Source: The Conversation – in French – By Adam Grippin, Physician Scientist in Cancer Immunotherapy, The University of Texas MD Anderson Cancer Center

Les vaccins contre le Covid-19 à base d’ARN messager, qui ont sauvé 2,5 millions de vies dans le monde pendant la pandémie, pourraient aussi stimuler le système immunitaire, aidant ainsi à combattre le cancer. C’est la conclusion, aussi inattendue que marquante, d’une nouvelle étude publiée dans la revue Nature.
En 2016, notre équipe, dirigée par le pédiatre oncologue Elias Sayour, développait des vaccins à ARN messager (ARNm) pour tenter de soigner des patients atteints de tumeurs cérébrales. Au cours de ces travaux, nous avons découvert que l’ARNm était capable d’entraîner le système immunitaire à détruire les tumeurs. Et ce, même lorsque ledit ARNm n’a aucun lien avec le cancer.
Partant de ce constat, nous avons émis l’hypothèse que les vaccins à ARNm conçus pour cibler le SARS-CoV-2, le virus responsable du Covid-19, pourraient également présenter des effets antitumoraux.
Renforcer les capacités naturelles de l’organisme
Afin de le vérifier, nous avons examiné les résultats cliniques de plus de 1 000 patients atteints de mélanome ou de cancer du poumon à un stade avancé, auxquels avait été prescrit un traitement par inhibiteurs de points de contrôle immunitaire. Cette prise en charge fait partie des immunothérapies : son objectif est de renforcer les capacités naturelles de l’organisme à éliminer les cellules cancéreuses.
Couramment utilisée par les médecins, l’approche basée sur l’emploi d’inhibiteurs de point de contrôle consiste à bloquer une protéine produite et utilisée par les cellules tumorales. Ladite protéine est employée par ces dernières « pour éteindre » les cellules immunitaires, et ainsi éviter d’être repérées et éliminées par les défenses de l’organisme. Bloquer cette protéine tumorale permet de remettre les cellules cancéreuses sur le radar du système immunitaire.
Nos résultats ont révélé que, de façon remarquable, les patients qui ont reçu le vaccin anti-Covid-19 à ARNm des laboratoires Pfizer ou Moderna dans les cent jours qui ont suivi le début de l’immunothérapie avaient plus de deux fois plus de chances d’être en vie au bout de trois ans que ceux qui n’avaient reçu aucun des deux vaccins.
Fait surprenant, les patients porteurs de tumeurs connues pour répondre généralement mal à l’immunothérapie ont eux aussi tiré un bénéfice très important de cette vaccination : leur taux de survie globale à trois ans s’est nettement amélioré, puisqu’il a été multiplié par cinq.
Ce lien entre administration d’un vaccin anti-Covid-19 à ARNm et amélioration de la survie est resté robuste même après ajustement pour des facteurs tels que la gravité de la maladie et la prise en compte d’éventuelles comorbidités (des pathologies ou troubles présents en même temps que la maladie, ndlr).
Pour comprendre le mécanisme sous-jacent à ces résultats, nous avons eu recours à des modèles animaux. Ces travaux nous ont permis de découvrir que les vaccins anti-Covid-19 à ARNm agissent comme un signal d’alarme. Ils déclenchent la reconnaissance et la destruction des cellules tumorales par le système immunitaire, contrecarrant ainsi la capacité du cancer à désactiver les cellules immunitaires.
Lorsque de tels vaccins sont associés à une immunothérapie par inhibiteurs de points de contrôle, les deux traitements se coordonnent, ce qui libère contre les cellules cancéreuses toute la puissance du système immunitaire.
En quoi est-ce important ?
Au cours de la dernière décennie, l’immunothérapie par inhibiteurs de points de contrôle a révolutionné le traitement du cancer. Elle a permis de guérir de nombreux patients auparavant considérés comme incurables. Toutefois, ces thérapies restent inefficaces chez les patients présentant des « tumeurs froides » (peu infiltrées par les cellules immunitaires, ndlr), qui parviennent à échapper à la détection immunitaire.
