L’espace-temps n’existe pas, mais c’est un cadre qui permet de comprendre notre réalité

Source: The Conversation – in French – By Daryl Janzen, Observatory Manager and Instructor, Astronomy, University of Saskatchewan

L’espace-temps fournit une description puissante de la manière dont les événements se produisent. (MARIOLA GROBELSKA/Unsplash), CC BY

La question de l’existence de l’espace-temps ne devrait pas prêter à controverse, ni même poser de problème conceptuel, si l’on tient compte des définitions des termes « espace-temps », « événement » et « instant ». L’idée que l’espace-temps existe n’est pas plus valable que la vieille croyance concernant l’existence d’une sphère céleste : dans les deux cas, il s’agit de modèles centrés sur l’observateur, efficaces et pratiques pour décrire le monde, mais qui ne représentent pas véritablement la réalité.

Pourtant, du point de vue de la physique moderne, de la philosophie, de la vulgarisation scientifique et des thèmes familiers de la science-fiction, il peut être controversé d’affirmer que l’espace-temps n’existe pas.

Mais qu’est-ce que cela signifierait pour un monde où tout ce qui s’est déjà produit ou se produira d’une manière ou d’une autre « existe » actuellement en tant que partie intégrante d’un réseau entrelacé ?

Les événements ne sont pas des lieux

Il est facile d’imaginer que les événements passés, comme la perte d’une dent ou l’annonce d’une bonne nouvelle, existent quelque part. Les représentations fictives de voyages dans le temps illustrent bien cette idée : les voyageurs temporels modifient les événements et perturbent la ligne du temps, comme si le passé et le futur étaient des lieux que l’on pouvait visiter grâce à une technologie appropriée.

C’est souvent ainsi que les philosophes présentent les choses. L’éternalisme affirme que tous les événements de toutes les époques coexistent. La théorie de l’univers-bloc en croissance propose que le passé et le présent existent, tandis que l’avenir n’existe pas encore. Pour les adeptes du présentisme, seul le présent existe, tandis que le passé a existé et que le futur existera. Et la relativité générale présente un continuum à quatre dimensions qui se courbe et se déforme – on peut facilement imaginer ce continuum d’événements comme existant réellement.

La confusion provient du sens que l’on donne au mot « exister ». Dans le cadre de l’espace-temps, on a tendance à appliquer ce terme sans discernement à une description mathématique des événements, transformant ainsi un modèle en une théorie ontologique sur la nature de l’être.

Le physicien Sean Carroll explique les concepts de présentisme et d’éternalisme.

Un ensemble d’événements

En physique, l’espace-temps désigne l’ensemble continu des événements qui se produisent dans l’espace et dans le temps, d’ici à la galaxie la plus éloignée, du big bang à un avenir lointain. Cela constitue une carte en quatre dimensions qui indique et mesure le lieu et le moment de chaque événement. En physique, un événement est un phénomène qui a lieu à un endroit et à un moment précis.

Un instant est l’ensemble tridimensionnel d’événements séparés dans l’espace qui se déroulent « en même temps » (avec la précaution habituelle de la relativité, selon laquelle la simultanéité dépend de l’état de repos relatif de chacun).

L’espace-temps est l’ensemble continu de tous les événements qui se produisent.

C’est également le moyen le plus efficace de cataloguer les événements. Ce catalogage est indispensable. D’autre part, les mots et les concepts que nous utilisons pour l’effectuer ont leur importance.

Il existe une infinité de points dans les trois dimensions de l’espace et, à chaque instant, un événement unique se produit à chaque endroit.

Positionnement au fil du temps

Les physiciens décrivent une voiture roulant en ligne droite à vitesse constante à l’aide d’un simple diagramme de l’espace-temps, avec l’emplacement sur un axe et le temps sur l’autre. Les instants s’accumulent pour former un espace-temps bidimensionnel. La position de la voiture correspond à un point pour chaque instant, et ces points se rejoignent pour constituer une ligne d’univers, c’est-à-dire un relevé complet de la position de la voiture tout au long de l’intervalle de temps. La pente de cette ligne représente la vitesse de la voiture.

Le mouvement réel est bien plus complexe. La voiture roule sur une Terre en rotation qui tourne autour du Soleil, lequel tourne autour du centre de la Voie lactée, qui dérive dans l’univers local. Pour déterminer la position de la voiture à chaque instant, il faut donc recourir à un espace-temps à quatre dimensions.

