Crimes contre l’environnement dans la guerre en Ukraine : que dit le droit ?

Source: The Conversation – in French – By Nicolas Ligneul, Maitre de Conférences en Droit Public (HDR) à la Faculté de Droit, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)

Les atteintes à l’environnement sont multiples dans le cadre de la guerre en Ukraine. Peuvent-elles susciter des poursuites – et des indemnisations – en tant que telles ? Le droit international comporte de nombreuses dispositions qui permettent de répondre à cette question.


Dès l’été 2022, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) ont mis en évidence les dommages considérables subis par l’Ukraine du fait de l’invasion à grande échelle de son territoire par la Russie qui avait été lancée quelques mois plus tôt.

Les dommages infligés à l’environnement étaient alors déjà très nombreux et ont encore nettement augmenté depuis. Ces rapports pointaient notamment les nombreuses contaminations aux produits chimiques en raison du pilonnage par l’armée russe des installations industrielles ; les dommages causés aux infrastructures de fourniture d’eau ; la destruction des forêts en raison des opérations ; la production de déchets militaires lourds ; ou encore la pollution de l’air, de l’eau et du sol.

Comme tous les conflits de haute intensité, la guerre en Ukraine a donc produit d’importants dommages environnementaux.

Dommages intentionnels causés à l’environnement

Lors de sa 62e session plénière en mars 2025, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du Climat (Giec) a rappelé le principe selon lequel l’émetteur du carbone doit être tenu pour responsable des dommages qu’il cause.

Appliqué à la guerre en Ukraine, ce principe, qui est reconnu par de nombreux États et par le Giec, devrait conduire à une indemnisation par la Russie des dommages environnementaux observés en Ukraine du fait de la guerre.

Les dommages collatéraux provoqués à l’environnement en Ukraine à la suite de l’invasion russe sont donc des dommages de guerre et devraient être indemnisés à ce titre (pour une analyse générale des rapports entre le droit de la guerre et le développement durable, cf. Nicolas Ligneul, « Guerre et développement durable, la perspective du juriste », in le Développement durable, J.-L. Bischoff et C. Vivier Le Got (dir.), Connaissances et Savoirs, Paris, 2025).

Depuis 2022, ces dommages environnementaux ont changé de nature. Aujourd’hui, il ne s’agit plus de dégâts collatéraux accidentels. De nombreux dommages environnementaux constatés en Ukraine ont été délibérément infligés par la Russie. Mais bien qu’intentionnels, certains de ces dommages ne sont pas susceptibles d’être qualifiés de crimes de guerre, alors que d’autres peuvent donner lieu à des poursuites au nom du droit des conflits armés.

En conduisant des opérations militaires sur le territoire de zones protégées pour la défense de l’environnement, l’armée russe a intentionnellement causé des dommages environnementaux. À droit constant, si ces dommages sont justifiés par une opération militaire, ils ne sont pas constitutifs de crimes de guerre du point de vue du statut de Rome ou des conventions de Genève.

Par exemple, transformer la centrale nucléaire de Zaporijia en camp militaire comme l’a fait la Russie, et plus généralement miner ou bombarder des centrales nucléaires ne constituent pas des crimes de guerre, même si ces attitudes sont gravement irresponsables et dangereuses.

Les dommages environnementaux engendrés par ces comportements ne seront probablement jamais indemnisés.

Les instruments internationaux d’indemnisation des dommages environnementaux à l’occasion des conflits armés sont très insuffisants. Ainsi, la convention du 10 décembre 1976 relative à l’interdiction d’utiliser des techniques de modification de l’environnement à des fins militaires ou toutes autres fins hostiles prévoit la possibilité de déposer une plainte devant le Conseil de Sécurité de l’ONU si un État a commis une atteinte à l’environnement à des fins militaires. Bien qu’elle ait été ratifiée par l’Union soviétique (et est donc censée être appliquée par la Russie, qui a repris les engagements juridiques de l’URSS) puis par l’Ukraine une fois celle-ci devenue indépendante, sa portée est si limitée qu’elle ne risque pas d’avoir une influence quelconque sur les atteintes environnementales constatées en Ukraine.

C’est donc le droit commun des dommages de guerre ou le droit ukrainien, lequel reconnaît la qualification d’écocide, qu’il faut mobiliser pour une telle indemnisation. Or, le droit ukrainien ne risque pas d’être imposé aux autorités russes.

Quant au régime des dommages de guerre, face à l’ampleur des dégâts, il ne permettra probablement pas de financer une reconstruction verte pourtant promue par les organisations internationales. C’est la raison pour laquelle les pouvoirs publics ukrainiens et de nombreuses organisations non gouvernementales ont tenté de faire reconnaître un « écocide » en droit international et de créer un régime juridique spécifique d’indemnisation. À ce jour, ce projet n’a pas abouti.

Pour qu’il y ait une justice environnementale lors du règlement de la guerre en Ukraine, il faudra donc avoir recours aux qualifications de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. C’est donc vers les dommages environnementaux causés intentionnellement par la Russie susceptibles d’être qualifiés de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité qu’il faut se tourner.

La Cour pénale internationale peut-elle agir ?

Certaines atteintes à l’environnement pourraient correspondre à la définition des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité.

Le plus souvent, les accords environnementaux ne contiennent pas de réserves relatives à la guerre. Or, l’environnement naturel bénéficie d’une protection générale, comme tous les biens civils. Il bénéficie aussi d’une protection spéciale (Cf. articles 54 à 56 du Protocole additionnel n°1 aux conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux). Le droit international protège ainsi les ouvrages et installations contenant des « forces dangereuses », à savoir les barrages, les digues et les centrales nucléaires de production d’énergie électrique – des installations dont la destruction causerait un préjudice important à la population civile.

Lorsque des installations ou ouvrages contenant des forces dangereuses sont présentes sur les théâtres d’opérations ou à proximité, elles bénéficient d’une protection prévue par le droit international conventionnel et coutumier. Elles ne peuvent pas être détruites. Cela causerait trop de risques pour la population et pour l’environnement. La protection de ces installations est toutefois limitée à l’hypothèse où ces ouvrages ne sont pas utilisés à des fins militaires. Dans le cas contraire, leur attaque devient conforme au droit de la guerre, à condition d’être strictement nécessaire et proportionnée.

Ainsi, lorsque l’armée russe a détruit le barrage de Kakhovka, ou bombardé la centrale nucléaire de Tchernobyl, elle a porté atteinte à la protection spéciale reconnue par le droit international.

La violation de la protection spéciale est susceptible d’être qualifiée de crime de guerre. De même, si les autorités d’un pays belligérant décident de bombarder les infrastructures énergétiques de son ennemi dans un plan d’ensemble pour faire mourir de froid une population entière, l’attaque peut être constitutive d’un crime de guerre ou d’un crime contre l’humanité.

C’est la raison pour laquelle une procédure a été introduite à l’encontre de plusieurs responsables russes sur ce fondement à la Cour pénale internationale (CPI). La CPI permettra peut-être de condamner les auteurs de ces crimes, mais la pratique de l’indemnisation des victimes des crimes de guerre et l’absence évidente de prise de conscience de ces phénomènes par les États occidentaux font craindre que l’indemnisation du dommage environnemental soit très insuffisante.

The Conversation

Nicolas Ligneul ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Crimes contre l’environnement dans la guerre en Ukraine : que dit le droit ? – https://theconversation.com/crimes-contre-lenvironnement-dans-la-guerre-en-ukraine-que-dit-le-droit-267066