Source: The Conversation – France in French (3) – By Brittany Romanello, Assistant Professor of Sociology, University of Arkansas
Le 14 octobre 2025, Dallin H. Oaks a pris la tête de l’« Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours », aussi connue sous le nom d’Église mormone, un mouvement mondial en pleine expansion qui revendique plus de 17 millions de membres en 2024. L’anthropologue Brittany Romanello a étudié plusieurs communautés de femmes mormones à travers les États-Unis et revient sur leurs caractéristiques ainsi que sur les enjeux qui attendent la nouvelle direction de l’Église.
L’« Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours » (Église SDJ) a connu ces dernières semaines un moment de deuil et de transition. Le 28 septembre 2025, une fusillade et un incendie criminels ont fait quatre morts et huit blessés lors d’un rassemblement dans une église mormone du Michigan. La veille, le président de l’Église Russell M. Nelson était mort à l’âge de 101 ans. Dallin H. Oaks, le plus ancien des hauts dirigeants de l’Église, a été nommé comme nouveau président le 14 octobre.
Le nouveau président des Saints des Derniers Jours hérite de la direction d’une institution religieuse à la fois profondément américaine et de plus en plus globale. La diversité de ce mouvement entre en tension avec la manière dont il est traditionnellement représenté dans les médias, de la téléréalité la Vie secrète des épouses mormones à la comédie musicale de Broadway le Livre de mormons.
En tant qu’anthropologue culturel et ethnographe, je mène des recherches sur les communautés des saints des derniers jours à travers les États-Unis, en particulier sur les immigrantes latino-américaines et les jeunes adultes. Lorsque je présente mes recherches, je remarque que beaucoup de gens associent encore étroitement l’Église à l’Utah, où se trouve son siège social.**

Parallelepiped09/Wikimedia, CC BY-SA
L’Église a joué un rôle central dans l’histoire et la culture de l’Utah. Aujourd’hui, cependant, seuls 42 % de ses habitants en sont membres. Le stéréotype selon lequel les saints des derniers jours sont principalement des Américains blancs et conservateurs est l’une des nombreuses idées fausses tenaces concernant les communautés et les croyances mormones.**
Beaucoup de gens sont surpris d’apprendre qu’il existe des congrégations dynamiques loin du « corridor mormon » de l’Ouest américain. On trouve des saints des derniers jours fervents partout, du Ghana et des Émirats arabes unis à la Russie, en passant par la Chine continentale.
Croissance globale
Joseph Smith a fondé l’Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours dans le nord de l’État de New York en 1830 et a immédiatement envoyé des missionnaires prêcher le long de la frontière. Les premiers missionnaires outre-mer se sont rendus en Angleterre en 1837.
Peu après la Seconde Guerre mondiale, les dirigeants religieux ont revu leur approche missionnaire afin d’augmenter le nombre de missions internationales. Cette stratégie a conduit à une croissance à travers le monde, en particulier en Amérique centrale, en Amérique du Sud et dans les îles du Pacifique.
Aujourd’hui, l’Église compte plus de 17,5 millions de membres, selon ses registres. La majorité d’entre eux vivent en dehors des États-Unis, répartis dans plus de 160 pays.
L’Église et les chercheurs suivent cette croissance mondiale, notamment grâce à la construction de nouveaux temples. Ces bâtiments, qui ne sont pas utilisés pour le culte hebdomadaire mais pour des cérémonies spéciales telles que les mariages, étaient autrefois presque exclusivement situés aux États-Unis. Aujourd’hui, ils existent dans des dizaines de pays, de l’Argentine aux Tonga.
Au cours de sa présidence, qui a débuté en 2018, Nelson a annoncé la construction de 200 nouveaux temples, soit plus que n’importe lequel de ses prédécesseurs. Les temples sont une représentation physique et symbolique de l’engagement de l’Église à être une religion mondiale, même si des tensions culturelles persistent.

