Source: The Conversation – in French – By Olivier Walther, Associate Professor in Geography, University of Florida
Une coalition de groupes djihadistes affiliés à Al-Qaïda a assiégé la capitale du Mali. Depuis plus d’un mois, ils attaquent les convois d’approvisionnement de ce pays enclavé d’Afrique de l’Ouest. Ces attaques ciblent notamment ceux qui approvisionnent Bamako en carburant. Cette stratégie vise à exercer une pression considérable sur la junte militaire qui dirige le pays depuis cinq ans.
La situation sécuritaire s’est tellement détériorée que les États-Unis ont demandé à tous leurs ressortissants de quitter immédiatement le pays. Après plus de 10 ans d’insurrection armée, le blocus djihadiste conduira-t-il à la chute de la capitale ? The Conversation Africa s’est entretenu avec des chercheurs du Sahel Research Group de l’université de Floride.
Quelle est la situation actuelle à Bamako ?
Les attaques contre les infrastructures de transport et les convois circulant entre les centres urbains au Sahel ont considérablement augmenté depuis la fin des années 2010. Nos recherches montrent que certains axes routiers de transport au Mali sont particulièrement ciblés par les groupes djihadistes. L’un des plus importants relie Bamako à Gao, un centre économique stratégique où se trouve une importante base militaire. Ces attaques s’accompagnent du blocus d’autres centres urbains tels que Farabougou, Tombouctou, Kayes et, plus récemment, Bamako.
Bamako, située dans le sud-ouest du pays, a déjà été victime d’attaques djihadistes, notamment en 2015 et en 2024. Mais il s’agissait alors d’attaques terroristes limitées. Le blocus actuel reflète une ambition et une capacité bien plus grandes de la part des djihadistes. En juillet, des attaques coordonnées dans le sud-ouest du Mali ont marqué une nouvelle étape dans l’expansion vers le sud du Jama’at Nusrat al-Islam wal-Muslimin.
Depuis plusieurs semaines, Bamako est isolée de ses sources d’approvisionnement extérieures, en particulier en carburant, qui doit être importé depuis ses voisins côtiers. Le gouvernement a récemment été contraint de déclarer la fermeture des écoles et des universités en raison du manque de moyens de transport.
Pourquoi Bamako ?
Bamako est de loin la ville la plus importante du Mali en termes de population, d’économie et de politique. Sa chute aurait des conséquences catastrophiques pour l’avenir du pays.
Avec une population de 4,24 millions d’habitants en 2025, selon Africapolis, l’agglomération urbaine de Bamako est plus de dix fois plus grande que la deuxième ville du pays, Sikasso. L’importance de Bamako n’est pas seulement démographique. Toutes les fonctions exécutives y sont concentrées, notamment les ministères, la télévision nationale et l’aéroport international.
Bamako représente également une part importante de l’économie nationale. Nos études suggèrent que plus de 90 % des entreprises formelles sont situées dans la zone métropolitaine de Bamako.
La prise de Bamako rendrait inutile la conquête de territoires plus vastes et pourrait décider du sort du conflit malien. Le contrôle d’une capitale sert souvent de critère de facto pour la reconnaissance politique. Par exemple, bien qu’il ne commandait guère plus que Kinshasa dans ses dernières années, Mobutu Sese Seko a continué d’être reconnu comme le dirigeant du Zaïre jusqu’à ce que Laurent-Désiré Kabila s’empare de la capitale en mai 1997.
La prise de la capitale a également été une étape centrale dans la résolution de nombreuses guerres civiles africaines. En 2011, la prise d’Abidjan par les forces d’Alassane Ouattara, de la France et des Nations unies a mis fin à la deuxième guerre civile ivoirienne.
La prise d’une capitale africaine par des djihadistes, plutôt que par des rebelles conventionnels, déclencherait-elle une intervention extérieure des puissances occidentales ou africaines ? Cela semble peu probable. À l’exception de ses partenaires de l’Alliance des États du Sahel, le gouvernement malien est très isolé sur le plan diplomatique.
Une nouvelle intervention française paraît hautement improbable, après le retrait forcé de Paris et la montée du sentiment anti-français dans la région. Quant aux États-Unis, ils privilégient désormais les relations transactionnelles à de nouvelles interventions militaires, surtout en Afrique.
La rupture du Mali avec la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) rend toute réponse régionale coordonnée peu probable. Même le Burkina Faso et le Niger, voisins du Mali et partenaires de l’Alliance des Etats du Sahel (AES), sont eux-mêmes enlisés dans leur propre insurrection djihadiste.