L’espace-temps est la carte qui indique où et quand les événements se produisent. Une ligne d’univers est l’enregistrement de tous les événements tout au long de la vie d’une personne. Il reste à savoir si la carte – ou l’ensemble des événements qu’elle recense – doit être considérée comme existant de la même manière que les voitures, les personnes et les lieux qu’elles atteignent.

Les objets existent

Réfléchissons à la signification du mot « exister ». Les objets, les bâtiments, les personnes, les villes, les planètes, les galaxies existent : ce sont des lieux ou ils occupent des lieux, et ils perdurent pendant un certain temps. Ils survivent aux changements et peuvent être observés à plusieurs reprises.

Considérer les occurrences comme des choses qui existent entraîne une confusion dans notre langage et nos concepts. Si l’on analyse l’espace-temps, est-ce que les événements, les instants, les lignes d’univers ou même l’espace-temps dans son ensemble existent au même titre que les lieux et les personnes ? Ou est-il plus juste de dire que les événements se produisent dans un monde qui existe ?

De ce point de vue, l’espace-temps est la carte qui enregistre ces événements, nous permettant de décrire les relations spatiales et temporelles entre eux.


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L’espace-temps n’existe pas

Les événements n’existent pas, ils se produisent. Par conséquent, l’espace-temps n’existe pas. Les événements surviennent à différents endroits au cours de l’existence, et l’occurrence d’un événement est fondamentalement différente de l’existence de quoi que ce soit, qu’il s’agisse d’un objet, d’un lieu ou d’un concept.

D’abord, il n’existe aucune preuve empirique qu’un événement passé, présent ou futur « existe » de la même manière que les choses qui nous entourent. Pour vérifier l’existence d’un événement en tant qu’objet continu, il faudrait disposer d’une machine à remonter le temps afin de l’observer en ce moment. Même les événements présents ne peuvent être examinés en tant que choses qui existent.

En revanche, les objets matériels existent. Les paradoxes liés au voyage dans le temps reposent sur l’idée erronée que les événements sont des lieux que l’on peut revisiter. Reconnaître la différence fondamentale entre occurrence et existence permet de résoudre ces paradoxes.

Ensuite, cette constatation redéfinit la philosophie du temps. Au cours du siècle dernier, de nombreux débats ont considéré les événements comme des choses qui existent. Les philosophes se sont concentrés sur leurs propriétés temporelles : un événement est-il passé, présent ou futur ? S’est-il produit avant ou après tel autre événement ?

une pipe peinte au pochoir sur un mur en béton avec les mots « ceci n’est pas une pipe » en dessous
Reproduction au pochoir de La Trahison des images, tableau de René Magritte réalisé en 1929, dans lequel l’artiste met en évidence le fait que la représentation d’un objet n’est pas l’objet lui-même.
(bixentro/Wikimedia)

Ces discussions reposent sur l’hypothèse que les événements sont des choses existantes qui possèdent ces propriétés. De là, il n’y a qu’un pas à franchir pour conclure que le temps est irréel ou que le passage du temps est une illusion, en partant du principe que le même événement peut être qualifié différemment selon les points de vue. Mais on a perdu de vue la distinction ontologique dès le départ : les événements n’existent pas, ils se produisent. Le temps et l’ordre sont des caractéristiques de la manière dont les événements s’articulent dans un monde existant, et non des propriétés d’objets existants.

Pour finir, parlons de la relativité. Cette théorie mathématique décrit un continuum espace-temps à quatre dimensions. Il ne s’agit pas d’une théorie sur une chose à quatre dimensions qui, dans le cours de son existence, se courberait et se déformerait sous l’effet de la gravité.

Clarté conceptuelle

La physique ne peut pas réellement décrire l’espace-temps lui-même comme une entité qui existe réellement ni expliquer les changements qu’il pourrait subir.

En revanche, l’espace-temps fournit une description éloquente de la manière dont les événements se produisent : comment ils s’ordonnent les uns par rapport aux autres, comment les séquences d’événements sont mesurées dans leur déroulement et comment les longueurs sont mesurées dans différents cadres référentiels. Si nous cessons d’affirmer que les événements – et l’espace-temps – existent, nous retrouvons une clarté conceptuelle sans sacrifier la moindre prédiction.

La Conversation Canada

Daryl Janzen ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. L’espace-temps n’existe pas, mais c’est un cadre qui permet de comprendre notre réalité – https://theconversation.com/lespace-temps-nexiste-pas-mais-cest-un-cadre-qui-permet-de-comprendre-notre-realite-268044