Source: The Conversation – in French – By Alexandre Richet, Doctorant en science de gestion, Université de Caen Normandie

Sept différences avec des salariés dans la norme, ou neurotypiques, suffisent pour mieux comprendre la place dans l’entreprise des salariés Asperger. Elles dessinent un besoin de stabilité émotionnelle. Et si on donnait la parole aux premiers concernés ?
Dans l’ombre des grands discours savants sur la « neurodiversité », il y a des vies très simples : des vies de travail, des vies de salariés Asperger. Ce syndrome concerne environ 1 personne sur 132 dans le monde.
Classé dans les troubles du spectre de l’autisme, il se traduit par une autre manière de communiquer et de percevoir les interactions sociales. Concrètement, les personnes concernées parlent souvent de façon très directe, comprennent mal l’implicite ou le second degré, mais développent une rigueur et une passion remarquables dans leurs centres d’intérêt.
Treize participants ont accepté de partager leur expérience professionnelle au cours de plus de sept heures d’entretiens réalisés dans le cadre d’un travail doctoral. Résultat : une fresque à la fois complexe et simple, teintée d’une logique imparable mais essentielle. Sept différences suffisent pour mieux comprendre leur place dans l’entreprise. Les voici :
1. Le travail n’est pas juste un salaire
Pour beaucoup, travailler c’est vivre. Pas seulement gagner de l’argent.
« Le travail, pour moi, c’est vraiment une passion. »
Certains deviennent « fan » de leur travail, au point d’oublier de manger ou de se reposer.
« Je suis complètement accro au travail. Chez nous, ça ouvre à 7 heures donc, à 6 h 50, je suis devant la grille. »
On dirait presque une histoire d’amour : l’entreprise devient une maison, un refuge, parfois même une famille.
2. Le détail comme signature
Les personnes concernées par l’autisme Asperger aiment quand les choses sont bien faites. Ici, le détail n’est pas une obsession maladive, mais une véritable marque de fabrique.
« Je suis tellement perfectionniste que du coup, même mon chef, j’arrive à l’agacer. »
Cette exigence est précieuse pour l’entreprise, même si elle déroute parfois les collègues. Car derrière la remarque piquante, il n’y a qu’une envie : aider, jamais accuser.
3. Un contrat clair, rien de plus
Les salariés Asperger aiment les règles écrites, pas les sous-entendus.
« Tout le monde pense que c’est intuitif, mais pour moi, ça ne l’est pas. »_
Une pause-café ? Si ce n’est pas dans le contrat, ce n’est pas obligatoire. Et comme le dit une enquêtée avec humour :
« Si c’est une exigence pour la boîte que je sois coiffée et maquillée tous les matins, qu’ils me payent l’heure et demie que je vais y passer. »
Ici, le contrat de travail, c’est le contrat papier. Le reste ? de la confusion inutile.
4. Le manager comme capitaine bienveillant
Un bon manager n’est pas un chef autoritaire, mais un facilitateur.
« Un bon manager, c’est quelqu’un qui peut interrompre la réunion et dire : tiens, Pierre, qu’est-ce que tu en penses ? »
Parfois même, il est vu comme un repère affectif :
« Vaut mieux dire “bienveillant”, mais c’est même plus loin encore, c’est vraiment attentif, un peu parental, j’allais presque dire : un peu nounou, nourrice, psychologue, qui connaît les difficultés. »
Pas de paternalisme ici, mais une vraie relation de confiance, qui rend le travail plus simple et plus humain.
5. Les aménagements : simples et efficaces
Les ajustements demandés ne sont pas des privilèges, mais des outils de production.
« J’ai installé un tapis de gym dans mon bureau, donc parfois les téléconférences, je les fais allonger. »
Un casque antibruit, un bureau plus calme, un horaire flexible… Ce sont de petites choses, à faible coût, qui changent tout pour le salarié – porteur ou non d’un handicap – et, par ricochet, pour l’entreprise.
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6. Le piège du « toujours plus »
Dire non ? Très difficile. Refuser une mission ? Presque impossible.
« Même si je suis fatigué, si j’y passe trois ou quatre nuits blanches, il fallait que je le fasse. »
Cette énergie impressionne, mais elle épuise. L’épuisement professionnel n’est pas rare, et porte même le nom de burn out autistique. Le rôle du manager est essentiel : poser des limites, protéger, rappeler qu’un bon salarié est aussi un salarié qui dure.
7. Le collectif comme horizon
Ce qui compte le plus, ce n’est pas la carrière individuelle. C’est le groupe :
« C’est encore au-dessus parce que, en fait, on va acquérir la connaissance de l’autre que l’on n’a pas et, en même temps, on va apporter à l’autre ce que l’autre n’a pas non plus. »
Travailler, c’est construire ensemble, sans écraser les autres. La solidarité n’est pas une option, mais une règle d’or.
Stabilité émotionnelle
Ces sept différences dessinent un tableau simple : un besoin de stabilité émotionnelle. Les salariés Asperger ne demandent pas des privilèges, seulement des règles claires, compréhensibles, un management attentif et quelques aménagements concrets. En retour, les entreprises gagnent des collaborateurs loyaux, précis, constants. Pas des machines froides, mais des personnes engagées, parfois fragiles, mais donnant toujours le meilleur d’elles-mêmes.
Après tout, qui se lève le matin en se disant : « Aujourd’hui, je vais mal faire mon travail » ? Personne. Les salariés concernés par le syndrome Asperger non plus. Et c’est peut-être ça, la vraie ressemblance qui nous unit : avoir envie de bien faire.
Alors oui, les personnes Asperger osent le dire, osent être vraies, intègres, gêner et se dresser face à l’injustice sociale. Leur franchise ne doit pas être vue comme un obstacle, mais comme une force qui éclaire ce que beaucoup taisent.
Au fond, n’est-ce pas ce que nous recherchons tous ? Bien faire, offrir le meilleur de nous-mêmes et ressentir cette fierté intime devant l’œuvre accomplie – qu’il s’agisse d’un métier, d’un geste ou d’un ouvrage. Derrière chaque action juste, chaque travail soigné, se cache le désir universel d’humanité et de dignité.
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Alexandre Richet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
– ref. Paroles de salariés Asperger : sept clés pour comprendre leur quotidien – https://theconversation.com/paroles-de-salaries-asperger-sept-cles-pour-comprendre-leur-quotidien-265606
