Source: The Conversation – in French – By John Hawkins, Head, Canberra School of Government, University of Canberra

Les travaux de Joel Mokyr, Philippe Aghion et Peter Howitt portent sur les facteurs qui stimulent la croissance économique, et le rôle joué par l’innovation scientifique dans la naissance et la disparition d’entreprises.
Trois économistes, créateurs d’un modèle de croissance endogène, ont remporté cette année le prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d’Alfred Nobel.
La moitié du prix de 11 millions de couronnes suédoises (environ 1,01 million d’euros) a été attribuée à Joel Mokyr, un historien de l’économie d’origine néerlandaise de l’Université Northwestern (Illinois).
L’autre moitié a été attribuée conjointement à Philippe Aghion, économiste français au Collège de France et à l’Insead, et à Peter Howitt, économiste canadien à l’Université Brown (Rhode Island).
Collectivement, leurs travaux ont porté sur l’importance de l’innovation dans la stimulation d’une croissance économique durable. Ils mettent en évidence un principe : dans une économie florissante, les vieilles entreprises meurent au moment même où de nouvelles entreprises naissent.
L’innovation, moteur d’une croissance durable
Comme l’a noté l’Académie royale des sciences de Suède, la croissance économique a sorti des milliards de personnes de la pauvreté au cours des deux derniers siècles. Bien que nous considérions cela normal, c’est en fait très inhabituel dans l’histoire de l’humanité. La période qui s’est écoulée depuis 1800 est la première dotée d’une croissance économique durable. Attention à ne pas prendre cela pour acquis. Une mauvaise politique pourrait voir nos économies stagner de nouveau.
L’un des jurés du prix Nobel a donné les exemples de la Suède et du Royaume-Uni où il y eut peu d’amélioration du niveau de vie entre 1300 et 1700, soit durant quatre siècles.
Les travaux de Joel Mokyr ont montré qu’avant la révolution industrielle, les innovations sont davantage une question d’essais et d’erreurs qu’une réelle compréhension scientifique. L’historien de l’économie fait valoir qu’une croissance économique durable n’émergerait pas dans
« un monde d’ingénierie sans mécanique, de sidérurgie sans métallurgie, d’agriculture sans science du sol, d’exploitation minière sans géologie, d’énergie hydraulique sans hydraulique, de teinturerie sans chimie organique et de pratique médicale sans microbiologie et immunologie ».
Joel Mokyr donne l’exemple de la stérilisation des instruments chirurgicaux, préconisée dans les années 1840. Les chirurgiens furent offensés par la seule suggestion qu’ils pourraient transmettre des maladies. Ce n’est qu’après les travaux de Louis Pasteur et de Joseph Lister, dans les années 1860, que le rôle des germes a été compris et que la stérilisation est devenue courante.
Le chercheur américano-israélien montre l’importance pour la société d’être ouverte aux nouvelles idées. Comme l’a souligné le comité Nobel :
« Des praticiens prêts à s’engager dans la science ainsi qu’un climat sociétal propice au changement étaient, selon Mokyr, les principales raisons pour lesquelles la révolution industrielle a commencé en Grande-Bretagne. ».
Gagnants et perdants
Les deux autres lauréats de cette année, Philippe Aghion et Peter Howitt, mettent en évidence que les innovations créent à la fois des entreprises gagnantes et perdantes.
Aux États-Unis, environ 10 % des entreprises sont créées et 10 % mettent la clé sous la porte, chaque année. Pour promouvoir la croissance économique, il faut comprendre ces deux processus.
Leur article scientifique de 1992 s’appuyait sur des travaux antérieurs sur le concept de « croissance endogène » – l’idée que la croissance économique est générée par des facteurs à l’intérieur d’un système économique, et non par des forces qui empiètent de l’extérieur. Cela a valu un prix Nobel à Paul Romer en 2018.
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Leurs travaux se sont également appuyés sur les recherches antérieures sur « la destruction créatrice » menées par Joseph Schumpeter.
Le modèle créé par Philippe Aghion et Peter Howitt implique que les gouvernements doivent faire attention à la façon dont ils conçoivent les subventions pour encourager l’innovation. Si les entreprises pensent que toute innovation dans laquelle elles investissent va simplement être dépassée (ce qui signifie qu’elles perdraient leur avantage), elles n’investiront pas autant dans l’innovation.
Leur travail appuie également l’idée que les gouvernements ont un rôle à jouer dans le soutien et la reconversion des travailleurs qui perdent leur emploi dans des entreprises qui sont évincées par des concurrents plus innovants. Cela permettra également de renforcer le soutien politique aux politiques qui encouragent la croissance économique.
« Nuages noirs » à l’horizon ?
Les trois lauréats sont tous en faveur de la croissance économique, contrairement aux inquiétudes grandissantes concernant l’impact d’une croissance sans fin sur la planète.
Dans un entretien accordé après l’annonce du prix, cependant, Philippe Aghion a appelé à ce que la tarification du carbone rende la croissance économique compatible avec la réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Il met également en garde contre l’accumulation des « nuages sombres » de droits de douane qui s’amoncellent à l’horizon. La création d’obstacles au commerce pourrait réduire la croissance économique, selon le chercheur français, ajoutant que nous devons nous assurer que les innovateurs d’aujourd’hui n’étouffent pas les innovateurs de demain par des pratiques anticoncurrentielles.
Rachel Griffith oubliée
Le prix d’économie n’était pas l’un des cinq initialement prévus dans le testament du chimiste suédois Alfred Nobel en 1895. Il s’appelle officiellement le prix Sveriges Riksbank en sciences économiques en mémoire d’Alfred Nobel. Il a été décerné pour la première fois en 1969. Ce prix décerné à Joel Mokyr, Philippe Aghion et Peter Howitt s’inscrit dans la tendance qui voit l’attribution de ces récompenses dominée par des chercheurs travaillant dans des universités états-uniennes.
Cela perpétue également le schéma de surreprésentation masculine. Seuls 3 des 99 lauréats en économie sont des femmes.
On aurait pu imaginer que la professeure d’économie Rachel Griffith, plutôt que Joel Mokyr, partagerait le prix avec Philippe Aghion et Peter Howitt cette année. Puisqu’en effet, Griffith a co-écrit l’ouvrage Competition and Growth avec Philippe Aghion et co-écrit un article sur la concurrence avec ses deux coreligionnaires.
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John Hawkins ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
– ref. Le prix Nobel d’économie 2025 met à l’honneur la création et la destruction économique – https://theconversation.com/le-prix-nobel-deconomie-2025-met-a-lhonneur-la-creation-et-la-destruction-economique-268232
