Tony Blair est-il l’homme de la situation pour Gaza ?

Source: The Conversation – France in French (3) – By Dana El Kurd, Assistant Professor of Political Science, University of Richmond

Au vu de ce qui transparaît du plan élaboré pour Gaza par l’administration Trump, qui lui confère un rôle éminent, il semble que l’action de l’ancien premier ministre britannique Tony Blair sera comparable à son travail en tant qu’envoyé spécial du Quartet en Palestine (2007-2015), qui s’était soldé par un échec, plus qu’à son implication dans l’accord du Vendredi saint qui, en 1998, avait mis fin à trente ans de conflit armé en Irlande du Nord…


Tony Blair, l’homme choisi par Donald Trump pour jouer un rôle clé dans la supervision de la gouvernance de Gaza après la guerre, n’en est pas à sa première négociation d’un plan de paix.

Premier ministre du Royaume-Uni de 1997 à 2007, Blair a contribué en 1998 à la conclusion de l’accord du Vendredi saint, qui a permis de mettre un terme aux violences sectaires en Irlande du Nord. Après son départ du 10, Downing Street, Blair est immédiatement devenu envoyé spécial du Quartet – un groupe diplomatique regroupant l’Organisation des Nations unies (ONU), l’Union européenne (UE), les États-Unis et la Russie pour élaborer une solution durable au conflit israélo-palestinien. Il est demeuré à ce poste jusqu’en 2015.

Comme l’ont tragiquement montré le carnage commis le 7 octobre 2023 par le Hamas et les ravages qui ont été ensuite infligés à Gaza par Tsahal, récemment qualifiés de génocide par un organe des Nations unies, le Quartet a échoué dans sa mission.

Le plan de paix en 20 points actuellement en discussion par les parties prenantes en Égypte est succinct : il insiste sur le retour des otages israéliens encore détenus par le Hamas, la démilitarisation de la bande de Gaza et la création d’une force de sécurité internationale pour opérer sur place.

Par ailleurs, ce plan ne soutient pas l’expulsion des Palestiniens de Gaza – contrairement à certaines propositions précédentes formulées par l’administration Trump et qualifiées par des associations de défense des droits humains de plans de « nettoyage ethnique ».

Le 8 octobre 2025, Trump a annoncé le lancement d’une phase initiale du plan de paix. Un accord a été trouvé sur l’échange des otages contre des prisonniers ainsi qu’une trêve des combats. Mais les négociations sont toujours en cours sur divers points d’achoppement, notamment le désarmement des groupes combattants gazaouis.

L’accord prévoit également qu’après la guerre, Gaza soit gouvernée par un comité palestinien provisoire « technocratique » et « apolitique ». Cet organe temporaire sera supervisé par un « Conseil de paix » dirigé par Trump lui-même. D’autres membres dont les noms n’ont pas été communiqués y siégeront également, mais le seul nom qui a été annoncé à ce stade est celui de Tony Blair, qui, selon certaines informations, était en pourparlers avec l’administration Trump depuis un certain temps pour élaborer le plan de paix actuel.

En tant que spécialiste des relations internationales et de la politique palestinienne, je crains que cette proposition ne comporte les mêmes limites et les mêmes défauts que les précédents plans de paix imposés aux Palestiniens par des organismes extérieurs, notamment les efforts du Quartet de Blair et les précédents accords d’Oslo, et qu’elle soit très éloignée des mécanismes qui ont permis de consolider la paix en Irlande du Nord.

Un plan qui prend racine dans une « paix illibérale »

La faille principale que les critiques voient dans le plan actuel est qu’il ne mentionne pas le droit des Palestiniens à l’autodétermination et à la souveraineté, un droit pourtant inscrit dans le droit international.

Le plan ne prévoit pas non plus de participation significative des Palestiniens, que ce soit par l’intermédiaire de leurs représentants légitimes ou par le biais de mécanismes visant à garantir l’adhésion de la population.

