« Je suis sorti et j’ai pleuré » : ce que le personnel des établissements pour personnes âgées dit de son chagrin lorsque des résidents décèdent

Source: The Conversation – in French – By Jennifer Tieman, Matthew Flinders Professor and Director of the Research Centre for Palliative Care, Death and Dying, Flinders University

Les expériences répétées de la mort peuvent entraîner un chagrin cumulatif. Maskot/Getty Images

Avec le vieillissement de la population, nous vivons plus longtemps et mourons plus âgés. Les soins de fin de vie occupent donc une place de plus en plus importante dans les soins aux personnes âgées. Au Canada, environ 30 % des personnes âgées de 85 ans et plus vivent dans un établissement de soins infirmiers ou une résidence pour personnes âgées, proportion qui augmente significativement avec l’âge avancé.

Mais qu’est-ce que cela signifie pour ceux qui travaillent dans le secteur des soins aux personnes âgées ? Des recherches suggèrent que le personnel soignant éprouve un type de deuil particulier lorsque les résidents décèdent. Cependant, leur chagrin passe souvent inaperçu et ils peuvent se retrouver sans soutien suffisant.


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Nouer des relations au fil du temps

Le personnel des établissements de soins aux personnes âgées ne se contente pas d’aider les résidents à prendre leur douche ou leurs repas, il s’implique activement et tisse des liens avec eux.

Dans le cadre de nos propres recherches, nous avons discuté avec des membres du personnel soignant qui s’occupent de personnes âgées dans des établissements de soins et à leur domicile.

Le personnel soignant est conscient que bon nombre des personnes dont il s’occupe vont mourir et qu’il a un rôle à jouer pour les accompagner vers la fin de leur vie. Dans le cadre de leur travail, ils nouent souvent des relations enrichissantes et gratifiantes avec les personnes âgées dont ils s’occupent.

Par conséquent, le décès d’une personne âgée peut être source d’une profonde tristesse pour le personnel soignant. Comme l’une d’entre elles nous l’a confié :

Je sais que je pleure certains de ceux qui décèdent […] Vous passez du temps avec eux et vous les aimez.

Certains soignants que nous avons interrogés ont évoqué le fait d’être présents auprès des personnes âgées, de leur parler ou de leur tenir la main lorsqu’elles décèdent. D’autres ont expliqué qu’ils versaient des larmes pour la personne décédée, mais aussi en raison de leur perte, car ils connaissaient la personne âgée et avaient été impliqués dans sa vie.

Je pense que ce qui a aggravé les choses, c’est quand sa respiration est devenue très superficielle et que j’ai su qu’elle arrivait à la fin. Je suis sortie. Je lui ai dit que je sortais un instant. Je suis sortie et j’ai pleuré parce que j’aurais voulu pouvoir la sauver, mais je savais que je ne pouvais pas.

Parfois, le personnel soignant n’a pas l’occasion de dire au revoir, ou d’être reconnu comme quelqu’un qui avait subi une perte, même s’il a pris soin de la personne pendant plusieurs mois ou années. Une soignante pour personnes âgées a noté :

Si les gens meurent à l’hôpital, c’est un autre deuil. Parce qu’ils ne peuvent pas dire au revoir. Souvent, l’hôpital ne vous le dit pas.

Le personnel soignant doit souvent aider les familles et leurs proches à accepter la mort d’un parent, d’un proche ou d’un ami. Cela peut alourdir le fardeau émotionnel du personnel qui peut lui-même être en deuil.




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Chagrin cumulatif

Les expériences répétées de la mort peuvent entraîner un chagrin cumulatif et une tension émotionnelle. Si le personnel interrogé conférait un sens et une valeur à son travail, il trouvait également difficile d’être régulièrement confronté à la mort.

Un membre du personnel nous a confié qu’avec le temps, et après avoir été confronté à de nombreux décès, on peut « se sentir un peu robotisé. Parce qu’il faut devenir ainsi pour pouvoir gérer la situation ».

