Le marketing viral du chocolat de Dubaï

Source: The Conversation – France (in French) – By Anne Parizot, Professeur des universités en sciences de l’information et de la communication émérite, Université Bourgogne Europe

Le chocolat de Dubaï illustre les dilemmes contemporains : entre innovation culinaire et marketing viral, entre authenticité et imitation, entre inspiration et contrefaçon. KatMoys/Shutterstock

Une tablette de chocolat artisanal, née à Dubaï et popularisée sur TikTok, est devenue en quelques mois un phénomène mondial. Entre marketing viral, copies industrielles, le « chocolat de Dubaï » illustre les tensions contemporaines entre authenticité, imitation et contrefaçon dans l’alimentation mondialisée. Plus encore qu’un produit, c’est un nom qui fait vendre.


Chocolat de Dubaï ? Si vous n’en n’avez jamais entendu parler, peut-être n’êtes-vous ni gourmand ni accro aux réseaux sociaux. Pourtant, il fait le buzz depuis 2024.

Le « Dubai chocolate », créé par l’entrepreneuse anglo-égyptienne Sarah Hamouda, associe chocolat au lait, crème pistache-tahini et cheveux d’ange (kadayif). Ce qui frappe : son goût, sa texture onctueuse et croustillante, mais surtout la rapidité avec laquelle il s’est imposé comme un symbole culinaire de Dubaï. Baptisé « Can’t get knafeh of It » signifiant « On ne peut plus s’en passer », il a explosé en popularité après une vidéo TikTok devenue virale, de Maria Vehera (2023).

Sur les réseaux sociaux, le chocolat de Dubaï est conçu comme un spectacle visuel relevant du « food porn ». Gros plans, ralentis et zooms exaltent textures, couleurs et gestes rituels : ouverture de l’emballage, cassure de la tablette, coulants et craquants. L’esthétisation extrême transforme la dégustation en scène sensuelle, associée à l’exotisme d’une expérience rare, presque interdite.

Du luxe artisanal à la copie industrielle

Face à l’engouement de ce produit à l’origine artisanal, les marques se sont emparées du concept : en France, Lindt, la célèbre marque de chocolat suisse, Lidl propose sa propre version à prix bas, relayée sur TikTok ou Jeff de Bruges développe des déclinaisons de la tablette classique.

Une trajectoire typique : un produit culinaire innovant, viral et artisanal bascule vers une industrialisation massive, avec ses imitations et risques de contrefaçon. Si certains s’attachent à ces saveurs, d’autres ont senti un autre goût. « Ça a le goût de l’argent », a plaisanté le présentateur Al Roker dans l’émission « Today » après l’avoir goûté en direct. Plaisantait-il vraiment ?

Buzz ou tromperie ?

L’importance des mots du chocolat a été soulignée par les chercheurs Laurent Gautier, Angelica Leticia Cahuana Velasteguí et Olivier Méric, et ici c’est le nom de ce chocolat qui suscite le débat. « Chocolat de Dubaï » peut laisser croire que les tablettes sont produites aux Émirats. Or, beaucoup viennent en réalité de Turquie ou d’Europe et peuvent donc induire le consommateur en erreur.

La justice allemande a rendu deux jugements contradictoires. À Cologne, l’appellation « Dubai Chocolate » sur des tablettes turques a été jugée trompeuse. À Francfort, au contraire, les juges ont estimé qu’il renvoyait à une recette culinaire plus qu’à une origine géographique. En France, le Code de la consommation est clair : une pratique commerciale trompeuse est interdite si l’emballage suggère une origine fausse ou ambiguë. Pour éviter ce risque, certaines marques comme Lindt utilisent la formule prudente « Dubaï Style ».

Le buzz a engendré une économie parallèle avec des versions contrefaites ; les douanes autrichiennes saisissent plus de 2 500 tablettes lors de contrôles frontaliers. Ces copies exposent les consommateurs à des risques sanitaires que souligne la revue UFC-Que choisir. Le succès du produit repose plus sur le marketing viral des réseaux sociaux que sur ses qualités gustatives.

Quand le nom fait vendre

Au-delà des saveurs, c’est le nom qui alimente le succès – et parfois la confusion. « Dubaï » agit comme une marque imaginaire, synonyme de luxe, de prestige et d’exotisme. Le produit original mise sur un storytelling sophistiqué : mélange gourmand, raffiné, savoir-faire, texture fondante, masse de cacao… Chocolat Dubaï c’est partager un peu de la magie de Dubaï, une saveur nouvelle, expérience gustative.

