Chez les paons, la taille compte… mais aussi la beauté et la vigueur

Source: The Conversation – in French – By Rama Shankar Singh, Professor (Emeritus) of Biology, McMaster University

En 1871, Charles Darwin a présenté sa théorie de la sélection sexuelle par le choix des femelles dans La Filiation de l’homme et la sélection liée au sexe. Il y avançait que les femelles d’une espèce manifestent une préférence pour la beauté et l’ornementation lors du choix de leurs partenaires, ce qui favoriserait la prévalence de ces traits.

Darwin affirmait que cela permettait d’expliquer l’évolution de la longue queue du paon. Plus de 150 ans plus tard, des recherches sur les paons remettent en question cette théorie.

Nos recherches sur la longue queue du paon ont révélé une règle de développement simple qui explique sa symétrie, sa complexité et sa beauté. Elle suggère que les paonnes choisissent leurs partenaires en fonction de leur taille, de leur vigueur et de leur beauté, et non pas uniquement en fonction de leur beauté, comme le pensait Darwin.

Les hypothèses de Darwin

Darwin considérait la queue excessivement longue du paon comme un trait inadapté ; elle était trop longue pour être expliquée par sa grande théorie de la sélection naturelle, selon laquelle les espèces ne développaient que les traits qui les aidaient à survivre.

Comme il l’écrivait à un collègue scientifique : « La vue d’une plume dans la queue d’un paon, chaque fois que je la regarde, me rend malade ! »

Darwin a fait deux hypothèses implicites qui, selon nos recherches, affaiblissent sa théorie de la sélection sexuelle. Premièrement, Darwin n’a pas compris que la mauvaise adaptation peut également être le résultat d’une adaptation, car les compromis entre les traits sont courants dans la nature.

Les queues de paon font ici référence aux longues plumes irisées qui pendent à l’arrière. Des queues plus longues (la hauteur des plumes une fois déployées) peuvent aider les mâles à attirer les femelles, mais elle présente aussi des inconvénients, par exemple en gênant la fuite face aux prédateurs.

un paon sans ses plumes voyantes
Après la saison des amours, les paons perdent leur longue queue.
(J.M.Garg/Wikimedia)

Deuxièmement, Darwin supposait que les paonnes admiraient la queue du paon « autant que nous » et que les oiseaux évaluaient leurs partenaires en fonction de leur attrait esthétique. Il affirmait que les oiseaux avaient le sens de la beauté. Plus tard, cette explication allait ouvrir la voie à des recherches visant à comprendre comment les femelles évaluent la beauté de leurs partenaires.

Les chercheurs se sont intéressés aux taches colorées en forme d’œil présentes sur la queue, mais de nombreuses études menées au cours des 30 dernières années n’ont pas confirmé de façon certaine que les femelles choisissaient leurs partenaires en fonction de ces motifs.

Complexité et vision

En tant que généticien spécialiste des mouches à fruits et intéressé par la variation et l’évolution des gènes liés au sexe et à la reproduction, je suis tombé par hasard sur l’évolution de la longue queue du paon. J’ai remarqué sa grande complexité et je me suis demandé si les paonnes voyaient ce que nous voyons.

J’ai examiné des spécimens de queues de paons conservés dans des musées et identifié deux découvertes majeures. La symétrie, la complexité et la beauté de la queue s’expliquent par une disposition en zigzag/alternée des follicules. Cette disposition, la forme d’empilement sphérique la plus dense connue, produit des effets remarquables lorsqu’elle se retrouve chez les êtres vivants.

gravure en noir et blanc d’un paon assis sur une branche
Illustration d’un paon publiée dans L’Origine de l’homme de Darwin.
(Wikimedia)

Deuxièmement, puisque plumes et ocelles appartiennent à la même structure, la taille de la traîne et le nombre d’ocelles sont corrélés sur le plan du développement. Les paonnes ne peuvent pas percevoir les ocelles et la taille de la queue comme des traits distincts, contrairement à nous ; elles réagissent uniquement à la couleur vert-bleu des ocelles, qui sont trop petites pour être visibles de loin. Les paonnes perçoivent donc la queue comme un trait complexe qui combine la taille de la traîne et certains aspects de la couleur des taches oculaires.


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Cela signifie que les femelles ne voient pas les taches oculaires sans percevoir d’abord la queue, ce qui suggère que la sélection porte directement sur la queue, et non indirectement sur les taches.

Puisque la sélection sexuelle et le choix du partenaire sont des éléments importants des processus évolutifs standard impliqués dans la sélection naturelle, il n’est pas nécessaire d’avoir une théorie distincte de la sélection sexuelle. Le naturaliste avait tort à cet égard.

Répondre aux croyances

À l’époque de Darwin, la théorie de la sélection sexuelle avait peu de soutien. Le naturaliste Alfred Russel Wallace, co-découvreur de la sélection naturelle, estimait que ce processus en relevait.

Mais Darwin avait d’autres raisons de défendre sa théorie de la sélection sexuelle. Il l’utilisait pour résoudre trois problèmes à la fois. Tout d’abord, bien sûr, pour expliquer l’évolution des traits sexuels secondaires et souvent exagérés, en particulier chez les oiseaux, notamment les paons.

Deuxièmement, il a utilisé sa théorie pour expliquer la formation des races chez les humains, en défendant l’idée de normes de beauté inhérentes à chacune d’entre elle, et qui servaient à les isoler les unes des autres.

À l’époque victorienne, on considérait les femmes comme faibles et incapables de choisir leurs partenaires de manière décisive. L’appréciation de la beauté était aussi vue comme un trait exclusivement humain, absent chez les autres animaux. Darwin en a conclu que, chez les oiseaux, ce sont les femelles qui choisissent selon la beauté, tandis que chez les humains, ce seraient les mâles.

Enfin, Darwin a utilisé les plumes du paon pour remettre en question l’ordre religieux et ouvrir la voie à l’appréciation esthétique du monde animal : la beauté, l’intelligence et la moralité, autrefois vues comme des dons divins.

Cette recherche montre pourquoi la théorie de la sélection sexuelle reste controversée, même après un siècle et demi. Le choix du partenaire par sélection sexuelle est indéniable, mais la théorie qui en découle est contestable.

La Conversation Canada

Rama Shankar Singh a reçu un financement du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada. Il est affilié au Centre d’études sur la paix de l’Université McMaster.

ref. Chez les paons, la taille compte… mais aussi la beauté et la vigueur – https://theconversation.com/chez-les-paons-la-taille-compte-mais-aussi-la-beaute-et-la-vigueur-263501