Active Clubs : le corps comme champ de bataille de l’extrême droite

Source: The Conversation – in French – By Frédérick Nadeau, Anthropologue, professionnel de recherche, Université de Sherbrooke ; Université du Québec à Montréal (UQAM)

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Sur les réseaux sociaux, des photos de jeunes hommes torse nu, bras croisés devant des drapeaux aux symboles runiques ou celtiques, se multiplient. Ces images ne viennent pas de clubs de sport ordinaires : elles montrent un réseau d’extrême droite transnational, les Active Clubs.

Derrière l’apparence anodine du fitness et des appels à devenir « la meilleure version de soi-même », ces groupes mêlent camaraderie virile, nationalisme blanc et discours accélérationnistes. Leur credo : se forger un corps fort et discipliné pour préparer une guerre raciale et participer à la « reconquête » de la civilisation occidentale.

Quand le sport devient un terrain d’endoctrinement

Les Active Clubs sont nés aux États-Unis, inspirés par le Rise Above Movement, fondé en 2017 par Robert Rundo, militant néonazi californien. Exilé en Roumanie, Rundo a imaginé une constellation de clubs locaux et décentralisés dont le principe est simple : remplacer les grandes organisations hiérarchiques par des cellules autonomes, plus difficiles à réprimer, où la pratique sportive devient un outil de radicalisation.

Aujourd’hui, on retrouve des chapitres au Canada, en Europe et jusqu’en Australie. Selon l’organisation américaine Global Project Against Hate and Extremism, leur nombre aurait augmenté de 25 % depuis 2023 (187 clubs, dans 27 pays).

En s’entraînant ensemble, les membres développent une solidarité fondée sur l’effort, la discipline et la loyauté, des valeurs phares de l’idéologie fasciste. Le corps musclé, endurant, prêt au combat devient le symbole d’un ordre moral et racial à restaurer.

Le penseur d’extrême droite italien Julius Evola mis de l’avant par les Active Clubs.
(Message de Gym XIV sur le canal Telegram SoCal Active Club, juin 2025, consulté le 11 juin 2025), CC BY

Inspirée par la pensée « accélérationniste – une idéologie qui appelle à provoquer, voire à précipiter l’effondrement de la société libérale pour permettre la « renaissance » d’une civilisation blanche –, cette vision se traduit dans des milliers de publications diffusées sur des applications de messagerie sécurisée comme Telegram. Les vidéos, images et symboles partagés créent une culture visuelle unifiée : celle d’un nationalisme blanc 3.0, globalisé et esthétiquement séduisant.

Au Canada, certains membres des Active Clubs ont été liés à des organisations désignées terroristes comme AtomWaffen Division (AWD). Après la condamnation de son propagandiste Patrick Gordon MacDonald en 2025, plusieurs sympathisants d’AWD se sont réorientés vers les Active Clubs.

Le corps comme instrument de radicalisation

Les publications des Active Clubs montrent souvent des entraînements collectifs, des randonnées en forêt ou des séances de boxe en plein air. Les messages sur Telegram insistent sur la rigueur, la virilité et la fraternité. On peut lire sur un canal du réseau :

Nous rejetons la faiblesse, la passivité et la décadence de notre époque. À leur place, nous cultivons la préparation physique, la force mentale et un engagement indéfectible envers notre peuple et notre mission. Par l’entraînement, la discipline et l’épreuve partagée, nous devenons plus forts – individuellement et collectivement.

Ce discours illustre ce que nous appelons « l’engagement corporel » : une manière d’incarner politiquement ses convictions à travers le corps, le style de vie et les gestes du quotidien. Dans cette logique, le politique se vit d’abord comme un rapport à soi. Les militants sont encouragés à transformer leur alimentation, leur apparence, leurs loisirs, et même leurs relations intimes pour correspondre à l’idéal promu par le mouvement.

Cette stratégie donne une dimension sensible et émotionnelle à l’idéologie. Elle rend la radicalité expérientielle : on n’adhère pas seulement à des idées, on les vit, on les ressent, on les performe. C’est l’une des raisons rendant les Active Clubs séduisants pour certains jeunes hommes en quête de sens, de communauté et de modèles masculins.

