Une étude révèle que les chimpanzés d’Ouganda utilisent des insectes volants pour soigner leurs blessures

Source: The Conversation – in French – By Kayla Kolff, Postdoctoral researcher, Osnabrück University

Avec l’aimable autorisation de l’auteur (pas de réutilisation). Photo: Kayla Kolff, Fourni par l’auteur

Les animaux réagissent de différentes manières lorsqu’ils sont blessés.
Mais jusqu’ici, on avait rarement la preuve qu’ils utilisaient des substances actives pour soigner leurs plaies. Une étude récente sur un orang-outan soignant une blessure à l’aide d’une plante médicinale offre une piste prometteuse.

On sait que les chimpanzés lèchent leurs blessures. Ils appliquent parfois des feuilles dessus. Mais ces comportements restent encore mal compris. On ignore à quelle fréquence ils le font, si c’est fait délibérément, ou jusqu’où va leur ingéniosité face à une blessure.

De récentes observations sur le terrain en Ouganda, en Afrique de l’Est, révèlent désormais des informations intrigantes sur la manière dont ces animaux font face à leurs blessures.

En tant que primatologue, les capacités cognitives et la vie sociale des chimpanzés me passionnent. Leur comportement face à la maladie peut nous renseigner sur les les origines évolutives des soins et de l’empathie chez les humains. Les chimpanzés sont parmi nos plus proches parents. En les comprenant, nous en apprenons beaucoup sur nous-mêmes.

Dans le cadre de nos recherches menées dans le parc national de Kibale, en Ouganda, nous avons observé, à cinq reprises, des chimpanzés appliquer des insectes sur leurs propres plaies ouvertes, et dans un cas sur celles d’un autre individu.

Des comportements tels que l’application d’insectes montrent que les chimpanzés ne sont pas passifs lorsqu’ils sont blessés. Ils expérimentent leur environnement, parfois seuls et parfois avec d’autres. Même s’il ne faut pas conclure trop rapidement qu’il s’agit de « médecine », cela montre qu’ils sont capables de réagir à leurs blessures de manière inventive et parfois de manière solidaire.

Chaque nouvelle découverte nous en apprend un peu plus sur les chimpanzés. Elle nous donne un aperçu des racines communes de nos propres réflexes face à la blessure et à l’envie de soigner.

Attrapez d’abord votre insecte

Nous avons observé l’application d’insectes par hasard alors que nous observions et enregistrions leur comportement dans la forêt, mais nous avons accordé une attention particulière aux chimpanzés présentant des plaies ouvertes.

Application d’insectes par Damien, un chimpanzé subadulte.

Dans tous les cas observés, leurs gestes semblaient délibérés. Le chimpanzé attrapait un insecte volant non identifié, l’immobilisait entre ses lèvres ou ses doigts, et le pressait directement sur une plaie ouverte. Le même insecte était parfois réappliqué plusieurs fois, parfois après avoir été brièvement tenu dans la bouche, avant d’être jeté. D’autres chimpanzés observaient parfois le processus de près, apparemment avec curiosité.

La plupart du temps, le chimpanzé soignait sa propre blessure. Mais dans un cas rare, une jeune femelle a appliqué un insecte sur la plaie de son frère. Une étude a déjà montré que dans cette même communauté, les chimpanzés tamponnent les plaies de membres non-apparentés avec des feuilles. On peut se demander s’ils feraient de même avec des insectes au-delà des membres de la famille.

Les actes de soins, qu’ils soient destinés à la famille ou à d’autres personnes, peuvent révéler les fondements précoces de l’empathie et de la solidarité.

Cette séquence d’actions ressemble beaucoup à ce qu’on observe chez les chimpanzés du Gabon, en Afrique centrale. Cette similitude suggère que l’application d’insectes pourrait représenter un comportement plus répandu chez les chimpanzés qu’on ne le pensait auparavant.

Les découvertes faites dans le parc national de Kibale élargissent notre vision de la façon dont les chimpanzés réagissent aux blessures. Plutôt que de laisser les blessures sans soins, ils agissent parfois de manière délibérée et ciblée.

Les chimpanzés pratiquent-ils les premiers secours ?

La question qui se pose naturellement est de savoir à quoi sert ce comportement. Nous savons que les chimpanzés utilisent délibérément des plantes pour améliorer leur santé : avaler des feuilles rugueuses qui aident à expulser les parasites intestinaux ou mâcher des pousses amères qui auraient des effets antiparasitaires.

Les insectes, cependant, sont un cas à part. Il n’a pas encore été démontré que le fait d’appliquer des insectes sur des blessures accélère la guérison ou réduit les infections. De nombreux insectes produisent des substances antimicrobiennes ou anti-inflammatoires, ce qui rend cette possibilité envisageable, mais des tests scientifiques sont encore nécessaires.

Pour l’instant, nous pouvons affirmer que ce comportement semble ciblé, systématique et délibéré. Le cas unique d’un insecte appliqué sur un autre individu est particulièrement intrigant. Les chimpanzés sont des animaux très sociables, mais l’aide active est relativement rare. Outre les comportements bien connus tels que le toilettage, le partage de nourriture et l’aide apportée lors de combats, l’application d’un insecte sur la blessure d’un frère ou d’une sœur suggère une autre forme de soins, qui va au-delà du simple maintien des relations et pourrait améliorer l’état physique de l’autre.

De grandes questions

Ce comportement soulève d’importantes questions. Si l’application d’insectes s’avère avoir des vertus médicinales, cela pourrait expliquer pourquoi les chimpanzés le font. Ce qui soulève à son tour la question de l’origine de ce comportement : les chimpanzés l’ont-ils appris en observant les autres, ou l’ont-ils découvert de manière plus spontanée ? De là découle la question de la sélectivité : choisissent-ils des insectes volants particuliers ? Et si oui, les autres membres du groupe apprennent-ils à sélectionner les mêmes ?

Dans la médecine traditionnelle humaine (entomothérapie), les insectes volants tels que les abeilles mellifères et les mouches bleues sont appréciés pour leurs effets antimicrobiens ou anti-inflammatoires. Il reste à déterminer si les insectes appliqués par les chimpanzés offrent des bienfaits similaires.

Enfin, si les chimpanzés appliquent effectivement des insectes aux vertus curatives, et s’ils le font parfois sur les plaies d’autrui, cela pourrait être considéré comme une forme d’aide active, voire de comportement prosocial (ce terme est utilisé pour décrire les comportements qui profitent à d’autres plutôt qu’à l’individu qui les adopte).

Observer ces chimpanzés du parc national de Kibale attraper un insecte volant, l’immobiliser et le presser délicatement sur une blessure ouverte rappelle combien leurs capacités restent encore à explorer. Ce comportement s’ajoute à une série d’observations montrant que les origines des comportements de soins et de guérison remontent à une époque beaucoup plus lointaine dans l’évolution.

Si l’application d’insectes s’avère avoir des vertus médicinales, cela renforce l’importance de la protection des chimpanzés et de leurs habitats. À leur tour, ces habitats protègent les insectes qui peuvent contribuer au bien-être des chimpanzés.

The Conversation

Kayla Kolff a reçu un financement de la Fondation allemande pour la recherche (DFG), numéro de projet 274877981 (GRK-2185/1 : Groupe de formation à la recherche DFG Situated Cognition).

ref. Une étude révèle que les chimpanzés d’Ouganda utilisent des insectes volants pour soigner leurs blessures – https://theconversation.com/une-etude-revele-que-les-chimpanzes-douganda-utilisent-des-insectes-volants-pour-soigner-leurs-blessures-268680