Pourquoi davantage de dette européenne favorisera la croissance et la consolidation des finances publiques des pays de l’UE

Source: The Conversation – in French – By Christakis Georgiou, Spécialiste de l’économie politique de la construction européenne, Université Sorbonne Nouvelle, Paris 3

L’instabilité politique aux États-Unis accroît la demande d’une alternative aux actifs libellés en dollar. L’euro en tête ? CarlosAmarillo/Shutterstock

L’émission de dette par l’Union européenne, lancée par le plan de relance européen du 27 mai 2020 (Next Generation EU), peut profiter à ses États membres. Car qui dit dette, dit obligation, mais aussi actif financier. Un actif sûr européen demandé par les investisseurs du monde entier, comme alternative aux bons du Trésor fédéral états-unien.


Alors que l’impératif de réduction du déficit budgétaire continue d’alimenter la crise politique en France et que les négociations s’engagent sur le prochain cadre financier pluriannuel (CFP) de l’Union européenne (UE), cette dernière continue de monter en puissance en tant qu’émetteur de dette obligataire.

Cet essor est du au plan de relance européen proposé par la Commission européenne le 27 mai 2020, à savoir Next Generation EU (NGEU). Celui-ci semble avoir ouvert la voie vers une capacité d’emprunt européenne permanente. Durant l’été 2025, l’UE met au point le programme SAFE (Security Action for Europe) qui prévoit 150 milliards d’euros de dette, tandis que la Commission européenne propose la création d’un instrument de gestion de crise. Celui-ci autoriserait l’exécutif européen à lever jusqu’à 400 milliards d’euros le cas échéant.

Dans cet article, j’explique pourquoi l’émission pérenne et accrue de dette européenne contribuera à la consolidation des finances publiques des États membres. Raison de plus pour l’UE d’accélérer dans cette direction.

Ce que veulent les investisseurs

Le point de départ de ce raisonnement est simple : que demandent les investisseurs en la matière ?

En 1999, la création de l’Union économique et monétaire (UEM) crée le potentiel de défauts souverains en Europe, c’est-à-dire le risque financier qu’un État membre ne rembourse pas ses dettes. L’UEM a soustrait la création monétaire au contrôle des États membres pour la confier à la Banque centrale européenne. Sans ce contrôle, les États de l’Union européenne perdent la certitude de pouvoir honorer leurs obligations souveraines car ils renoncent à la possibilité d’avoir recours à la création monétaire pour se financer.

Pour un ensemble de raisons, ce risque financier potentiel déstabilise le fonctionnement des marchés des capitaux, car il élimine le statut d’actif sûr dont jouissaient les titres de dette publique jusque-là.

C’est la raison pour laquelle les investisseurs financiers ont très tôt compris que l’Union économique et monétaire devrait être complétée par la création d’un actif sûr européen, soit d’une part en recourant à l’émission et la responsabilité conjointes des États de l’UE, soit d’autre part à l’émission de titres de dette par la Commission européenne.

Une alternative aux actifs libellés en dollar

L’offre de ce nouvel actif financier européen devrait être volumineuse, fréquente et pérenne de manière à s’ériger en actif financier de référence et valeur refuge dans le marché financier européen. Pour la quasi-totalité des investisseurs, le modèle à reproduire est celui du marché états-unien de la dette publique, dont le pivot est le bon du Trésor fédéral.




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À cela s’ajoute une demande croissante de la part des investisseurs extraeuropéens pour une alternative aux actifs libellés en dollar. Cette tendance est apparue depuis une dizaine d’années avec l’arsenalisation croissante du dollar par l’administration fédérale états-unienne. Le terme « arsenalisation du dollar » renvoie à un ensemble de pratiques à visée géopolitique, comme la menace d’interdire l’accès aux marchés financiers américains ou des poursuites judiciaires pour non-respect de sanctions (contre l’Iran, par exemple) prononcées par l’administration. Depuis un an, l’instabilité politique aux États-Unis, notamment la menace de réduire l’indépendance de la Réserve fédérale, a accru cette demande de diversification. L’euro est bien placé pour offrir une alternative, mais à condition de pouvoir offrir un actif aussi sûr et liquide que le bon du Trésor fédéral.

Étant donné que l’évolution de l’UE en émetteur souverain est une demande forte des investisseurs, par quels mécanismes cela pourrait-il contribuer à la consolidation des finances publiques des États membres ?

Premier canal : l’offre accrue d’actifs sûrs rassurera les investisseurs

Le premier mécanisme concerne l’effet général sur l’évaluation des risques de crédit par les investisseurs. L’augmentation nette de l’offre d’actifs sûrs aura un effet général rassurant et par conséquent réduira les primes de risque, mais aussi les spreads (différence de taux d’intérêt d’une obligation avec celui d’une obligation de référence de même durée) entre États de l’UE.

