Source: The Conversation – France in French (3) – By Allane Madanamoothoo, Associate Professor of Law, EDC Paris Business School
Le gel du fonctionnement du gouvernement fédéral des États-Unis, depuis le 1er octobre, se traduit notamment par la réduction de différentes aides sociales et par la suspension du versement des salaires de nombreux fonctionnaires. Alors que la natalité est déjà nettement inférieure au seuil de renouvellement des générations, ce contexte pesant pourrait pousser de nombreuses personnes à remettre à plus tard leur projet parental, voire à y renoncer purement et simplement. En outre, la situation actuelle accroît les risques en matière de santé maternelle et néonatale.
C’est un fait : la natalité aux États-Unis est en berne depuis plusieurs années, avec un taux de 1,6 enfant par femme, alors que le seuil de renouvellement des générations est estimé à environ 2,05 enfants par femme, hors immigration. Cette dénatalité s’explique dans une large mesure par les difficultés économiques : augmentation du coût de la vie et de l’éducation des enfants, prix excessifs des logements, des garderies et des assurances privées, remboursement des prêts d’études pendant plusieurs années, etc.
Donald Trump espère inverser la tendance grâce aux mesures financières incitatives contenues dans sa « grande et belle loi budgétaire » promulguée en juillet dernier, mais il faut rappeler que des mesures plus ou moins similaires n’ont pas eu l’effet escompté dans d’autres pays du monde. La politique nataliste de Trump a d’ailleurs fait l’objet de certaines critiques : elle favoriserait la reproduction des riches et des Blancs, au détriment des pauvres et des Noirs, avec un risque d’eugénisme, et creuserait les inégalités raciales en matière de richesse.
Le shutdown qui perdure depuis le 1er octobre aux États-Unis faute d’accord entre les républicains et les démocrates sur le budget fédéral pourrait accroître le déclin de la natalité dans le pays, conduisant certains à renoncer à leur projet parental ; plus grave encore, la mortalité maternelle et néonatale pourrait augmenter.
Chez les fonctionnaires fédéraux
Dans un contexte de shutdown, certains fonctionnaires fédéraux dont les activités sont jugées « non essentielles » sont mis au chômage technique avec leur salaire gelé, pendant que d’autres continuent de travailler. Les uns comme les autres sont rétroactivement rémunérés après le déblocage du shutdown.
En 2013, sous la présidence de Barack Obama, le shutdown avait duré 16 jours. Près de 800 000 fonctionnaires fédéraux avaient été placés au chômage technique. Neuf mois plus tard, la capitale américaine avait connu un pic de natalité, avec une hausse de 30 % des naissances par rapport à la normale à l’époque. Le taux de natalité resta toutefois en berne au niveau national.
Le shutdown qui se poursuit actuellement va-t-il générer un baby-boom, du moins chez les fonctionnaires fédéraux placés au chômage technique ?
Si près de 700 000 fonctionnaires fédéraux sont au chômage technique depuis le 1er octobre, la situation est plus tendue qu’en 2013 et qu’en décembre 2018-janvier 2019, quand le shutdown avait duré 35 jours.
La paralysie budgétaire qui s’étire depuis le 1er octobre est déjà plus longue que celle de 2013, et risque de durer plus longtemps que celle de 2018-2019, car chaque partie semble déterminée à camper sur ses positions. Faute de salaire, certains employés fédéraux sont déjà en situation de précarité et font appel à des banques alimentaires ou à des prêts pour payer leur loyer. Plus de 4 000 fonctionnaires fédéraux ont aussi reçu un avis de licenciement.
Pis : la Maison Blanche a annoncé qu’elle comptait en licencier plus de 10 000 si le shutdown se poursuivait. Bien qu’une juge fédérale ait temporairement bloqué ces licenciements, dans un tel climat d’inquiétude économique de nombreux fonctionnaires fédéraux pourraient différer leur projet parental, voire y renoncer.
Chez les bénéficiaires du programme « Women, Infants and Children »
WIC (Women, Infants and Children) est un programme fédéral d’aide alimentaire et d’éducation à la nutrition et à l’allaitement destiné aux ménages à faibles revenus, quelle que soit la nationalité des bénéficiaires. Il s’adresse aux femmes enceintes ou allaitantes, aux mères en période post-partum ainsi qu’aux enfants de moins de cinq ans présentant un risque de carence nutritionnelle, c’est-à-dire un risque lié à un déséquilibre alimentaire susceptible d’entraîner des problèmes de santé et des maladies.
Durant l’année fiscale 2024, près de 6,7 millions de femmes et d’enfants ont pu bénéficier, chaque mois, des services de ce programme.
