Nicolas Sarkozy interdit de contact avec Gérald Darmanin : l’indépendance de la justice renforcée ?

Source: The Conversation – in French – By Vincent Sizaire, Maître de conférence associé, membre du centre de droit pénal et de criminologie, Université Paris Nanterre

Nicolas Sarkozy a été mis en liberté sous contrôle judiciaire, lundi 10 novembre, par la Cour d’appel de Paris. Il n’a plus le droit de quitter le territoire, et ne doit pas entrer en contact avec les personnes liées à l’enquête ni avec le ministre de la justice Gérald Darmanin. Cette interdiction est liée à la visite que lui a rendu le ministre en prison, interprétée comme une pression exercée sur les magistrats. Le contrôle judiciaire de l’ancien président de la République va donc dans le sens d’une réaffirmation du principe d’indépendance des magistrats vis-à-vis du pouvoir exécutif. Au-delà de l’affaire Sarkozy, quelles sont les capacités d’influence du pouvoir exécutif sur la justice ?


Le 10 novembre 2025, la Cour d’appel de Paris a fait droit à la demande de mise en liberté de Nicolas Sarkozy. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, cette décision n’est nullement le résultat des pressions diverses qui pèsent sur l’institution judiciaire depuis le prononcé de la condamnation de l’ancien chef de l’État. D’une part, la Cour d’appel a estimé que les conditions de la détention provisoire n’étaient pas réunies, aucun élément objectif ne laissant craindre que l’ancien chef de l’État soit tenté de prendre la fuite avant le jugement définitif de son affaire. D’autre part, et surtout, la Cour a assorti la mise en liberté d’un contrôle judiciaire strict, interdisant en particulier à M. Sarkozy tout contact avec le garde des sceaux Gérald Darmanin et avec son cabinet, considérant que de tels liens lui permettraient d’influer sur le cours de la procédure.

Ce faisant, la juridiction vient non seulement réaffirmer l’indépendance du pouvoir judiciaire, mais aussi apporter une réponse à la polémique soulevée par la visite du garde des sceaux, agissant à titre officiel, à l’ancien locataire de l’Élysée incarcéré, le 27 octobre. Cette démarche avait en effet suscité de nombreuses critiques au sein du monde judiciaire, à l’image des propos du procureur général de la Cour de cassation dénonçant un risque « d’obstacle à la sérénité et d’atteinte à l’indépendance des magistrats » ou, plus encore, de la plainte pour prise illégale d’intérêt déposée à l’encontre du ministre par un collectif d’avocats.

Le ministre de la justice peut-il rendre visite à un détenu ?

Au-delà de la polémique médiatique, c’est d’abord l’état de la relation entre le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire – sensément séparés et indépendants – que cette visite interroge. Certes, les textes actuels permettent bien au ministre, au moins indirectement, d’y procéder. Le Code pénitentiaire reconnaît en effet à certains services de l’administration pénitentiaire le droit de procéder à des visites de contrôle du bon fonctionnement des établissements carcéraux. Dans la mesure où le ministre de la justice est à la tête de cette administration, rien ne lui interdit donc, en théorie, de procéder lui-même à de telles visites. Par ailleurs, toute personne détenue « peut demander à être entendue par les magistrats et fonctionnaires chargés de l’inspection ou de la visite de l’établissement, hors la présence de tout membre du personnel de l’établissement pénitentiaire ». Ainsi, le cadre juridique aujourd’hui applicable au contrôle des prisons n’interdit pas au garde des sceaux de visiter lui-même un établissement et de s’entretenir, à cette occasion, avec les personnes incarcérées.

Mais c’est justement un tel cadre qui, du point de vue de la séparation des pouvoirs, mérite d’être questionné. Faut-il le rappeler, c’est toujours en vertu d’une décision de l’autorité judiciaire qu’un individu peut être mis en prison, qu’il s’agisse d’un mandat de dépôt prononcé avant l’audience ou de la mise à exécution d’un jugement de condamnation définitif. C’est également l’autorité judiciaire, en la personne du juge d’application des peines, qui est seule compétente pour décider des mesures d’aménagement des peines d’emprisonnement (réduction de peines, semi-liberté, libération conditionnelle…). Et si la direction de l’administration pénitentiaire peut prendre seule certaines décisions (placement à l’isolement, changement d’établissement…), c’est sous le contrôle du juge administratif, non du ministre.