Un exemple de cette dynamique est l’expérience de l’automne 2020, avant et après l’annonce de l’accord sur le plan de relance européen. Tant que cet accord éludait les dirigeants européens, la fébrilité était palpable sur les marchés et les spreads. Celui de l’Italie en particulier avait tendance à s’écarter. L’annonce de l’accord a immédiatement inversé la dynamique. La mise en œuvre du programme fait qu’aujourd’hui les États membres du sud de l’UE – Italie, Espagne, Portugal – empruntent à des conditions similaires à celles de la France.

Le plan de relance européen de 2020 (baptisé « Next Generation EU »), proposé par la Commission européenne le 27 mai 2020, vise à pallier les conséquences économiques et sociales de la pandémie de Covid-19. Son montant est fixé à 750 milliards d’euros.
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Deuxième canal : attraction accrue de capitaux extraeuropéens

Le deuxième mécanisme répond à la demande de diversification des investisseurs extraeuropéens. En leur proposant une alternative crédible aux actifs en dollar, l’émission accrue de dette européenne attirera un surcroît de flux extraeuropéens vers l’Europe. Cela augmentera l’offre de crédit en Europe, ce qui diminuera les taux d’intérêt de façon générale et facilitera le financement de l’économie européenne.

Troisième canal : emprunter pour investir agira sur le dénominateur

Le troisième mécanisme dépend de l’utilisation des ressources collectées par l’émission de dette. Si, comme avec le plan de relance européen Next Generation EU, ces ressources sont affectées à l’investissement public, notamment en infrastructures, cela améliorera la croissance potentielle.

L’accélération de la croissance générera un surplus de recettes fiscales, tout en agissant sur le dénominateur (à savoir le PIB, auquel on rapporte le stock de dette publique pour obtenir le ratio qui sert le plus souvent de référence dans les débats sur la soutenabilité des dettes). Les effets bénéfiques attendus sont aujourd’hui visibles dans les principaux États membres bénéficiaires de ce plan de relance, à savoir l’Italie et l’Espagne.

L’amélioration des perspectives de croissance aura aussi un effet spécifiquement financier. Pourquoi ? Car elle contribuera à retenir davantage de capitaux européens qui aujourd’hui s’exportent aux États-Unis pour chercher des rendements plus élevés dans les start-ups du pays de l’Oncle Sam. En d’autres termes, la résorption de l’écart de croissance entre États-Unis et Europe offrira relativement plus d’opportunités de placement en Europe même à l’épargne européenne.

Quatrième canal : favoriser la constitution de l’union du marché des capitaux

Un actif sûr européen est la pièce maîtresse pour enfin aboutir à l’union des marchés des capitaux. L’offre d’un actif financier de référence, ou benchmark asset, contribuera à uniformiser les conditions financières dans les États de l’UE, favorisera la diversification et la dénationalisation des expositions au risque et fournira du collatéral en grande quantité pouvant servir à garantir les transactions transfrontières au sein de l’UE.

Cette dernière fonction des titres de dette publique (servir de collatéral dans les transactions financières) est capitale pour le fonctionnement du système financier contemporain. Lorsque les banques et autres firmes financières ont besoin de liquidités, elles se tournent vers d’autres firmes financières et leur en empruntent en garantissant la transaction par des titres de dette publique.

L’utilisation de ces titres à cette fin découle de leur statut d’actif sûr. C’est la raison pour laquelle un actif sûr européen sous forme de titres émis par la Commission européenne favorisera les transactions transfrontières : une banque portugaise pourra beaucoup plus facilement emprunter des liquidités à un assureur allemand si la transaction est garantie par des titres européens plutôt que par des titres portugais par exemple.

L’union des marchés des capitaux, c’est-à-dire l’élimination du biais national dans la composition des portefeuilles d’actifs, améliorera l’allocation globale du capital en permettant de mieux aligner épargne et investissements à travers le marché européen. Cela était précisément l’un des effets principaux escomptés lors de la création de l’Union économique et monétaire (UEM).

Durant la première décennie de son existence, cette intégration financière a eu lieu, bien que cela servît à financer des bulles de crédit dans la périphérie qui alimentèrent la crise de l’Union économique et monétaire en 2009-2012. Les flux accrus de capitaux vers les États membres du sud de l’Europe ont diminué drastiquement le coût de financement des entreprises et des autorités publiques mais ont principalement été canalisés vers des investissements improductifs et spéculatifs comme la bulle immobilière en Espagne. Or, intégration financière et bulles de crédit ne sont pas synonymes : si les conditions sont mises en place pour canaliser le surcroît de flux de capitaux transfrontières vers les investissements productifs, la hausse de la croissance sera durable.

The Conversation

Christakis Georgiou ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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