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Mi-octobre, l’administration Trump a alloué au programme WIC 300 millions de dollars (environ 259 millions d’euros), en provenance des recettes douanières, afin d’assurer la continuité de son fonctionnement durant le shutdown. Selon la National WIC Association (NWA), ces fonds ne seront plus suffisants au 1ᵉʳ novembre. La NWA réclame 300 millions de dollars (soit, environ 259 millions d’euros) supplémentaires pour garantir la pérennité des différents services de WIC durant les deux premières semaines de novembre.
Et si le shutdown se prolongeait et WIC se retrouvait à court de fonds ?
Le département de la santé du New Jersey a déjà exprimé ses craintes.
Dans le Michigan, une mère célibataire bénéficiaire de WIC, comme beaucoup d’autres, a fait part de son inquiétude :
« Les gens dépendent de WIC pour leurs besoins essentiels : lait, œufs, pain. Ne pas savoir si l’on pourra bénéficier de cette aide le mois prochain… est très angoissant. »
Dans certains États fédérés, les bureaux de WIC sont déjà impactés par la paralysie budgétaire. Au Kansas, un bureau de WIC a dû fermer ses portes, tandis que le département de la santé du Mississippi a été contraint de mettre de nombreuses demandes d’inscription à WIC sur liste d’attente.
Une telle situation met en péril la santé de nombreuses femmes enceintes. En effet, selon un rapport de l’Unicef publié en 2023 et intitulé « Dénutries et oubliées : Une crise nutritionnelle mondiale pour les adolescentes et les femmes », les femmes enceintes ayant une mauvaise alimentation ont un risque plus élevé de contracter des infections et de connaître des complications mortelles pendant la grossesse.
De surcroît, les complications résultant du shutdown pourraient avoir une prévalence plus élevée chez les femmes noires bénéficiaires de WIC par rapport aux femmes blanches. Cette hypothèse peut être déduite des données du Centre pour le contrôle et la prévention des maladies, selon lesquelles les femmes noires aux États-Unis présentent un risque de mortalité lié aux complications de la grossesse ou de l’accouchement trois fois supérieur à celui des femmes blanches. Comme le souligne Ebony Hilton, anesthésiste à l’Université de Virginie et experte des disparités dans l’accès aux soins de santé, « Il a été maintes fois démontré que les femmes noires ne reçoivent pas le même niveau de soins. »
En l’absence de financement pour assurer la continuité du programme WIC, les carences nutritionnelles dont seraient victimes les femmes enceintes pourraient également avoir un impact négatif sur la santé de leur enfant à naître : naissance prématurée, faible poids, vulnérabilité aux maladies, augmentation du risque de mortalité néonatale, etc.
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Chez les immigrés
Une politique d’accueil favorable aux immigrés pourrait permettre aux États-Unis de faire face au déclin de la natalité dans le pays. Mais Donald Trump est connu pour son hostilité envers les immigrés, qu’ils soient en situation régulière ou non, à l’exception notable de certains, comme les Afrikaners, les Blancs (descendants de colons néerlandais ou français) d’Afrique du Sud. Depuis son retour au pouvoir, Trump mène une politique anti-immigration agressive, avec des arrestations et des expulsions massives d’immigrants illégaux ou présumés l’être.
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L’un des principaux points de désaccord ayant conduit au shutdown concerne précisément la couverture médicale de certains immigrés. Les démocrates souhaitent que les immigrés présents légalement (les réfugiés, les demandeurs d’asile, etc.) aux revenus modestes puissent continuer à percevoir des subventions pour souscrire à l’assurance santé dite « Obamacare », officiellement connue sous le nom d’Affordable Care Act (ACA), afin de pouvoir accéder à des soins de base. Ce dispositif a été supprimé pour cette population par la loi budgétaire de juillet dernier. Or, les républicains refusent d’accéder à la requête des démocrates, au faux motif que ces derniers réclameraient une couverture santé gratuite pour les immigrés en situation irrégulière.
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Sans la couverture médicale de l’ACA, le coût de l’éducation d’un enfant, ajouté à celui de la souscription à une assurance santé privée, pourrait constituer un facteur déterminant pour les immigrés légalement présents à faibles revenus dans le cadre de leur projet parental. Il est donc à craindre que certains des 1,4 million de migrants présents légalement, qui ne seront plus couverts par l’ACA, ainsi que les femmes immigrées qui ne remplissent pas les conditions de revenu pour bénéficier du programme WIC, renoncent à avoir des enfants, ou en aient moins.
In fine, dans le contexte actuel du shutdown ou après son déblocage, des inégalités économiques et raciales risquent, de nouveau, de se creuser en matière de procréation aux États-Unis.
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Allane Madanamoothoo ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
– ref. « Shutdown » aux États-Unis : quel impact sur la natalité ? – https://theconversation.com/shutdown-aux-etats-unis-quel-impact-sur-la-natalite-268423
