Bamako assiégée : pourquoi l’armée malienne peine à briser le blocus djihadiste de la capitale

Source: The Conversation – in French – By Oluwole Ojewale, Research Fellow, Obafemi Awolowo University, Regional Coordinator, Institute for Security Studies

Lorsque l’armée a renversé le gouvernement démocratiquement élu au Mali en 2020, le général Assimi Goita, chef du coup d’État, a promis d’éradiquer les djihadistes dans le nord du pays. Mais, depuis plus de 10 ans, le Mali tente, en vain, de les vaincre.

Plusieurs groupes terroristes opèrent au Mali. Un groupe lié à Al-Qaïda, connu localement sous le nom de Jama’at Nusrat al-Islam wal-Muslimin (JNIM), est le plus meurtrier, Il se distingue par l’audace et l’ampleur de ses attaques. Ce groupe rejette l’autorité de l’État et cherche à imposer son interprétation de l’islam et de la charia.

Malgré l’engagement du gouvernement militaire à renforcer la sécurité, les violences à l’encontre des civils ont augmenté de 38 % au Mali en 2023, comme le rapporte l’Armed Conflict Location and Event Data.

Human Rights Watch rapporte que les groupes armés islamistes ont mené 326 attaques contre des civils entre le 1er janvier et le 31 octobre 2024, faisant 478 morts.

En septembre 2024, le JNIM a attaqué l’aéroport international de Bamako et un camp militaire dans la capitale.

Après des années d’attaques de plus en plus nombreuses, l’insurrection au Mali est entrée dans une nouvelle phase. La violence s’est désormais propagée du nord et du centre du Mali vers le sud du pays. Le blocus du sud du Mali imposé par le JNIM depuis septembre 2025 a coupé les routes commerciales, affamé les villes et mis à rude épreuve l’autorité de l’État sur ce pays enclavé.

En tant que spécialiste des questions de sécurité en Afrique de l’Ouest et du Centre, j’ai mené des recherches sur la sécurité au Mali en abordant des thèmes plus larges tels que le terrorisme et le trafic d’armes. Je pense que la dernière stratégie du JNIM est particulièrement dangereuse, car son objectif est à la fois stratégique, économique, psychologique et politique.

Ces blocus sont des instruments délibérés de gouvernance coercitive et de guerre asymétrique (un conflit entre des combattants irréguliers et l’armée), destinés à provoquer la colère de la population et renforcer l’autorité des djihadistes.

Je pense que l’armée malienne n’a pas réussi à déloger les terroristes parce que les zones de blocus sont vastes, semi-arides et traversées par des routes non contrôlées, rendant toute surveillance difficile. Beaucoup de ces zones se trouvent hors de portée d’une présence étatique efficace. Dans ces zones, les mouvements de l’armée sont prévisibles et lents, tandis que les insurgés se fondent relativement facilement dans les communautés locales et les forêts.

Le terrain favorise les tactiques de guérilla : les routes étroites, les chemins de brousse et les rivières saisonnières créent des obstacles naturels aux mouvements militaires mécanisés. En revanche, les groupes terroristes équipés de motos peuvent facilement se déplacer.

Le blocus

Le blocus du sud du Mali, qui a commencé en septembre 2025, a privé la région de ses approvisionnements essentiels. Cela a de graves conséquences humanitaires et économiques.

Le Mali a récemment suspendu les cours dans les écoles et les universités en raison d’une grave pénurie de carburant causée par le blocus. Ce siège montre que l’armée est mal équipée, débordée et stratégiquement désavantagée pour contrer les tactiques terroristes en constante évolution.

Le blocus n’est pas un siège militaire conventionnel impliquant des tranchées ou des positions fortifiées. Il s’agit plutôt d’une stratégie de perturbation en réseau, consistant à bloquer les routes qui relient le Mali à ses voisins côtiers, notamment le Sénégal et la Côte d’Ivoire.

Ces routes sont des artères vitales pour l’économie malienne, servant de corridors pour le commerce, le carburant et les approvisionnements humanitaires. Les couper isole non seulement les communautés, mais sape également la confiance du public dans la capacité de l’État à gouverner et à sécuriser ses périphéries.

