Octobre rose : et si on parlait aussi du dépistage chez les femmes atteintes d’une maladie chronique, comme la sclérose en plaques ?

Source: The Conversation – in French – By Emmanuelle Leray, Directrice de recherche Inserm en épidémiologie, École des hautes études en santé publique (EHESP)

En France, moins d’une femme sur deux éligibles au dépistage du cancer du sein a recours au dispositif de prévention mis en place par l’Assurance maladie. « Octobre rose » est l’occasion d’alerter sur les obstacles au dépistage pour celles qui vivent avec une maladie chronique et/ou en situation de handicap. Une étude analyse ainsi les difficultés rencontrées par les femmes atteintes d’une sclérose en plaques.


Le dépistage du cancer du sein est un geste plutôt simple, gratuit dans notre pays et qui permet de sauver des vies.

Pourtant, certaines femmes – celles qui ont déjà une maladie chronique comme la sclérose en plaques, par exemple – y ont moins recours. Parce que ce diagnostic prend toute la place. Parce que des obstacles de différentes natures peuvent s’accumuler et les empêcher de réaliser la mammographie alors qu’elles le souhaiteraient. Aussi peut-être parce qu’on en parle moins, voire qu’on leur en parle moins souvent.

Alors aujourd’hui, rappelons que la prévention, c’est l’affaire de toutes.

Octobre rose : un mois pour sensibiliser au dépistage du cancer du sein

Chaque année, Octobre rose met en lumière la lutte contre le cancer du sein. En France, depuis 2004, dans le cadre du dépistage organisé du cancer du sein, les femmes de 50 ans à 74 ans sont invitées par l’Assurance maladie à réaliser une mammographie (radiographie des seins qui utilise des rayons X à faible dose) tous les deux ans, gratuitement et sans ordonnance. Pourtant, moins de la moitié des femmes éligibles y participent, d’après les chiffres de Santé publique France.

S’informer sur les dépistages des cancers

  • Sur le site « Jefaismondepistage.cancer.fr », vous trouverez toutes les informations pratiques sur les dépistages du cancer du sein, du col de l’utérus et du cancer colorectal.

Pourquoi se faire dépister ? Parce que plus un cancer du sein est détecté tôt, mieux il se soigne et se guérit. La décision de se faire dépister ou non est une décision individuelle qui appartient à chaque femme et qu’il convient de respecter.

Ce qui est important, c’est que chaque femme concernée puisse recevoir une information claire, de qualité, exposant les bénéfices et les risques, qui lui permette de faire un choix éclairé. Et qu’ensuite, elle puisse réaliser son choix, c’est-à-dire faire ou non l’examen.

Focus sur un sous-groupe : les femmes atteintes de sclérose en plaques

La sclérose en plaques (SEP) est une maladie neurologique chronique qui touche 3 femmes pour 1 homme. Elle débute le plus souvent entre l’âge de 20 ans et 40 ans, ne se guérit pas et va ainsi être présente pendant plusieurs décennies. En France, environ 130 000 personnes sont touchées, dont la moitié a plus de 50 ans.

Dans le cadre du programme de recherche de la chaire Inspire (« Inégalités dans la sclérose en plaques : les identifier pour y remédier »), nous nous sommes intéressés à une question peu explorée : les femmes atteintes de SEP ont-elles le même accès au dépistage du cancer du sein que les autres ?

Entretien avec Emmanuelle Leray, directrice de recherche Inserm, enregistré en mai 2023.

Notre recherche a été menée auprès d’une cohorte de 47 166 femmes atteintes de SEP que nous avons comparées à un groupe contrôle de 184 124 femmes du même âge vivant dans la même région et suivies pendant la même période.

Un recours plus faible au dépistage chez les femmes avec une sclérose en plaques

Notre étude a mis en évidence un recours plus faible au dépistage chez les femmes atteintes d’une SEP. Elles étaient seulement 55 % à réaliser une mammographie tous les deux ans, contre 63 % dans le groupe contrôle de la population générale (source : analyse des données de l’Assurance maladie à partir du Système national des données de santé – SNDS).

De plus, cet écart augmentait avec l’âge : plus les femmes avançaient en âge, plus la différence avec le groupe contrôle se creusait.

Mais il n’y a pas de fatalité. Nos résultats montrent que le recours ou non au dépistage du cancer du sein dépend notamment du suivi médical. En effet, les femmes qui voient régulièrement leur neurologue ou qui suivent un traitement pour leur SEP se font davantage dépister, ce qui laisse suggérer que les interactions avec les professionnels de santé jouent un rôle clé dans la motivation et dans l’adhésion à cet acte préventif.

Des centres de dépistage peu accessibles, notamment en fauteuil roulant

En complément, nous avons conduit des entretiens semi-directifs auprès de 20 femmes atteintes de SEP qui révèlent plusieurs obstacles liés au déplacement jusqu’au centre de dépistage, à l’accessibilité de ce lieu, aussi à la fatigue inhérente à cette maladie chronique.

Ainsi, les trajets potentiellement longs jusqu’au cabinet de radiologie rajoutés à la fatigue due à la SEP rendent le déplacement plus difficile que pour une femme sans maladie chronique.

De plus, la gestion des rendez-vous s’ajoute à la charge mentale et physique, notamment pour celles qui dépendent d’un proche pour se rendre au centre ou pendant l’examen.