Des hommes se battent
Les Active Clubs veulent donner un visage respectable à l’extrême droite.
(Canal Telegram AC x OFFICIAL), CC BY

Une sociabilité viriliste qui radicalise sans en avoir l’air

À la différence des organisations explicitement politiques, les Active Clubs investissent des espaces ordinaires. Sur les réseaux, ils se mettent en scène à l’entraînement, faisant du bénévolat ou nettoyant des lieux publics, des activités qui deviennent des rituels de socialisation et donnent l’image d’une jeunesse disciplinée et, surtout, fréquentable, loin des clichés du militant néonazi qui circulent dans la culture populaire. On peut lire sur le canal Telegram du SoCal Active Club :

Les Active Clubs ne devraient pas être menaçants ni effrayants ; cette image est dépassée et de mauvais goût. Les jeunes veulent avant tout s’épanouir à travers la fraternité et l’influence positive du modèle des Active Clubs

Des hommes se battent
Les Active Clubs font la promotion de l’action communautaire.
(Publiée sur le canal AC x OFFICIAL, consulté le 22 juillet 2025), CC BY

Sous couvert de sport et de camaraderie, les Active clubs opèrent un travail de politisation en douceur, inculquant progressivement des récits d’identité, de hiérarchie et de pureté morale et raciale. Leurs publications opposent systématiquement une distinction fréquente dans les idéologies fascistes entre les « forts » – sains, disciplinés – et les « faibles », décrits comme parasites à la morale décadente. Ces images produisent un sentiment d’appartenance fondé sur la fierté d’être du « bon côté » : celui des forts, des purs, des éveillés.




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Le fascisme sous le masque du bien-être

Ce qui rend les Active Clubs particulièrement dangereux, c’est leur capacité à déplacer la radicalisation politique vers le champ du quotidien, à la transformer en culture du bien-être. En reprenant le langage du dépassement de soi, de la fraternité et de la discipline, ils esthétisent la violence plutôt que de la rejeter. Là où les groupuscules néofascistes ou skinheads exhibaient une brutalité frontale et une esthétique marginale, les Active Clubs transforment cette violence en valeur morale, la présentant comme une expression de santé, d’honneur et de loyauté.


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Cette esthétisation du politique brouille les repères : elle rend la radicalité attirante, presque inspirante, en s’appuyant sur des émotions positives (le courage, la loyauté, l’accomplissement de soi) pour légitimer des idéaux autoritaires.

À travers une rhétorique et une esthétique empruntées au bien-être et à la performance, les Active Clubs transforment le fascisme en un mode de vie désirable.

Des hommes alignés tiennent une banderole
À travers les Active Clubs, on assiste à la transnationalisation du nationalisme blanc, écrivent les auteurs.
(Message repéré sur le canal Telegram Nationlist-13, 21 avril 2025, consulté le 3 juin 2025), CC BY

Déjouer la séduction viriliste de l’extrême droite

Pour comprendre ces nouvelles formes de radicalisation, il ne suffit plus d’étudier les discours ou programmes politiques ; il faut observer les corps, les gestes et les affects.

Les Active Clubs montrent que la bataille culturelle se joue désormais aussi dans les gyms, les stories Instagram et les podcasts de développement personnel. Pour changer le monde, il faut d’abord se changer soi.




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En donnant à la radicalité les apparences du dépassement personnel et de la camaraderie, les Active Clubs participent à une banalisation de l’extrême droite. Ils traduisent certains codes du fascisme – hiérarchie, pureté, virilisme – dans le langage néolibéral de la performance, du bien-être et de la santé. En fusionnant culte du corps et idéologie radicale, ils rendent le fascisme désirable, car compréhensible à travers des valeurs hégémoniques liées à l’individualisme. Ce faisant, ils contribuent à l’émergence d’un nouveau nationalisme blanc : moins frontalement politique, mais plus diffus, plus culturel, et donc plus difficile à repérer et à combattre pour les autorités policières, mais aussi pour les parents, les éducateurs et la société civile en général.

Reconnaître cette dimension corporelle et esthétique de l’extrême droite est essentiel, car c’est souvent dans les espaces les plus ordinaires du quotidien que s’opère la radicalisation.

La Conversation Canada

Frédérick Nadeau a reçu des financements du Conseil de recherche en sciences humaines du Canada (CRSH) et des Fonds de recherche du Québec (FRQ).

Tristan Boursier a reçu des financements du Fonds de recherche du Québec (FRQ).

ref. Active Clubs : le corps comme champ de bataille de l’extrême droite – https://theconversation.com/active-clubs-le-corps-comme-champ-de-bataille-de-lextreme-droite-268338