La fin du programme de prédédouanement frontalier entre le Canada et les États-Unis est-elle proche ?

Source: The Conversation – in French – By Emily Gilbert, Professor, Canadian Sudies and Geography & Planning, University of Toronto

Lors de la réunion du 25 septembre à Banff, l’ambassadeur américain au Canada, Pete Hoekstra, s’est interrogé sur l’avenir du prédédouanement au Canada. Il s’est plaint de la baisse du nombre de voyages transfrontaliers, laquelle rend le coût du programme moins attrayant pour les Américains.

Les commentaires d’Hoekstra ont été perçus comme une menace, voire comme l’exigence que les Canadiens recommencent à voyager aux États-Unis.

Mais les Canadiens devraient-ils continuer à rester à l’écart ? Il est peut-être temps de repenser le programme de prédédouanement du Canada avec les États-Unis et la manière dont il peut porter atteinte aux droits civils et à la souveraineté du Canada.

D’abord informel, puis élargi

Les origines du programme de prédédouanement américain au Canada remontent à 1952. Il s’agissait au départ d’un accord informel conclu à la demande d’American Airlines, qui souhaitait développer ses activités au Canada.

Depuis, le programme s’est étendu à huit aéroports internationaux canadiens, dont l’Aéroport international Montréal-Trudeau (YUL) qui offre le prédédouanement américain, et au terminal ferry de l’Alaska Marine Highway System à Prince Rupert, en Colombie-Britannique. Les États-Unis ont également étendu leurs installations de prédouanement aux Bahamas, aux Bermudes, à l’Irlande et aux Émirats arabes unis.

Dans le cadre de l’accord de prédédouanement entre le Canada et les États-Unis, des agents frontaliers américains sont présents au Canada afin que les voyageurs puissent passer les contrôles douaniers, d’immigration, de santé publique et de sécurité, ainsi que les inspections agricoles avant leur départ. Cela offre une sécurité supplémentaire aux États-Unis, car ils peuvent contrôler les voyageurs beaucoup plus tôt dans leur voyage et arrêter les voyageurs suspects avant qu’ils ne montent à bord de leur avion.

Pour les voyageurs canadiens, cela accélère le passage de la frontière. En passant la douane au Canada, ils n’ont pas besoin de faire la queue à leur arrivée aux États-Unis. Il est ainsi beaucoup plus facile de prendre des vols en correspondance et cela signifie également que les compagnies aériennes peuvent desservir des aéroports américains plus petits depuis le Canada, ce qui peut être moins cher et plus pratique.

Pouvoirs de police

Le prédédouanement au Canada est devenu si courant qu’il n’a pas fait l’objet d’un examen approfondi, même si la législation récente soulève des préoccupations pressantes.

En 2015, les États-Unis et le Canada ont signé un nouveau traité sur le précontrôle des transports terrestres, ferroviaires, maritimes et aériens. Cette législation a ouvert la voie à un élargissement du prédédouanement avec de nouvelles installations à l’Aéroport international Jean-Lesage de Québec (YQB) et à l’aéroport Billy Bishop sur les îles de Toronto, dont l’ouverture est prévue prochainement. Des projets pilotes ont également été mis en place dans les gares ferroviaires et les ports, ce qui soulève des questions particulières, car ces installations sont souvent situées en centre-ville.

Par la suite, le Canada a adopté sa nouvelle loi sur le prédouanement, qui est entrée en vigueur en 2019. Cette loi a mis à jour les conditions du prédouanement, mais a également introduit de nouveaux pouvoirs policiers inquiétants et étendus pour les agents américains sur le sol canadien.

Les agents frontaliers américains ont désormais le pouvoir de procéder à des fouilles à nu si aucun agent canadien n’est disponible ou n’est disposé à participer. Les agents frontaliers américains ont également le droit de porter des armes.

En vertu de la législation précédente de 1999, les agents frontaliers américains étaient autorisés à utiliser « toute la force nécessaire pour accomplir leurs tâches de prédouanement » s’ils le faisaient « pour des motifs raisonnables ». Mais en vertu de la législation récente, les agents américains sont « autorisés à faire ce qu’ils sont tenus ou autorisés à faire en vertu de la présente loi et à utiliser toute la force nécessaire à cette fin ». En d’autres termes, le recours à la force est désormais légitimé.