Au contraire, le nouveau cadre est asymétrique, puisqu’il permet au gouvernement israélien d’atteindre bon nombre de ses objectifs politiques tout en imposant plusieurs niveaux de contrôle international et en n’évoquant que des garanties vagues pour le peuple palestinien, et ce, uniquement si celui-ci se conforme aux exigences des auteurs du texte.

En l’état, ce plan s’inscrit dans la continuité de ce que les politologues qualifient de « paix illibérale » en matière de résolution des conflits.

Dans un article publié en 2018, des chercheurs ont défini la « paix illibérale » comme une paix dans laquelle « la cessation du conflit armé est obtenue par des moyens […] ouvertement autoritaires ».

Une telle paix est obtenue grâce à « des méthodes qui évitent les véritables négociations entre les parties au conflit, rejettent la médiation internationale et les contraintes à l’usage de la force, ignorent les appels à s’attaquer aux causes structurelles sous-jacentes du conflit et s’appuient plutôt sur des instruments de coercition étatique et des structures hiérarchiques de pouvoir ».

Parmi les exemples passés, on peut citer la gestion des conflits au Kurdistan turc, en Tchétchénie ou encore, tout récemment, au Haut-Karabakh.

Le cas de l’Irlande du Nord

Cela contraste avec d’autres accords de paix conclus ailleurs, dans des cadres diplomatiques plus inclusifs, comme en Irlande du Nord.

Pendant plus de trente ans, le territoire avait été embourbé dans des violences sectaires entre les « loyalistes », majoritairement protestants et désireux de rester rattachés au Royaume-Uni, et la minorité catholique, qui entendait faire partie d’une république irlandaise unifiée et indépendante.

Pour mettre fin à ce conflit armé, le processus de paix a inclus toutes les parties concernées, y compris les différents groupes combattants.

De plus, le processus de paix en Irlande du Nord a explicitement impliqué la population irlandaise et lui a permis de s’exprimer à travers deux référendums distincts. Les habitants d’Irlande du Nord ont voté pour ou contre le plan, tandis que ceux de la République d’Irlande ont voté pour ou contre l’autorisation donnée à l’État irlandais de signer l’accord.

Grâce à ce processus inclusif et démocratique, le conflit n’a toujours pas repris depuis vingt-sept ans.

Si Tony Blair n’a pas lancé le processus de paix en Irlande du Nord, son gouvernement a joué un rôle central, et c’est lui qui a déclaré que « la main de l’histoire » reposait sur l’épaule de ceux qui ont participé aux derniers jours des négociations.

Échec à Oslo

Le processus nord-irlandais, couronné de succès, contraste fortement avec les nombreux processus de paix qui ont échoué au Moyen-Orient, lesquels s’inscrivent davantage dans le concept de « paix illibérale ».

La tentative la plus sérieuse en faveur d’une paix durable a été celle des accords d’Oslo de 1993, par lesquels l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) a accepté le droit d’Israël à exister, renonçant à ses revendications sur une grande partie de la Palestine historique, en échange de la reconnaissance par Israël de l’OLP comme représentant légitime du peuple palestinien.

Ce processus a conduit à la création de l’Autorité palestinienne, qui était censée exercer une gouvernance limitée à titre provisoire, et à la tenue d’élections présidentielles et parlementaires afin d’impliquer la population palestinienne. Mais comme l’ont depuis admis de nombreux anciens responsables américains, les accords étaient asymétriques : ils offraient aux Palestiniens une reconnaissance sous l’égide de l’OLP, mais peu de perspectives pour parvenir à une solution négociée dans un contexte d’occupation par un pays souverain bien plus puissant.

Le processus de paix s’est effondré lorsque cette asymétrie est apparue clairement. Les deux parties entendaient des choses très différentes par le mot « État ». Le gouvernement israélien envisageait une forme d’autonomie limitée pour les Palestiniens et poursuivait l’expansion des colonies et l’occupation militaire. Les Palestiniens, quant à eux, envisageaient un État légitime exerçant sa souveraineté.

