), University of Cape Town

Une bataille discrète mais lourde de conséquences se joue au sein de l’architecture financière mondiale. Une lutte qui pourrait déterminer la capacité de l’Afrique à financer son propre développement.

Ces derniers mois, des voix influentes issues du Fonds monétaire international (FMI), du Club de Paris et la banque d’investissement américaine JP Morgan ont remis en question le statut de créancier privilégié des institutions financières multilatérales africaines de développement. Ces institutions comprennent la Banque africaine d’import-export (Afreximbank) et la Banque pour le commerce et le développement (TDB).

Le statut de créancier privilégié est une pratique de longue date dans le domaine de la finance mondiale. Il donne aux institutions multilatérales de financement du développement la priorité en matière de remboursement lorsqu’un pays est confronté à des difficultés financières. Le principe est simple. Ces institutions accordent des prêts pour promouvoir le développement. En cas de crise, elles interviennent en multipliant les prêts au moment où les créanciers commerciaux ont tendance à se retirer.

Cette fiabilité dépend de leur solide notation de crédit, qui repose à son tour sur l’assurance qu’ils seront remboursés même si les autres ne le seront pas. Cette assurance est garantie par le statut de créancier privilégié. La Banque mondiale, le FMI et les banques régionales de développement en Asie et en Amérique latine bénéficient tous de cette protection dans la pratique. Les emprunteurs la respectent car la violer menacerait leur accès à de futurs prêts concessionnels, c’est-à-dire des prêts proposés à des taux d’intérêt et à d’autres conditions beaucoup plus avantageux.

Les détracteurs des institutions financières multilatérales africaines affirment qu’elles sont trop petites pour mériter le statut de créancier privilégié. Ou que, contrairement à la Banque mondiale et au FMI, elles n’accordent pas de prêts à des taux concessionnels. JP Morgan a même averti que les banques de développement africaines pourraient perdre complètement leur statut.

Le débat sur le statut de créancier privilégié des institutions financières multilatérales de développement africaines peut sembler technique. Il ne l’est pas. S’il n’est pas remis en question, il pourrait justifier le maintien des taux d’intérêt élevés auxquels l’Afrique est confrontée sur les marchés internationaux.

Fort de plusieurs décennies de recherche sur les marchés financiers africains et les institutions qui les régissent, je recommande aux gouvernements africains de réaffirmer et de défendre le statut de créancier privilégié des banques multilatérales de développement. Les banques multilatérales de développement africaines doivent également agir collectivement pour défendre leur crédibilité. Et l’Union africaine doit intégrer le statut de créancier privilégié des banques de développement du continent dans son programme de souveraineté financière.

Privilège tacite ou loi

Pour le FMI, la Banque mondiale et le Club de Paris, le statut de créancier privilégié est un privilège tacite. Pour les banques multilatérales de développement africaines, c’est une loi.

Les traités fondateurs de l’Afreximbank, de la Banque africaine de développement et la TDB consacrent explicitement ce statut. Ces traités sont enregistrés en vertu de l’article 102 de la Charte des Nations unies, ce qui les rend contraignants en vertu du droit international. Les États membres africains les ont également ratifiés dans leur législation nationale.

Cela rend le statut des banques multilatérales de développement africaines plus sûr sur le plan juridique que celui des institutions de Bretton Woods. Pourtant, ce sont les banques africaines dont le statut est aujourd’hui qualifié d’« incertain » ou « controversé ».

Les gouvernements africains doivent corriger cette perception. L’Union africaine et ses membres ont déjà approuvé ce principe, mais des déclarations publiques plus fermes et coordonnées sont nécessaires, en particulier de la part des ministres des Finances et des banques centrales. L’objectif sera de rassurer les investisseurs sur le fait que ces protections sont réelles, applicables et soutenues par une volonté politique.

Action collective

Des institutions telles que l’Afreximbank, la BAD, la TDB, la Shelter Afriqué Development Bank et l’Africa Finance Corporation ont connu une croissance rapide. Ensemble, elles détiennent plus de 640 milliards de dollars d’actifs, avec une croissance d’environ 15 % par an. Elles ont mobilisé des milliards sur les marchés financiers mondiaux et ont intensifié leurs activités de prêt lorsque les finances mondiales se sont retirées. Ils se sont diversifiés dans les obligations panda en Chine, prouvant leur résilience et leur capacité à exploiter les marchés financiers non traditionnels.

Leur succès a toutefois suscité une certaine résistance. Les créanciers internationaux et les agences de notation ont commencé à remettre en question leur statut de créancier privilégié, le qualifiant de « faible » ou « fragile ». Cela a des conséquences réelles. Cela affaiblit la confiance des investisseurs. Ceux-ci exigent des rendements plus élevés, ce qui augmente le coût des emprunts pour les banques et, par extension, pour les pays africains, sur la base d’un facteur de risque qui n’existe pas.

Pour contrer cela, les banques multilatérales de développement africaines doivent coordonner leurs réponses. La nouvelle Association des institutions financières multilatérales africaines est une plateforme prometteuse. Elle devrait être plus active et devenir la voix unifiée défendant le statut de créancier privilégié. Elle devrait être utilisée pour émettre des avis juridiques conjoints, dialoguer directement avec les agences de notation et les membres du Club de Paris, et mener des campagnes mondiales d’éducation des investisseurs afin de clarifier le statut juridique et les solides performances des banques multilatérales de développement africaines. Les banques de développement du continent doivent parler d’une seule voix. Le silence laisse les autres défnir leur crédibilité.

La souveraineté financière du continent

La protection du statut de créancier privilégié ne relève pas uniquement de la finance technique. Il s’agit d’une question de souveraineté. L’Afrique est en train de construire son propre écosystème financier grâce à l’Agence africaine de notation de crédit. Les autres institutions financières de l’écosystème, qui ne sont pas encore opérationnelles, sont la Banque centrale africaine, la Banque africaine d’investissement et le Fonds monétaire africain . Leur objectif sera de réduire la dépendance vis-à-vis des acteurs extérieurs et de maintenir le programme de développement de l’Afrique entre les mains des Africains.

Une bataille de perception

La finance mondiale fonctionne sur la base de perceptions façonnées par des récits. Ceux qui contrôlent les récits contrôlent le coût de l’argent. Si le statut de créancier privilégié des banques multilatérales de développement africaines continue d’être déformé, l’accès de l’Afrique à des financements abordables restera otage de l’opinion extérieure plutôt que de la réalité juridique.

Cela affaiblira également les banques africaines de développement au moment même où elles deviennent plus efficaces. Leur capacité à emprunter à des conditions avantageuses et à moindre coût dépend de leur notation de crédit, qui repose sur l’hypothèse qu’elles seront remboursées en premier en cas de difficulté. Si cette hypothèse est remise en cause, les coûts d’emprunt augmenteront.

En réaffirmant la base juridique du statut de créancier privilégié des banques multilatérales de développement africaines, en coordonnant leur réponse et en intégrant ce statut dans le cadre de souveraineté financière de l’UA, les gouvernements africains et les prêteurs multilatéraux de développement peuvent protéger l’un des outils les plus importants pour un financement abordable du développement.

Il ne s’agit pas seulement de défendre des institutions, mais aussi de défendre le droit de l’Afrique à financer son propre avenir à des conditions équitables.

The Conversation

Misheck Mutize est affilié au Mécanisme africain d’évaluation par les pairs de l’Union africaine en tant qu’expert principal en matière de notation de crédit.

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