Une femme témoigne :

« C’est non seulement dur d’avoir un rendez-vous, mais en plus, c’est super loin. Je suis fatiguée par les déplacements. »

Une autre rapporte :

« Avec la fatigue et la route, devoir s’organiser avec le travail, et se débrouiller pour mettre les rendez-vous au même endroit, au même moment… Il faut que tout s’aligne en fait. »

Des difficultés d’accessibilité physique sont également mentionnées, notamment liées au fait que les mammographes ne sont pas conçus pour les personnes en fauteuil roulant ou avec des troubles de mobilité ou de la station debout.

C’est ce que décrit une des femmes durant l’entretien :

« Il faut que quelqu’un m’amène, je dois patienter, je dois attendre dans la salle d’attente, je dois ensuite me rendre jusqu’à l’appareil. Tout ça, pour moi, ça me semble un peu insurmontable, avec la fatigue, l’organisation en amont… C’est compliqué ».

Des problématiques spécifiques pour la prise de rendez-vous

Pour préparer au mieux le rendez-vous et, en particulier, informer sur des besoins spécifiques, les patientes préfèrent appeler à l’avance pour vérifier si le centre peut les accueillir (la présence de deux manipulateurs radio peut être requis, au lieu d’un seul, une durée plus longue pour l’examen est parfois à prévoir…) –informations qu’il n’est pas toujours possible de mentionner sur les plateformes de prise de rendez-vous en ligne.

Sont également pointées des difficultés organisationnelles. Comme pour toutes les femmes qui doivent faire un dépistage du cancer du sein en France, trouver un rendez-vous est souvent long et fastidieux. Pour les femmes qui sont en activité professionnelle, s’il est nécessaire de prendre un jour de congé pour un dépistage, alors cela s’ajoute aux absences déjà nécessaires pour la SEP.

Enfin, certaines témoignent d’un sentiment de surmédicalisation et de saturation des soins. Les patientes se sentent submergées par les rendez-vous liés à la SEP et ont l’impression de ne plus avoir d’énergie pour d’autres examens. Du fait de ce sentiment de « ras-le-bol », certaines reportent ou évitent le dépistage.

Un enjeu d’égalité et d’équité d’accès aux soins préventifs

Nos résultats ont confirmé l’hypothèse selon laquelle il y a un risque que le dépistage du cancer du sein passe au second plan face à la place de la SEP à prendre en charge au quotidien.

Les entretiens ont aussi permis d’identifier des éléments qui viennent faciliter l’adhésion au dépistage :

  • Faire que cela devienne une habitude ancrée dans la vie des femmes

La participation au dépistage est plus importante lorsque celui-ci est perçu comme une « étape normale » de la vie d’une femme. Cela souligne le rôle clé des professionnels de santé, au premier rang desquels les gynécologues et les médecins généralistes, et met en avant la place et le rôle que pourraient jouer les neurologues et les infirmières spécialistes de la SEP.

  • Prendre conscience de sa santé

Pour certaines femmes interrogées, vivre avec une SEP les pousse à surveiller davantage leur santé. La crainte d’un cancer en plus de la SEP est un moteur pour un bon suivi et une approche de santé globale.

  • Enfin, les femmes interrogées soulignent l’importance de disposer de centres adaptés aux handicaps où le personnel s’adapte et est bienveillant.

Ces résultats soulignent un enjeu d’égalité et d’équité d’accès aux soins préventifs : le dépistage du cancer du sein existe et a démontré son efficacité, il ne doit donc pas devenir un privilège. Les femmes atteintes de maladies chroniques ou en situation de handicap(s) ont le même droit à la prévention. Les risques si on ne fait rien : des cancers détectés plus tard, donc des traitements plus lourds et un moins bon pronostic.

L’urgence d’un dépistage du cancer du sein plus inclusif

Plusieurs pistes peuvent être avancées en faveur d’un dépistage du cancer du sein plus inclusif :

  • faire en sorte que les professionnels de santé (neurologues, généralistes…) intègrent systématiquement la question du dépistage dans le suivi des patientes atteintes de SEP, conseil que l’on peut élargir à toutes les femmes atteintes d’une maladie chronique ou en situation de handicap ;

  • discuter avec les plateformes de prise de rendez-vous pour voir si elles peuvent prévoir un champ « besoins spécifiques » afin de signaler un besoin d’accompagnement ;

  • collaborer avec l’Assurance maladie et les pouvoirs publics pour que les campagnes d’information ciblent aussi les femmes atteintes de maladies chroniques ou en situation de handicap, et envisager que ces campagnes soient construites avec les personnes concernées pour que le message soit le plus adapté possible ;

  • sensibiliser les patientes elles-mêmes et leurs proches, car elles sont les premières concernées et c’est notamment ce que nous ferons lors du Grand Défi, prévu le 19 octobre 2025 au parc de Sceaux (Hauts-de-Seine), événement sportif de sensibilisation organisé par l’association France Sclérose en plaques.

Toutes les femmes, qu’elles soient atteintes de sclérose en plaques, d’un handicap ou d’une maladie chronique, doivent pouvoir : bénéficier d’une information claire sur le dépistage ; accéder facilement aux examens, avec un accompagnement adapté si nécessaire ; prendre une décision éclairée et mener à bien leur projet de dépistage.

The Conversation

Leray Emmanuelle a reçu des financements de la Fondation Matmut Paul Bennetot, Paris, France ainsi que de l’EHESP et de la Fondation EDMUS (qui financent la chaire INSPIRE).

ref. Octobre rose : et si on parlait aussi du dépistage chez les femmes atteintes d’une maladie chronique, comme la sclérose en plaques ? – https://theconversation.com/octobre-rose-et-si-on-parlait-aussi-du-depistage-chez-les-femmes-atteintes-dune-maladie-chronique-comme-la-sclerose-en-plaques-267594