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De plus, alors qu’auparavant les voyageurs pouvaient se soustraire à l’inspection sans préjudice, en vertu de la législation de 2017, leur retrait du processus frontalier pourrait être interprété comme un motif de suspicion.

Le fait de se retirer devient suspect, le refus de répondre étant considéré comme une obstruction, ce qui constitue une infraction pénale tant aux États-Unis qu’au Canada. Cela peut empêcher une personne d’entrer aux États-Unis à une date ultérieure.

Si une personne est soupçonnée d’avoir commis une infraction, les agents frontaliers américains peuvent également la placer en détention, à condition que cela ne « retarde pas de manière déraisonnable le retrait du voyageur » du processus. Or, il n’y a pas de limite de temps pour ce qui est considéré comme un « retard déraisonnable ».

Modifications législatives préoccupantes

Lorsque la nouvelle loi sur le prédouanement a été présentée, le premier ministre Justin Trudeau a tenté d’apaiser les inquiétudes en expliquant que le prédouanement offrait davantage de protections aux voyageurs, car la Constitution canadienne s’appliquerait au Canada.

La loi elle-même stipule :

L’exercice de tout pouvoir et l’exécution de toute fonction ou tâche en vertu de la législation américaine au Canada sont soumis à la législation canadienne, y compris la Charte canadienne des droits et libertés, la Déclaration canadienne des droits et la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Mais ces protections peuvent-elles vraiment être garanties lorsqu’il y a chevauchement de compétences ?

Prenons l’exemple de la dernière interdiction de voyager en 2025 qui interdit totalement l’entrée sur le territoire américain aux ressortissants de 12 pays et partiellement à ceux de sept autres pays.

Comme le souligne Amnesty International, les interdictions de Trump « visent des personnes en fonction de leur race, de leur religion ou de leur nationalité, issues de pays à population majoritairement noire, brune et musulmane ». Pourtant, ces interdictions sont appliquées au Canada via ces zones de prédouanement, ce qui signifie que les droits et les protections contre la discrimination prévus par les lois canadiennes ne sont pas respectés.

En vertu des termes du traité de 2015, les agents de prédouanement bénéficient également d’une immunité pour les infractions civiles et administratives dans leur pays d’accueil. De plus, les États-Unis ont adopté une loi un an plus tard stipulant que les États-Unis ont compétence sur les infractions commises par le personnel américain en poste au Canada.

Comme l’a déclaré le commissaire à la protection de la vie privée du Canada, cette absence de responsabilité au Canada signifie qu’il existe peu de recours pour une personne au Canada qui est victime d’un incident avec des agents frontaliers américains lors du contrôle préalable. S’il n’y a pas de responsabilité, les lois canadiennes sont essentiellement sans signification.

Politique frontalière

Pour ces raisons, il est urgent que le Canada réévalue le programme de prédédouanement. D’autant plus que des efforts sont en cours pour déployer le prédédouanement canadien aux frontières terrestres avec les États-Unis.

En janvier 2025, avant l’investiture de Trump, un projet pilote de deux ans a été annoncé à l’installation de Cannon Corners, à la frontière entre New York et le Québec. Ce projet serait quelque peu différent des pouvoirs de police accordés aux agents frontaliers américains dans les aéroports canadiens, mais les objectifs du Canada sont similaires aux directives de sécurité américaines : déterminer l’admissibilité avant l’entrée au Canada.

En d’autres termes, le Canada met en place des initiatives de prédédouanement qui rendent plus difficile les demandes d’asile lorsqu’elles sont émises par des personnes traversant la frontière canado-américaine.

Hoekstra a remis en question l’avenir du prédédouanement. Cela offre une excellente occasion de se demander si les coûts du programme l’emportent sur les avantages dans le climat politique actuel. En effet, aussi pratiques et efficaces que puissent être les programmes de prédouanement, ils soulèvent des questions délicates concernant la souveraineté canadienne et les droits des citoyens canadiens.

La question devrait plutôt être de savoir si le Canada souhaite adopter une politique frontalière à l’américaine plutôt que d’essayer de mettre en place des politiques et des pratiques frontalières plus humaines.

La Conversation Canada

Emily Gilbert a reçu un financement du Conseil de recherches en sciences humaines.

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