Les contraintes de l’armée

L’incapacité de l’armée malienne à lever les blocus s’explique par le fait qu’elle mène un conflit irrégulier et asymétrique contre un groupe insurgé mobile et profondément enraciné. Les forces armées maliennes sont structurées pour la guerre conventionnelle, mais elles sont entraînées dans une bataille qui exige de la flexibilité, la maîtrise du renseignement et des capacités de réaction rapide.

Le JNIM, quant à lui, tire parti de sa mobilité et de sa décentralisation. Ses combattants se déplacent rapidement, utilisant des motos et des armes légères. Ils peuvent frapper rapidement et se replier dans des terrains difficiles avant que les forces de l’État ne puissent réagir.

Comme je l’ai écrit ailleurs, le Mali manque de capacités militaires et ne peut pas facilement en acquérir en raison des sanctions actuelles et de son isolement international.

Bien que la junte ait sollicité l’aide du groupe russe Wagner (aujourd’hui Africa Corps) dans le cadre d’un partenariat militaire, ces collaborations n’ont donné que peu de résultats.

Lorsque le JNIM impose simultanément plusieurs blocus dans le sud du Mali, l’armée se retrouve débordée. Ses forces sont trop dispersées pour mener une contre-offensive coordonnée et soutenue. Les renforts sont victimes d’embuscades sur des routes en mauvais état ou se perdent dans des zones qu’ils connaissent mal.

Géographie, gouvernance et décentralisation stratégique

La géographie contribue à expliquer la paralysie de l’armée malienne. Les zones sous blocus sont vastes et difficiles d’accès. Le terrain est semé d’obstacles naturels.

L’État malien a longtemps lutté pour étendre sa présence au-delà des centres urbains comme Bamako et Ségou. Dans les zones rurales, l’arrivée de l’armée est souvent perçue non pas comme un retour de l’État, mais comme une intrusion, avec le risque de violations des droits humains.

Des décennies de négligence, de corruption et de pratiques abusives de contre l’insurrection ont créé une distance avec les populations locales et affaibli les réseaux de renseignement.

Les opérations de blocus visent à paralyser Bamako. Autrefois confiné aux déserts du nord et aux plaines du centre du pays, le JNIM a, au cours des dernières années, progressé régulièrement vers le sud, menant des attaques sporadiques près de la capitale.

Comment expliquer cette audace grandissante d’un groupe armé seulement de motos et de kalachnikovs ?

La réponse réside dans son organisation. Contrairement aux mouvements qui dépendent d’une structure de commandement unique, le JNIM fonctionne comme un réseau hautement décentralisé de cellules semi-autonomes. Cela lui permet de s’adapter rapidement aux conditions locales, d’exploiter les faiblesses de l’État et d’étendre son influence sans surexploiter ses ressources. Chaque cellule s’appuie sur les griefs locaux pour recruter et mener ses opérations.

L’adaptabilité est la plus grande force du JNIM et la principale faiblesse de l’État malien.

Le paradoxe de la militarisation

Malgré l’augmentation des dépenses militaires, les nouvelles alliances et la rhétorique agressive, l’emprise territoriale et la sophistication tactique du JNIM n’ont cessé de croitre.

Plus l’État se militarise, moins ses citoyens semblent en sécurité.

Ce paradoxe reflète une tendance plus large au Sahel. Les efforts de contre-insurrection sont principalement militaires, sans aborder les conditions socio-économiques et de gouvernance qui alimentent les insurrections.

La corruption, les inégalités et la marginalisation locale font partie de ces conditions. Ainsi, les campagnes militaires deviennent de simples exercices de confinement plutôt que de résolution. Dans ce contexte, les blocus et les incursions du JNIM ne sont pas seulement des manœuvres militaires, mais ils traduisent aussi une réalité politique d’une autorité politique affaiblie dans l’arrière-pays.

Une guerre au-delà de la puissance de feu

Le blocus dans le sud du Mali révèle les limites d’une réponse centrée sur la puissance militaire de l’État dans un conflit asymétrique. Pour lever définitivement les blocus, il faut plus que des victoires tactiques. Il faut repenser la notion de sécurité.

Le gouvernement militaire doit coopérer avec ses voisins tels que le Sénégal et la Côte d’Ivoire.

Plus important encore, la reconquête du territoire doit aller de pair avec le rétablissement de la confiance, la restauration de la gouvernance et la résolution des griefs. D’ici là, les motos et les AK-47 du JNIM continueront de surpasser les chars et la rhétorique de la junte militaire malienne.

The Conversation

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