Pour aggraver les problèmes, les Palestiniens n’ont jamais eu un pouvoir de négociation égal, et les accords manquaient d’un arbitre neutre, les États-Unis, le principal médiateur, penchant clairement en faveur de la partie israélienne.

Oslo était censé être un processus limité dans le temps afin de donner aux négociateurs le temps de résoudre les questions en suspens. Dans la pratique, il a servi à couvrir diplomatiquement, des années durant, un statu quo dans lequel les gouvernements israéliens se sont éloignés d’une solution à deux États tandis que les Palestiniens sont devenus de plus en plus fragmentés politiquement et géographiquement dans un contexte de difficultés et de violences croissantes.

Le processus de paix d’Oslo s’est effondré au début du mandat du gouvernement Blair, alors même que celui-ci contribuait à mettre la touche finale à l’accord du Vendredi saint.

Répéter les erreurs à Gaza ?

Dans le contexte israélo-palestinien actuel, Blair risque de répéter les erreurs d’Oslo. Il s’apprête à siéger au sein d’un organisme international non démocratique chargé de superviser un peuple soumis à une occupation militaire de facto.

De plus, bien que le plan Trump dépende de l’approbation du Hamas, ce mouvement n’aura aucun rôle à jouer après la phase initiale. En effet, le cadre stipule explicitement que le Hamas doit être exclu de toute discussion future sur l’après-guerre à Gaza. De plus, aucun autre groupe palestinien n’est directement impliqué ; le principal rival du Hamas, le Fatah, qui contrôle l’Autorité palestinienne en Cisjordanie occupée, n’est mentionné que brièvement. Quant à l’Autorité palestinienne, il n’y a qu’une vague allusion à la réforme de cet organisme.

De même, il n’a été fait aucune mention de ce que le peuple palestinien pourrait réellement souhaiter. À cet égard, l’organe proposé rappelle la création de l’Autorité provisoire de la coalition dirigée par les États-Unis lors de l’invasion de l’Irak (2003-2004). Cet organisme, qui a gouverné l’Irak immédiatement après l’invasion, a été sévèrement critiqué pour sa corruption et son manque de transparence.

L’échec de la guerre en Irak et l’implication du Royaume-Uni dans ce conflit ont contribué à la démission de Tony Blair de son poste de premier ministre en 2007, après quoi il a occupé la fonction d’envoyé spécial du Quartet. Formé par l’ONU, les États-Unis, l’UE et la Russie, le Quartet était chargé de préserver une forme de solution à deux États et de mettre en œuvre des plans de développement économique dans les villes palestiniennes.

Mais lui aussi a échoué à répondre aux réalités politiques changeantes sur le terrain, alors que les colonies israéliennes s’étendaient et que l’occupation militaire s’intensifiait.

Selon ses détracteurs, le Quartet aurait largement ignoré le droit des Palestiniens à l’autodétermination et à la souveraineté, se concentrant plutôt sur une amélioration marginale des conditions économiques et sur des initiatives superficielles.

La dernière proposition soutenue par les États-Unis s’inspire largement de cette approche. Même si elle apporte à court terme un répit bienvenu aux souffrances des Gazaouis, une résolution durable et mutuellement acceptée du conflit israélo-palestinien qui dure depuis plusieurs décennies nécessite ce que le plan de Trump met de côté : l’autodétermination palestinienne.

En Irlande du Nord, Blair avait compris l’importance d’une médiation neutre et de l’adhésion de toutes les parties au conflit et de la population elle-même. Le plan auquel il participe aujourd’hui semble fonctionner selon un calcul très différent.

The Conversation

Dana El Kurd est membre de l’Arab Center de Washington.

ref. Tony Blair est-il l’homme de la situation pour Gaza ? – https://theconversation.com/tony-blair-est-il-lhomme-de-la-situation-pour-gaza-267156