Nos observations laissent penser que les vaccins à ARNm pourraient fournir l’étincelle nécessaire pour transformer ces « tumeurs froides » en « tumeurs chaudes » (qui contiennent des lymphocytes T et répondent mieux aux immunothérapies, ndlr). Nous sommes en train de monter un essai clinique pour confirmer ces résultats. Si ses conclusions sont positives, nous espérons que le recours à cette intervention, largement disponible et peu coûteuse, permettra à des millions de patients de profiter des bénéfices de l’immunothérapie.

Thom Leach/Science Photo Library/Getty Images
D’autres travaux de recherche sont en cours
Contrairement aux vaccins destinés à lutter contre les maladies infectieuses, qui sont utilisés pour prévenir une infection, les vaccins thérapeutiques contre le cancer sont employés en vue d’entraîner le système immunitaire des patients à mieux combattre les tumeurs.
Comme de nombreux autres scientifiques, nous travaillons activement à concevoir des vaccins à ARNm personnalisés destinés aux patients atteints de cancer. Pour y parvenir, nous prélevons un petit échantillon de la tumeur d’un patient, puis nous cherchons à prédire quelles protéines tumorales constitueraient, pour cet individu, les meilleures cibles pour le vaccin en question, grâce à des algorithmes d’apprentissage automatique. Toutefois, cette approche peut s’avérer coûteuse et les vaccins résultants, complexes à fabriquer.
A contrario, les vaccins à ARNm anti-Covid-19 n’ont pas besoin d’être personnalisés. Par ailleurs, ils sont déjà disponibles dans le monde entier, à faible coût ou gratuitement, et pourraient être administrés à tout moment au cours du traitement d’un patient.
Nos résultats, qui indiquent que ces vaccins possèdent d’importants effets antitumoraux, suggèrent que l’on pourrait aussi les utiliser pour contribuer à étendre à tous les patients les bénéfices anticancéreux des vaccins à ARNm. Dans cette optique, nous nous préparons à tester cette stratégie thérapeutique dans le cadre d’un essai clinique national.
Perspectives
L’essai clinique que nous allons mener concernera des personnes atteintes d’un cancer du poumon. Les participants recevant un inhibiteur de point de contrôle immunitaire seront répartis aléatoirement dans deux groupes. Les membres de l’un des groupes recevront un vaccin anti-Covid-19 à ARNm au cours de leur traitement, tandis que ceux de l’autre n’en recevront pas.
Cette étude nous permettra de déterminer si les vaccins à ARNm contre la Covid-19 devraient être inclus dans les protocoles de soins standards prodigués aux personnes qui reçoivent un inhibiteur de point de contrôle immunitaire. En définitive, nous espérons que cette approche aidera de nombreux patients traités par immunothérapie, en particulier ceux qui, aujourd’hui, disposent de peu d’options thérapeutiques efficaces.
Ce travail illustre comment un outil né d’une pandémie mondiale pourrait se transformer en une nouvelle arme pour lutter contre le cancer, étendant rapidement à des millions de patients les avantages des traitements existants. En exploitant un vaccin familier d’une nouvelle manière, nous espérons que des patients atteints du cancer et jusqu’à présent laissés pour compte pourront avoir accès aux bénéfices de l’immunothérapie.
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Adam Grippin reçoit des financements du National Cancer Institute (NCI), de l’American Brain Tumor Association et de la Radiological Society of North America. Il est l’inventeur de brevets liés aux thérapies à base d’ARNm qui font l’objet d’une option de licence par iOncology. Il est actuellement employé par le MD Anderson Cancer Center et consultant pour Sift Biosciences.
Christiano Marconi travaille pour l’université de Floride. Il reçoit des fonds du centre de cancérologie UF Health Cancer Center.
– ref. Les vaccins à ARNm anti-Covid 19 vont-ils révolutionner le traitement du cancer ? – https://theconversation.com/les-vaccins-a-arnm-anti-covid-19-vont-ils-revolutionner-le-traitement-du-cancer-268419