Quel avenir pour Bamako et le Mali ?
Trois grands scénarios semblent envisageables :
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une offensive militaire qui permet à la junte malienne de briser le blocus
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un règlement négocié qui conduirait vraisemblablement à un nouvel Etat
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un chaos politique en cas de chute de Bamako.
Le premier scénario suppose une mobilisation massive des forces armées maliennes, appuyées par l’Alliance des États du Sahel et sans doute par des mercenaires russes. Elle suppose pour cela que l’armée concentre ses efforts dans la région de Bamako et reprenne le contrôle des axes stratégiques
Ce scénario paraît peu probable. L’armée malienne reste limitée et, jusqu’à présent, peu de combats ont eu lieu dans les zones urbaines. Tombouctou, Gao et Kidal ont été conquises ou « libérées » sans combat. Les forces gouvernementales, les rebelles et les djihadistes ont préféré se retirer lorsque leurs adversaires ont avancé.
Le deuxième scénario, sans doute plus réaliste, serait une sorte d’accord politique négocié entre les autorités militaires maliennes et les djihadistes. Nous suggérons depuis de nombreuses années qu’un accord politique est le seul moyen de mettre fin à un conflit qu’aucune des parties ne peut gagner militairement.
Ces derniers mois, les appels au dialogue se multiplient. Des responsables religieux, politiques et économiques y contribuent, même si la question divise. Parmi les partisans les plus favorables au dialogue sont Alioune Nouhoum Diallo, ancien président de l’Assemblée nationale, et Mossadeck Bally, président du Conseil national du patronat du Mali.
Les partisans du dialogue citent souvent les expériences de règlements obtenus grâce au dialogue entre les islamistes et les acteurs étatiques ailleurs dans la région, en particulier dans certaines parties du Maghreb. Ces cas ont toutefois été façonnés par des traditions très différentes en matière de relations entre l’État et l’islam.
Un tel accord politique obligerait le Mali à abandonner son principe de laïcité inscrit dans la Constitution, ce que toutes les élites au pouvoir, y compris les leaders actuels, ont toujours refusé. Et vu la position de force des djihadistes, le gouvernement serait contraint à des concessions qui affaibliraient sa légitimité.
Cependant, si Bamako tombait, un dialogue médiatisé deviendrait plus probable. Gérer une ville aussi grande, maintenir les échanges commerciaux et l’approvisionnement en carburant nécessiterait des arrangements avec les pays voisins, hostiles aux djihadistes. Dans ce cas, les groupes armés pourraient accepter une autorité plus modérée dans le cadre d’un compromis pragmatique. Parmi les personnalités susceptibles de mener ou de négocier un tel processus on cite souvent l’imam Mahmoud Dicko, actuellement en exil. Même loin de son pays, il continue d’exercer une influence sur la politique malienne.
Le dernier scénario est la chute de Bamako et la prise du pouvoir par les djihadistes. Bien qu’entrer dans la capitale soit désormais envisageable, former un gouvernement uni et stable serait bien plus difficile. La coalition djihadiste est traversée par des divisions, des rivalités et des scissions. Elle entretient en outre une relation conflictuelle avec l’État islamique – Province du Sahel, actif dans l’est du Mali.
Si les djihadistes prenaient Bamako, l’État islamique chercherait sûrementà être impliqué dans l’exercice du pouvoir au niveau national. Ce qui pourrait déclencher des affrontements entre eux, comme on l’a vu en Somalie ou en Afghanistan.
La situation reste donc très confuse et imprévisible. Aucun de ces scénarios ne semble imminent, mais une chose paraît certaine : la crise qui déchire le cœur du Sahel est loin d’être résolue.
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Olivier Walther bénéficie d’un financement de l’OCDE.
Leonardo A. Villalón a précédemment reçu un financement pour ses recherches universitaires sur le Sahel dans le cadre de l’initiative Minerva du gouvernement américain.
Alexander John Thurston, Baba Adou, and Cory Dakota Satter do not work for, consult, own shares in or receive funding from any company or organisation that would benefit from this article, and have disclosed no relevant affiliations beyond their academic appointment.
– ref. Crise au Mali: ce que révèle le blocus djihadiste de Bamako – https://theconversation.com/crise-au-mali-ce-que-revele-le-blocus-djihadiste-de-bamako-268870