Trois formulations circulent aujourd’hui, porteuses d’un sens implicite différent. Le jeu sur les prépositions et sur les adjectifs est au cœur du storytelling culinaire. Comme l’a montré le sémiologue Roland Barthes, la nourriture est aussi un discours.

« Dubaï » fonctionne comme une marque imaginaire :

  • « Chocolat de Dubaï » : la préposition « de » suggère une origine géographique et une authenticité. Comme pour « vin de Bordeaux », le consommateur attend un produit provenant effectivement des Émirats. Cette formulation pose des problèmes juridiques lorsque le chocolat est fabriqué ailleurs. Les marques doivent donc être déposées pour être protégées et l’indication géographique (IG) est essentielle.

  • « Chocolat Dubaï » (sans préposition) fonctionne comme un raccourci puissant associant un toponyme immédiatement reconnaissable à une catégorie universelle – chocolat. Le nom n’est pas une marque déposée, mais un surnom collectif, facile à retenir et à partager. On est dans l’onomastique – ou étude des noms propres – marketing, où la référence territoriale glisse vers l’imaginaire. La juxtaposition franco-anglaise – « Dubai chocolate » ↔ « Chocolat Dubaï » – crée un effet de résonance interlinguistique qui facilite la viralité.

  • « Chocolat Dubaï Style » insiste sur l’inspiration culinaire sans revendiquer l’origine. D’un point de vue linguistique, l’ajout de « style » signale l’inspiration culinaire et protège le fabricant du risque de tromperie, en signalant une imitation assumée. Mais le consommateur en est-il toujours conscient ?

Ces variations linguistiques révèlent un glissement métonymique : de la référence au lieu réel à un imaginaire global du luxe et de l’excès.

Le nom propre comme storytelling

L’onomastique alimentaire, ou étude des noms propres devient un instrument de storytelling, mais aussi un champ de bataille juridique et économique. Une entreprise joue clairement sur le nom sur un registre humoristique : la marque française Klaus et son « Doubs by Chocolate » détourne l’imaginaire du Golfe pour l’ancrer dans le terroir du Haut-Doubs.

L’entreprise franc-comtoise a bien compris le rôle essentiel de l’onomastique. Ce « Doubs by Chocolate » surfe sur la vague, mais le nom identifie clairement le chocolat comme un produit régional. L’origine signalée ne crée pas de risque juridique, tout en conservant une homophonie parfaite avec le fameux « Dubai chocolate ». En référence directe à Dubaï et à l’imaginaire idyllique de luxe et de volupté, avec toutes les précautions prises pour qu’il n’y ait pas mégarde, l’entreprise Klaus met en place un marketing déroutant évoquant le décalage.

Publicité pour la tablette Doubs By Chocolate de l’entreprise française Klaus.
Klaus, FAL

Du viral au patrimonial ?

Traditionnellement, les produits alimentaires deviennent patrimoine à travers le temps, consolidés par des générations d’usage, protégés par des labels (AOP, IGP). Le Dubai chocolate inverse la logique. Son patrimoine n’est pas hérité, mais produit par la viralité. Les millions de vues et de partages jouent le rôle de validation. Ce n’est pas l’État ni l’Unesco qui consacrent le produit, mais l’algorithme et les réseaux sociaux. Ce phénomène illustre une tendance nouvelle : la patrimonialisation accélérée.

Autre singularité : le Dubai chocolate n’est pas lié à un terroir rural, comme le vin de Bordeaux. Il est rattaché à une « ville-monde ». Il devient l’équivalent culinaire d’un gratte-ciel ou d’un centre commercial : un symbole urbain. Cette urbanisation du patrimoine alimentaire montre que les métropoles ne sont plus seulement consommatrices de traditions, mais aussi créatrices d’icônes gastronomiques.

Confrérie culinaire mondiale

Mais peut-on parler de patrimoine pour un produit si récent ?

Oui, si l’on considère le patrimoine comme un ensemble de signes partagés et valorisés par une communauté. Dans ce cas, TikTok joue le rôle de confrérie culinaire mondiale. Mais ce patrimoine est fragile. Ce qui est consacré par la viralité peut être supplanté demain par une nouvelle mode.

Le chocolat de Dubaï illustre parfaitement les dilemmes contemporains : entre innovation culinaire et marketing viral, entre authenticité et imitation, entre inspiration et contrefaçon.

The Conversation

Anne Parizot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Le marketing viral du chocolat de Dubaï – https://theconversation.com/le-marketing-viral-du-chocolat-de-duba-264641