Source: The Conversation – France (in French) – By Karen Roehr-Brackin, Reader, Department of Language and Linguistics, University of Essex
Les enfants sont très doués pour apprendre de nouvelles langues. Faut-il en déduire qu’il y aurait un âge limite pour s’initier à une langue qu’on ne connaît pas ? On le pense souvent, mais les dernières recherches contredisent cette idée reçue. Explications.
Si vous avez toujours voulu apprendre une nouvelle langue, ne vous laissez pas décourager par votre âge. Les personnes de plus de 60 ans peuvent être autonomes et faire preuve de souplesse dans leur façon d’apprendre une langue, et avec succès.
Des décennies de recherche ont largement démontré qu’avec l’âge, certaines de nos capacités de cognition et de perception diminuent progressivement. Notre ouïe et notre vue ne sont plus aussi bonnes qu’avant, nous traitons les informations moins rapidement et notre mémoire n’est peut-être plus aussi vive que lorsque nous étions plus jeunes. Ce sont là les conséquences connues du vieillissement et cela n’a généralement pas d’impact négatif majeur sur la vie quotidienne.
Ce que l’on dit moins souvent, c’est que ces effets ne sont pas nécessairement des déficits en soi, mais résultent d’une vie entière de connaissances et d’expériences accumulées. Plus nous vieillissons, plus nous avons d’informations à trier, ce qui peut nous ralentir. Dans ce contexte, il est important aussi de souligner le fait que les connaissances générales, et en particulier les connaissances verbales, peuvent en réalité s’accroître avec l’âge.
Des chercheurs se sont ainsi penchés sur l’apprentissage des langues à un âge avancé et ont démontré qu’il n’y a pas de limite d’âge pour acquérir une nouvelle langue : nous pouvons le faire à tout moment de notre vie. Cependant, il est moins évident de déterminer quelle approche d’apprentissage et d’enseignement des langues fonctionne le mieux à un âge avancé.
Quel type d’apprentissage privilégier ?
Des recherches menées auprès de jeunes adultes indiquent qu’une approche explicite, comprenant par exemple des explications sur la langue cible et des règles grammaticales détaillées, est ce qui est le plus efficace.
À première vue, on pourrait supposer que cela devrait également s’appliquer aux personnes plus âgées, voire que cela devrait être encore plus vrai pour elles, étant donné que cela reflète une approche traditionnelle de l’enseignement des langues. Les personnes âgées ont peut-être justement connu cette approche pendant leur scolarité et pourraient donc la privilégier.
À ce jour, il existe étonnamment peu de recherches qui ont testé cette hypothèse. Une étude récente menée aux Pays-Bas n’a trouvé aucune preuve permettant d’affirmer que les apprenants en fin de vie obtiennent de meilleurs résultats avec une approche explicite.
Le fait que l’enseignement soit explicite ou implicite, c’est-à-dire avec ou sans explications grammaticales, n’avait aucune importance. Les participants seniors ont obtenu des résultats tout aussi bons, quelle que soit la méthode d’enseignement utilisée.
Une capacité d’adaptation
Dans une nouvelle étude menée avec mon collègue Renato Pavlekovic, nous avons comparé une approche explicite et une approche incidente de l’apprentissage des langues. Dans le cadre d’une petite série de cours en ligne, 80 volontaires anglophones âgés de 60 à 83 ans ont appris les bases du croate, une langue qui leur était totalement inconnue.
Dans l’approche explicite, une explication complète de la structure grammaticale ciblée a été fournie. Dans l’approche incidente, aucune explication n’a été donnée, mais des exercices pratiques supplémentaires étaient proposés.

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Nous avons constaté que les apprenants obtenaient des résultats tout aussi bons, quelle que soit l’approche pédagogique utilisée. Ils ont d’abord appris un ensemble de mots de vocabulaire, puis la structure grammaticale ciblée, avec un taux de réussite élevé, obtenant des scores moyens d’environ 80 % de précision. Cela suggère que l’approche pédagogique n’avait pas d’importance pour ce public plus âgé : ces participants sont capables de trouver leur propre voie, indépendamment de la manière dont le matériel d’apprentissage était présenté.
Image de soi et statut professionnel, des facteurs à prendre en compte
Dans cette nouvelle étude, nous avons également exploré le rôle des facteurs cognitifs et liés à la perception ainsi que l’image que nos volontaires avaient d’eux-mêmes, c’est-à-dire leur opinion sur leur propre santé, leur bonheur et leurs capacités. De plus, nous leur avons posé des questions sur leur (ancienne) profession et leur expérience antérieure en matière d’apprentissage des langues. Il est intéressant de noter que nous avons découvert un lien entre la capacité d’apprentissage implicite (c’est-à-dire la capacité à comprendre des choses à partir du contexte sans en avoir conscience), le statut professionnel (que la personne soit à la retraite ou encore en activité) et l’image de soi.
Plus précisément, les personnes qui ont déclaré avoir une image plus positive d’elles-mêmes ont montré de meilleures capacités d’apprentissage implicite. C’est le cas également des personnes qui travaillaient encore au moment de l’étude par rapport aux personnes à la retraite, ce que nous avions également observé dans une étude précédente. Il est important de noter que cet effet était indépendant de l’âge.
À première vue, le lien entre le statut professionnel, la capacité d’apprentissage implicite et l’image de soi peut sembler peu évident. Il existe toutefois un dénominateur commun : la confiance en soi pourrait être au cœur d’un cercle vertueux. Une personne dotée d’une forte capacité d’apprentissage implicite reste plus longtemps sur le marché du travail. Cela renforce son image de soi, ce qui l’incite à poursuivre plus longtemps son activité professionnelle.
Au travail, ils doivent aussi faire avec les tâches qui leur plaisent comme celles qui ne leur plaisent pas ; ils ne peuvent donc pas se contenter de faire uniquement ce qu’ils aiment. Cela signifie qu’ils continuent à puiser dans leur capacité d’apprentissage implicite, etc.
Dans l’ensemble, les résultats de notre étude montrent que les personnes qui apprennent une langue sur le tard peuvent le faire avec succès. Elles semblent suffisamment indépendantes pour choisir la voie qui leur convient le mieux, de sorte que l’approche pédagogique utilisée ne compte pas tant que ça. Mais la confiance en soi, qui semble résulter des compétences comme du statut social dont on dispose, est importante.
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Karen Roehr-Brackin a reçu un financement de la British Academy/Leverhulme Trust (référence de subvention SRG23230787).
– ref. Apprendre une nouvelle langue : pourquoi on ne doit pas considérer l’âge comme un frein – https://theconversation.com/apprendre-une-nouvelle-langue-pourquoi-on-ne-doit-pas-considerer-lage-comme-un-frein-266763