AP Photo/George Frey
Parmi les membres américains, la démographie évolue également. 72 % des membres américains sont blancs, contre 85 % en 2007, selon le Pew Research Center. Un nombre croissant de Latinos-Américains – 12 % des membres américains – ont joué un rôle important dans le maintien des congrégations à travers le pays.
Il existe des congrégations dans tous les États américains, y compris dans la petite communauté de Grand Blanc, dans le Michigan, lieu de la tragique fusillade. Le suspect Thomas Jacob Sanford, qui a été abattu par la police, s’était récemment lancé dans une tirade contre les saints des derniers jours lors d’une conversation avec un candidat politique local. Dans les jours qui ont suivi, un membre américain de l’église a récolté des centaines de milliers de dollars pour la famille de l’assaillant.
Douleurs en hausse
Malgré la diversité de l’Église, ses fondements institutionnels restent solidement ancrés aux États-Unis. Les instances dirigeantes sont encore composées presque exclusivement d’hommes blancs, dont la plupart sont nés aux États-Unis.
À mesure que l’Église continue de croître, des questions se posent quant à l’adéquation des normes d’une Église basée dans l’Utah avec les réalités des membres à Manille, Mexico, Bangalore ou Berlin. Quelle place reste-t-il, même dans les congrégations américaines, pour les expressions culturelles locales de la foi ?**
Les mormons latino-américains et les membres d’Amérique latine, par exemple, ont dû faire face à une opposition à l’égard de traditions culturelles considérées comme « non mormones », telles que la construction d’autels et les offrandes lors du Dia de los Muertos. En 2021, l’Église SDJ a lancé une campagne en espagnol utilisant des images du Jour des morts afin de susciter l’intérêt des Latino-Américains. De nombreux membres se sont réjouis de cette représentation. Pourtant, certaines femmes avec lesquelles j’ai discuté ont déclaré que l’accent mis sur la blancheur et le nationalisme américain, ainsi que la rhétorique anti-immigrés qu’elles avaient entendue de la part d’autres membres, les dissuadait de célébrer pleinement leur culture.
Même les détails esthétiques, comme les styles musicaux, reflètent souvent un modèle typiquement américain. Le recueil de cantiques standardisé, par exemple, contient des chants patriotiques comme « America the Beautiful ». Cette importance accordée à la culture américaine peut sembler particulièrement déplacée dans les pays où le taux d’adhésion est élevé et qui ont connu des conflits avec l’armée américaine ou politique.
Les attentes en matière d’habillement et d’apparence physique ont également soulevé des questions sur la représentation, l’appartenance et l’autorité. Ce n’est qu’en 2024, par exemple, que l’Église a proposé à ses membres vivant dans des régions humides des versions sans manches des vêtements sacrés que les mormons portent sous leurs vêtements pour rappeler leur foi.
Historiquement, l’Église considérait les tatouages comme tabous – une violation du caractère sacré du corps. De nombreuses régions du monde ont des traditions sacrées de tatouage vieilles de plusieurs milliers d’années, notamment l’Océanie, qui compte un taux élevé d’adhérents à l’Église.
Changement à venir ?
Parmi les nombreux défis qui l’attendent, le prochain président de l’Église SDJ devra trouver comment diriger une Église mondiale depuis son siège américain, une Église qui continue d’être mal comprise et victime de stéréotypes, parfois au point d’en arriver à des actes de violence.

Kaveh/Wikimedia, CC BY-SA
Le nombre de mormons continue d’augmenter dans de nombreuses régions du monde, mais cette croissance s’accompagne d’un besoin accru de prise en compte des différentes sensibilités culturelles. L’Église, qui a toujours été très uniforme dans ses efforts de standardisation de l’histoire, de l’art et des enseignements des mormons, a de plus en plus de mal à maintenir cette uniformité lorsque les congrégations s’étendent sur des dizaines de pays, de langues, de coutumes et d’histoires.
Organiser l’Église SDJ comme une entreprise, avec un processus décisionnel descendant, peut également rendre difficile le traitement des histoires raciales douloureuses et des besoins des groupes marginalisés, tels que les membres LGBTQ+.
La transition au niveau de la direction offre une occasion non seulement à l’Église, mais aussi au grand public, de mieux comprendre les multiples facettes ainsi que la dimension mondiale de la vie des « saints des derniers jours » aujourd’hui.
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Brittany Romanello ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
– ref. Devenue une religion mondiale, l’Église mormone va devoir s’adapter – https://theconversation.com/devenue-une-religion-mondiale-leglise-mormone-va-devoir-sadapter-267337
