Avec son éphémère test anti-« wokisme », l’Oklahoma ouvre un peu plus les portes de l’école aux lobbies conservateurs

Source: The Conversation – in French – By Emery Petchauer, Visiting Professor, Teachers College, Columbia University

D’après son promoteur, le test anti-« wokisme » devait préserver les écoles de l’« idéologie gauchiste radicale ». Ici, une école abandonnée à Picher, dans l’Oklahoma. Sooner4Life/Flicker, CC BY-NC

Inspiré par PragerU, un groupe médiatique conservateur, l’examen « America-First » mêlait patriotisme, religion et croisade anti-« woke ». Même s’il a été abandonné, il laissera des traces.


Aux États-Unis, l’Oklahoma est devenu un terrain d’expérimentation pour remodeler les programmes scolaires publics selon les goûts des conservateurs et les priorités du mouvement Make America Great Again (MAGA). Avec une volonté : imposer le nationalisme chrétien dans les salles de classe.

L’ancien surintendant de l’éducation de l’État, Ryan Walters, a supervisé ces dernières années plusieurs programmes éducatifs controversés, dont l’un imposant en 2024 à tous les enseignants des écoles publiques d’Oklahoma d’intégrer la Bible dans leurs cours.

Walters a démissionné de son poste en septembre 2025 pour prendre la tête de la Teacher Freedom Alliance, un groupe de pression conservateur opposé aux syndicats d’enseignants. L’une des décisions les plus inédites de Walters avait été d’adopter une évaluation des enseignants baptisée The America-First Assessment, conçue par PragerU, un lobby conservateur américain. Walters a expliqué que l’objectif de cet examen, mis en ligne en août 2025, était d’écarter toute forme « d’endoctrinement woke ».

En autorisant cette évaluation, Walters donnait à une organisation politique conservatrice et d’extrême droite un pouvoir d’influence sur la sélection des enseignants venus d’autres États souhaitant obtenir leur licence d’enseignement en Oklahoma.L’examen n’aura pas duré longtemps. Le successeur de Walters, Lindel Fields, a annoncé fin octobre 2025 que l’Oklahoma n’utiliserait plus cette évaluation. Fields a également abrogé l’obligation d’intégrer la Bible dans les écoles publiques de l’État.

Mais d’autres États pourraient encore adopter cet examen, proposé gratuitement. L’épreuve et la controverse qu’elle a suscitée illustrent la politisation croissante des systèmes éducatifs américains, cette fois à travers la question de la délivrance des licences d’enseignement.

En tant que chercheur en éducation, j’ai déjà écrit sur d’autres dispositifs d’évaluation des enseignants et sur certaines des problématiques qui les entourent, notamment leur tendance à écarter les enseignants noirs.

L’examen anti-« woke » de Walters constitue une expérience d’un genre particulier. Ce test n’a pas été conçu par une société spécialisée dans l’évaluation professionnelle et ne mesure en rien les connaissances disciplinaires nécessaires à l’enseignement.

Un test politisé pour les enseignants

L’examen America-First comprend 34 questions à choix multiples portant sur la Constitution des États-Unis, le fonctionnement du gouvernement, la liberté religieuse, l’histoire et les décisions de la Cour suprême. Parmi les questions : « Quels sont les trois premiers mots de la Constitution ? » ou encore « Que protège le deuxième amendement ? » Certaines questions portent sur le genre et le sexe, avec des formulations telles que : « Quelle est la distinction biologique fondamentale entre hommes et femmes ? » ou encore « Quelle paire de chromosomes détermine le sexe biologique chez l’être humain ? »

Walters a clairement affiché la portée politique de cet examen.

« Nous devons nous assurer que les enseignants dans nos classes, lorsque nous recrutons ces personnes, ne soient pas une bande d’activistes woke marxistes », a déclaré Walters, en août 2025.

Il a également déclaré que l’examen avait été conçu pour écarter spécifiquement les candidats enseignants libéraux susceptibles de venir pourvoir les postes vacants en Oklahoma tout en apportant avec eux une formation progressiste sur les questions de race et de genre – ce qu’il a qualifié d’« endoctrinement des États bleus » (NDT : un État dont les résidents ont majoritairement voté pour le Parti démocrate lors de l’élection présidentielle).

Lorsque le test a été mis en ligne en août, il a été rendu obligatoire pour tous les enseignants venant d’autres États souhaitant obtenir une licence pour enseigner en Oklahoma.

