Source: The Conversation – France (in French) – By Benoît Faye, Full Professor Inseec Business School, Chercheur associé LAREFI Université de Bordeaux Economiste des marchés du vin, de l’art contemporain et Economiste urbain, INSEEC Grande École
Créés pour faire du sport, les sneakers sont devenus la chaussure tout-terrain. Certaines paires sont même devenues des objets de collection, voire d’investissement. Mais que vaut ce placement ? Quels risques présente-t-il pour quel rendement ?
Pour diversifier leur patrimoine, les ménages peuvent acquérir des objets de collections en anticipant un gain à la revente. Si les œuvres d’art et l’horlogerie de luxe ont pu tenir ce rôle à travers les générations, les jeunes ménages ont aujourd’hui d’autres totems. Après les skins CSGO, les cryptos ou les NFT, émerge depuis dix ans un nouvel objet de collection : les chaussures de sport, aussi appelées sneakers. S’agit-il d’un simple effet de mode culturel ou d’un investissement pertinent ?
Les sneakers ont parcouru un long chemin depuis les Keds de 1916. D’abord chaussures utilitaires, puis sportives, elles sont devenues un symbole culturel, indissociable des mouvements urbains, comme le hip-hop. Cette évolution s’est accélérée dans les années 1980, notamment avec la collaboration entre Nike et la star du basket-ball Michael Jordan, donnant naissance à l’iconique Air Jordan.
Plus d’un milliard de dollars de chiffre d’affaires en 2019
Aujourd’hui, les marques de sneakers s’associent avec des icônes de la musique, du sport et du web, créant des éditions limitées très convoitées. Un marché secondaire est même né et StockX, sa plateforme leader, a dépassé le milliard de dollars américains de chiffre d’affaires en 2019.
Si la plupart des paires se vendent quelques centaines d’euros, certains modèles rares atteignent des sommets aux enchères. En 2021, une paire de Nike Air Yeezys s’est vendue 1,8 million de dollars. Un an plus tard, des Nike Air Force 1 signés par Virgil Abloh ont rapporté 25,3 millions de dollars lors d’une vente aux enchères chez Sotheby’s. Ces exemples attirent l’attention des investisseurs. Cependant, les sneakers peuvent-ils désormais être considérés comme une véritable classe d’actifs ?
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L’approche scientifique : construire un indice de prix
Pour répondre à cette question, nous avons analysé dans un article à paraître dans le Journal of Alternative Investment le marché des sneakers sur une période allant de décembre 2015 à avril 2023, en utilisant les données de StockX (plus de 2 000 paires fabriquées avant 2016 – Adidas, Jordan et Nike notamment), l’une des plus grandes plates-formes de revente en ligne.
L’analyse de la performance de ce type d’actif est complexe. Contrairement aux actions ou obligations, qui ont des prix standardisés, chaque paire de sneakers possède des caractéristiques uniques (modèle, taille, couleur, année de sortie, etc.) qui influencent sa valeur. Nous utilisons donc la même méthode que celle de l’indice des prix immobilier, en tenant compte des différences de caractéristiques des logements pour extraire une tendance de prix, un indice hédonique. Cette méthode est utile pour étudier l’évolution de la valeur d’un marché au cours du temps lorsque les caractéristiques des biens échangés peuvent être différentes d’une période à l’autre.
Graphique 1 : Évolution de l’indice de prix hédonique des sneakers (trimestriel)

auteurs, Fourni par l’auteur
La tendance générale est clairement à la hausse, avec une accélération des prix postCovid-19. Cependant, l’analyse des rendements sur l’ensemble de la période montre que le marché est loin d’être un long fleuve tranquille. En effet, les sneakers présentent un profil assez proche de celui d’autres objets de collection, possédant à la fois des rendements élevés mais aussi une volatilité importante. Cela signifie que leurs prix peuvent fluctuer fortement et rapidement. Malheur à celui qui achète en position haute et revend en position basse.
Un marché en pleine maturation
Nous montrons cependant l’existence d’une rupture structurelle, survenue mi 2019, dans les rendements du marché des sneakers. Avant cette date, le marché était en pleine émergence, caractérisé par des rendements très élevés et une forte volatilité. C’était l’époque des spéculateurs et des collectionneurs passionnés, où chaque sortie de modèle exclusif pouvait générer un engouement démesuré.
Après mi 2019, nos données indiquent une baisse progressive des rendements, mais aussi une diminution du risque (volatilité). Cette évolution est un signe de la maturité croissante du marché. Le développement des plateformes, comme StockX, Goat, Stadium goods, a professionnalisé la revente, augmenté la fréquence des ventes et réduit l’incertitude des prix (liquidité). Ce marché devient plus structuré, moins sujet à des variations extrêmes, et donc plus prévisible pour les investisseurs.
Les atouts des sneakers
Pour évaluer le potentiel des sneakers, comparons leurs rendements et leur risque à ceux d’autres actifs, qu’ils soient traditionnels (actions-MSCI world, or) ou alternatifs (art, vin, immobilier). Toutefois, prenons soin de distinguer les performances pré et post Covid-19.
Lors de la première période (graphique 2) les sneakers affichent le profil traditionnel des objets de collection : un rendement élevé (environ 50 %) compensant le risque démesuré (150 %) auquel s’expose l’investisseur. La deuxième période (post-Covid) montre une maturité croissante des sneakers avec un risque désormais plus proche des autres actifs (40 %) pour un rendement qui se réduit mécaniquement. Toutefois, rapporté au risque, le rendement postCovid des sneakers se rapproche de celui de l’immobilier et surpasse celui de l’or.
Mais le plus grand atout des sneakers réside dans leur potentiel de diversification de portefeuille. Nous constatons une très faible corrélation entre les rendements des sneakers et ceux des marchés financiers traditionnels (actions, obligations) ou des autres collectibles. Nos simulations montrent que l’inclusion de sneakers dans un portefeuille diversifié, en particulier pour un investisseur à la recherche de rendements élevés (ou profil « agressif »), peut significativement augmenter les rendements tout en contrôlant la prise de risque.
Risques et perspectives
Le marché des sneakers, bien que plus mature, est encore jeune et présente des spécificités. La liquidité reste limitée, le risque de contrefaçon élevé et le manque de données historiques exhaustives peuvent aussi être des freins.
De plus, l’investissement dans les sneakers repose sur des dynamiques culturelles, des préférences changeantes. La valeur d’un modèle dépend de sa popularité, de sa rareté, et des collaborations avec des personnalités influentes. Un revirement de tendance, une altération de l’image des partenaires ou une surabondance de modèles « limités » pourraient éroder la valeur de l’exclusivité.
Parier sur les baskets peut donc être un bon moyen de diversifier son portefeuille… à condition d’accepter que, comme sur un terrain de basket, le jeu soit rapide, parfois chaotique, et réservé aux joueurs les plus audacieux.
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Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.
– ref. Les sneakers : passion de collectionneur ou placement financier ? – https://theconversation.com/les-sneakers-passion-de-collectionneur-ou-placement-financier-265921
