Source: The Conversation – in French – By Sameer Jauhar, Clinical Associate Professor, Imperial College London

Pendant des décennies, les psychiatres ont traité la psychose comme s’il s’agissait de troubles distincts. Les personnes souffrant d’hallucinations et de délires pouvaient être diagnostiquées comme schizophrènes, bipolaires, dépressives sévères ou autres troubles apparentés. Elles recevaient alors des traitements complètement différents selon le diagnostic. Mais de nouvelles recherches suggèrent que cette approche pourrait être fondamentalement erronée.
Notre dernière étude, publiée dans la revue Jama Psychiatry, révèle que les changements cérébraux à l’origine des symptômes psychotiques sont remarquablement similaires dans ces troubles mentaux considérés comme distincts. Ces résultats pourraient changer la façon dont les médecins choisissent les traitements pour les millions de personnes dans le monde qui souffrent de psychose.
La psychose, en ensemble de symptômes difficiles
La psychose en soi n’est pas une maladie, mais plutôt un ensemble de symptômes graves, qui empêchent de distinguer la réalité de sa propre perception. Les personnes touchées peuvent entendre des voix inexistantes, adhérer avec conviction à des croyances erronées, ou éprouver une pensée confuse et incohérente. Ces symptômes apparaissent soudainement et sont terrifiants, qu’ils surviennent seuls ou en parallèle avec la dépression ou la manie.
Nous avons étudié 38 personnes souffrant de leur premier épisode psychotique accompagné de symptômes de l’humeur, en les comparant à des volontaires en bonne santé. À l’aide d’une technologie de pointe d’imagerie cérébrale, nous avons mesuré la synthèse de dopamine, un neurotransmetteur lié à la motivation et à la récompense, dans différentes zones cérébrales.
Une découverte qui change la perspective
Nous avons constaté que les personnes souffrant d’épisodes maniaques présentaient une synthèse de dopamine plus élevée dans les zones du cerveau liées au traitement des émotions que celles souffrant de dépression. Toutefois, un schéma commun est apparu chez tous les participants : une synthèse de dopamine accrue dans les zones cérébrales liées à la réflexion et à la planification était systématiquement associée à des symptômes psychotiques plus graves (hallucinations et délires), quel que soit leur diagnostic officiel.
Cette découverte remet en question certains aspects de la pratique psychiatrique moderne. De nos jours, les décisions thérapeutiques reposent largement sur des catégories diagnostiques qui ne reflètent pas nécessairement ce qui se passe réellement dans le cerveau des patients. Deux patients présentant les mêmes symptômes peuvent recevoir des médicaments différents simplement parce que l’un a été diagnostiqué comme souffrant de trouble bipolaire et l’autre de dépression.
Notre étude montre que le dysfonctionnement de la dopamine n’est pas uniforme dans la psychose. Pour aller au-delà de la prescription par procédé par tâtonnements, il faut adapter les traitements à la biologie sous-jacente plutôt qu’aux seules catégories diagnostiques.

(Yurii Maslak/Shutterstock)
Vers une psychiatrie de précision
Les implications pourraient être profondes. Plutôt que de baser le traitement uniquement sur des catégories psychiatriques, les médecins pourraient bientôt utiliser des marqueurs biologiques pour identifier les médicaments les plus efficaces pour chaque patient. Cette approche, appelée psychiatrie de précision (inspirée de la médecine personnalisée), s’inspire de la manière dont les oncologues adaptent déjà les traitements contre le cancer à la composition génétique de tumeurs.
Pour les personnes atteintes de psychose, cela pourrait signifier un rétablissement plus rapide et moins d’effets secondaires, en remplaçant les médicaments qui ne fonctionnent pas. Trouver le bon traitement prend souvent des mois d’essais, durant lesquels les symptômes persistent.
Nos recherches suggèrent que les personnes dont la psychose s’accompagne de symptômes d’humeur importants pourraient bénéficier de médicaments ciblant les circuits cérébraux liés aux émotions. Celles qui n’ont pas de troubles de l’humeur pourraient nécessiter des traitements agissant sur les zones du cerveau impliquées dans la pensée et la planification. Certaines personnes pourraient même bénéficier de traitements qui ciblent simultanément les problèmes cognitifs, les hallucinations et les délires.
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Limites et perspectives
Cela ne signifie pas que les diagnostics psychiatriques sont inutiles. Ils restent essentiels pour organiser les services de santé, faciliter la communication entre les professionnels et déterminer l’accès au traitement. Mais ils ne sont peut-être plus le meilleur guide pour choisir les médicaments.
L’étude a porté sur un nombre relativement restreint de personnes, et les résultats doivent être reproduits dans des groupes plus importants avant de modifier la pratique clinique. Néanmoins, cette recherche représente une avancée significative vers une approche plus scientifique et plus biologique du traitement de l’un des symptômes les plus difficiles à traiter en psychiatrie.
À mesure que notre compréhension du cerveau progresse, les catégories rigides qui ont dominé la psychiatrie pendant des décennies commencent à s’estomper. Si le cerveau (et la nature) ne respecte pas les frontières diagnostiques, nos traitements ne devraient pas non plus les respecter.
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Le Dr Jauhar a déclaré avoir reçu des honoraires personnels de Recordati, LB Pharmaceuticals, Boehringer Ingelheim, Wellcome Trust, Lundbeck, Janssen et Sunovion, ainsi qu’un soutien non financier de la part du National Institute for Health and Care Excellence, de la British Association for Psychopharmacology et du Royal College of Psychiatrists, en dehors du travail soumis.
Robert McCutcheon reçoit des honoraires personnels de Boehringer Ingelheim, Janssen, Karuna, Lundbeck, Newron, Otsuka et Viatris, en dehors du travail soumis.
– ref. Les psychoses ont souvent la même origine, mais les diagnostics sont multiples. Voici pourquoi cela pose problème – https://theconversation.com/les-psychoses-ont-souvent-la-meme-origine-mais-les-diagnostics-sont-multiples-voici-pourquoi-cela-pose-probleme-263971