C’est pourquoi la visite dans un établissement carcéral du garde des sceaux, lequel – à la différence des fonctionnaires placés sous son autorité – est membre du pouvoir exécutif, est toujours porteuse d’un risque d’immixtion ou de pression, au moins indirecte, sur le pouvoir judiciaire. Tel est notamment le cas quand cette visite a pour seul objet d’accorder, sinon un soutien, du moins une attention particulière à un détenu parmi d’autres, quand les juges ont pour mission de traiter chacun d’entre eux sur un strict pied d’égalité.

À cet égard, il est intéressant de relever que les autres autorités habilitées – aux côtés des magistrats – à se rendre en prison ont, quant à elles, pour seule attribution de veiller au respect des droits fondamentaux de l’ensemble des personnes emprisonnées, à l’image du défenseur des droits et du contrôleur général des lieux de privation de liberté ou, encore, du comité de prévention de la torture du conseil de l’Europe.

Les leviers du pouvoir exécutif sur le pouvoir judiciaire

La polémique suscitée par la visite faite à l’ancien chef de l’État a ainsi le mérite de mettre en lumière à quel point le pouvoir exécutif dispose, encore aujourd’hui, de nombreux leviers pour intervenir plus ou moins directement dans le champ d’intervention du pouvoir judiciaire. Ainsi, ce qui est vrai pour l’exécution des peines l’est, plus encore, pour l’exercice de la police judiciaire, c’est-à-dire l’ensemble des actes ayant pour objet la constatation et l’élucidation des infractions pénales. Alors que l’ensemble des agents et officiers de police judiciaire sont en principe placés sous l’autorité exclusive du procureur de la République ou – lorsqu’il est saisi – du juge d’instruction, ils demeurent en pratique sous l’autorité du ministre de l’intérieur, seul compétent pour décider de leur avancement, de leurs mutations et, plus largement, de leurs conditions générales de travail. C’est en particulier le ministère qui décide, seul, de l’affectation des agents à tel ou tel service d’enquête, du nombre d’enquêteurs affectés à tel service et des moyens matériels qui leur sont alloués. En d’autres termes, les magistrats chargés des procédures pénales n’ont aucune prise sur les conditions concrètes dans lesquelles leurs instructions peuvent – ou non – être exécutées par les services de police.

Mais le pouvoir exécutif dispose d’autres leviers lui permettant d’exercer encore plus directement son influence sur le cours de la justice. Les magistrats du parquet sont ainsi placés sous la stricte subordination hiérarchique du garde des sceaux, seul compétent pour décider de leur affectation, de leur avancement, et des éventuelles sanctions disciplinaires prises à leur encontre.

Une situation de dépendance institutionnelle qui explique que, depuis plus de quinze ans, la Cour européenne des droits de l’homme considère que les procureurs français ne peuvent être regardés comme une autorité judiciaire au sens du droit européen. Si les magistrats du siège bénéficient quant à eux de réelles garanties d’indépendance, ils ne sont pas à l’abri de toute pression. Certes, ils sont inamovibles et le Conseil supérieur de la magistrature a le dernier mot sur les décisions disciplinaires et les mutations les concernant. Toutefois, si les juges ne peuvent être mutés contre leur gré, c’est le ministère qui reste compétent pour faire droit à leurs demandes de mutation, le Conseil n’intervenant que pour valider (ou non) les propositions faites par les services administratifs – à l’exception des présidents de tribunal et des magistrats à la Cour de cassation, qui sont directement nommés par le Conseil supérieur de la magistrature.

Des juridictions dépendantes du ministère pour leur budget

Par ailleurs, alors que le conseil d’État négocie et administre en toute indépendance le budget qui lui est confié pour la gestion des juridictions de l’ordre administratif, les juridictions judiciaires ne bénéficient quant à elles d’aucune autonomie budgétaire. Là encore, c’est le ministère de la justice qui, seul, négocie le budget alloué aux juridictions et prend les principales décisions quant à son utilisation, notamment en matière d’affectation des magistrats et des greffiers à telle ou telle juridiction et en matière immobilière. Le pouvoir exécutif dispose ainsi d’une influence considérable sur l’activité concrète des tribunaux et, en particulier, sur leur capacité à s’acquitter de leurs missions dans de bonnes conditions.

Au final, c’est peu dire qu’il existe de significatives marges de progression si l’on veut soustraire pleinement le pouvoir judiciaire à l’influence du pouvoir exécutif. Une émancipation qui, faut-il le rappeler, n’aurait pas pour fonction d’octroyer des privilèges aux magistrats, mais tendrait uniquement à assurer à tout justiciable – et, plus largement, à tout citoyen – la garantie d’une justice véritablement indépendante, à même d’assurer à chaque personne le plein respect de ses droits, quelle que soit sa situation sociale.

The Conversation

Vincent Sizaire ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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