Un examen impossible à rater

L’America-First Assessment ne ressemble pas aux examens de certification habituels conçus par des organismes professionnels d’évaluation. Ces derniers portent sur les connaissances disciplinaires nécessaires à l’exercice du métier : les mathématiques pour les professeurs de mathématiques, les sciences pour les professeurs de sciences, etc. Au lieu de se concentrer sur une matière précise, il reprend en grande partie les thèmes chers à la rhétorique « America First » de Donald Trump, notamment en insistant sur les questions de genre et de sexe.

L’aspect le plus frappant de cet examen, toutefois, est qu’il est impossible à rater. Si vous ne connaissez pas les trois premiers mots de la Constitution américaine, vous pouvez tenter des réponses jusqu’à trouver la bonne. En réalité, le test ne passe à la question suivante qu’une fois la bonne réponse enregistrée. Ainsi, toute personne qui le termine obtient un score parfait de 100 %.

En conséquence, comme l’ont souligné plusieurs observateurs, cet examen s’apparente davantage à un test d’idéologie politique qu’à une véritable évaluation des compétences professionnelles. Contrairement au SAT, dont le contenu est protégé par le droit d’auteur, nombre des questions de l’America-First Assessment sont publiquement accessibles.

De plus, à la différence d’examens établis comme le SAT ou le GRE, l’America-First Assessment ne fournit aucune information technique sur sa conception ni sur les compétences censées être mesurées. De ce fait, il ressemble davantage à un « test de loyauté MAGA », selon les mots de Randi Weingarten, présidente de l’American Federation of Teachers.

Une entreprise médiatique conservatrice se lance dans l’évaluation des enseignants

Le format singulier et le contenu politique de l’America-First Assessment reflètent les priorités de PragerU, le lobby conservateur qui l’a conçu. Fondé en 2009 par l’animateur de radio conservateur Dennis Prager, PragerU produit des vidéos éducatives et de divertissement inspirées par l’idéologie conservatrice. Sa chaîne compte plus de 5 000 vidéos, dont des formats courts au titre évocateur : « Make Men Masculine Again » (« Rendre aux hommes leur virilité »), « How Many Radical Islam Sleepers Are in the United States ? » (« Combien d’agents dormants de l’islam radical se trouvent aux États-Unis ? ») ou encore « America Was Founded on Freedom Not Slavery » (« L’Amérique a été fondée sur la liberté, pas sur l’esclavage »). Des figures influentes de l’extrême droite comme Ben Shapiro, Candace Owens et Charlie Kirk y ont participé.

La page principale de PragerU sur YouTube compte plus de 3,4 millions d’abonnés. Des analyses universitaires de ces vidéos ont montré que leur contenu minimise l’impact de l’esclavage et propage de la désinformation sur des sujets tels que le changement climatique.

Dans sa vidéo pour enfants intitulée « Frederick Douglass : l’abolitionniste franc et direct », le personnage animé de Douglass met en garde les enfants contre les « radicaux » qui veulent changer le système américain plutôt que d’y œuvrer de l’intérieur. « Notre système est merveilleux et notre Constitution est un texte magnifique consacré à la liberté. Tout ce que nous devons faire, c’est convaincre suffisamment d’Américains d’y rester fidèles », conclut-il.

En 2021, le think tank a lancé PragerU Kids, une déclinaison destinée aux enfants en âge d’être scolarisés et aux enseignants, proposant des plans de cours, des fiches d’activités et d’autres supports pédagogiques liés à ses vidéos. Depuis 2023, d’autres États, dont la Floride, le New Hampshire et le Montana, ont approuvé les vidéos de PragerU pour une éventuelle utilisation dans leurs écoles publiques.

L’incursion de l’entreprise dans l’évaluation des enseignants en 2025 étend désormais son influence au-delà des programmes scolaires, jusqu’à la définition de ceux qui peuvent ou non obtenir une licence d’enseignement.

Une stratégie susceptible d’inspirer d’autres États

Lors de son lancement en août 2025, Walters et la directrice générale de PragerU, Marissa Streit, ont présenté cet examen comme une option destinée à tous les États « pro-Amérique ». Certains analystes ont également salué cette stratégie, censée débarrasser les écoles publiques de tous les enseignants « woke ».

Il est donc peu probable que PragerU – ou d’autres structures privées cherchant à peser sur le choix des enseignants – en restent là.

The Conversation

Emery Petchauer ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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