Les problèmes organisationnels tels que le manque de personnel ou la charge de travail élevée peuvent également exacerber ces sentiments d’épuisement et d’insatisfaction. Le personnel a souligné la nécessité de pouvoir compter sur du soutien pour faire face à cette situation.

Parfois, tout ce que vous voulez, c’est parler. Vous n’avez pas besoin que quelqu’un résolve quoi que ce soit pour vous. Vous voulez juste être écouté.


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Aider le personnel à gérer son chagrin

Les organismes de soins aux personnes âgées doivent prendre des mesures pour soutenir le bien-être de leur personnel, notamment en reconnaissant le deuil que beaucoup ressentent lorsque des personnes âgées décèdent.

Après le décès d’une personne âgée, offrir un soutien au personnel qui a travaillé en étroite collaboration avec cette personne et reconnaître les liens émotionnels qui existaient entre eux sont des moyens efficaces de reconnaître et de valider le deuil du personnel. Il suffit de demander au membre du personnel comment il va, ou de lui donner la possibilité de prendre le temps de faire le deuil de la personne décédée.




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Les lieux de travail devraient également encourager plus largement les pratiques d’autogestion de la santé, en promouvant des activités telles que les pauses programmées, les relations avec les collègues et la priorité accordée au temps de détente et aux activités physiques. Le personnel apprécie les lieux de travail qui encouragent, normalisent et soutiennent leurs pratiques d’autogestion de la santé.

Nous devons également réfléchir à la manière dont nous pouvons normaliser la capacité à parler de la mort et du processus de fin de vie au sein de nos familles et de nos communautés. La réticence à reconnaître la mort comme faisant partie de la vie peut alourdir le fardeau émotionnel du personnel, en particulier si les familles considèrent la mort comme un échec des soins prodigués.

À l’inverse, le personnel chargé des soins aux personnes âgées nous a maintes fois répété à quel point il était important pour lui de recevoir des commentaires positifs et la reconnaissance des familles. Comme l’a rappelé une soignante :

Nous avons eu un décès ce week-end. Il s’agissait d’un résident de très longue date. Et sa fille est venue spécialement ce matin pour me dire à quel point les soins prodigués avaient été fantastiques. Cela me réconforte, cela me confirme que ce que nous faisons est juste.

En tant que membres de familles et de communautés, nous devons reconnaître que les personnes soignantes sont particulièrement vulnérables au sentiment de deuil et de perte, car elles ont souvent noué des relations avec les personnes dont elles s’occupent au fil des mois ou des années. En soutenant le bien-être de ces travailleuses essentielles, nous les aidons à continuer à prendre soin de nous et de nos proches à mesure que nous vieillissons et que nous approchons de la fin de notre vie.

La Conversation Canada

Jennifer Tieman reçoit des financements du ministère de la Santé, du Handicap et du Vieillissement, du ministère de la Santé et du Bien-être (SA) et du Medical Research Future Fund. Des subventions de recherche spécifiques ainsi que des subventions nationales pour des projets tels que ELDAC, CareSearch et palliAGED ont permis la réalisation des recherches et des projets dont les résultats et les ressources sont présentés dans cet article. Jennifer est membre de divers comités et groupes consultatifs de projets, notamment le comité directeur d’Advance Care Planning Australia, le réseau IHACPA Aged Care Network et le groupe consultatif national d’experts de Palliative Care Australia.

Dr Priyanka Vandersman receives funding from Department of Health, Disability and Ageing. She is affiliated with Flinders University, End of Life Directions for Aged Care project. She is a Digital Health adviser for the Australian Digital Health Agency, and serves as committee member for the Nursing and Midwifery in Digital Health group within the Australian Institute of Digital Health, as well as Standards Australia’s MB-027 Ageing Societies committee.

ref. « Je suis sorti et j’ai pleuré » : ce que le personnel des établissements pour personnes âgées dit de son chagrin lorsque des résidents décèdent – https://theconversation.com/je-suis-sorti-et-jai-pleure-ce-que-le-personnel-des-etablissements-pour-personnes-agees-dit-de-son-chagrin-lorsque-des-residents-decedent-263502