Source: The Conversation – in French – By Misheck Mutize, Post Doctoral Researcher, Graduate School of Business (GSB), University of Cape Town
Au début de l’année 2025, l’un des engagements pris par la présidence sud-africaine du G20 dans son document Priorités politiques était de promouvoir des notations de crédit souveraines plus équitables et plus transparentes. Elle voulait aussi remédier au coût élevé du capital, souvent justifié par une perception illusoire de risque élevé dans les économies en développement.
L’Afrique du Sud avait proposé de créer une commission chargée d’examiner le coût du capital. L’objectif était d’identifier les problèmes qui empêchent les pays à faible et moyen revenu d’accéder à des flux de capitaux suffisants, abordables et prévisibles pour financer leur développement.
Pour beaucoup en Afrique, il s’agissait de bien plus qu’un simple document administratif. Cela représentait la première véritable occasion pour les pays du Sud de remettre en cause le pouvoir bien établi des agences de notation internationales par l’intermédiaire du G20.
Les avis de Moody’s, S&P Global Ratings et Fitch Ratings sont en effet au cœur du problème du coût élevé de l’emprunt en Afrique.
Mais les possibilités de progrès dans ce domaine s’amenuisent. Le gouvernement sud-africain et le monde des affaires du pays n’ont pas profité de l’occasion offerte par la présidence du G20, de décembre 2024 à novembre 2025, pour faire pression en faveur de réformes susceptibles de réduire les coûts d’emprunt de l’Afrique et de renforcer sa souveraineté financière.
Qu’est-ce qui explique le poids des notations de crédit ?
Les agences de notation de crédit ne sont pas des observateurs neutres des marchés financiers. Leurs jugements influencent directement le sentiment des investisseurs, l’accès au financement et les taux d’intérêt que les pays paient lorsqu’ils émettent des obligations.
Pour les pays en développement, en particulier en Afrique, les notations vont déterminer l’allocation par le gouvernement de ses maigres ressources : soit au service de la dette, soit aux besoins en terme de développement tels que les écoles et les hôpitaux.
Le souci, ce n’est pas seulement les notations en elles-mêmes, mais aussi le fait qu’elles sont souvent imprécises et basées sur des jugements subjectifs.
Les pays dotés d’économies en développement dénoncent fréquemment les problèmes liés à ces notations.
D’abord, les États africains subissent plus souvent que d’autres des dégradations de note qui ne reposent pas sur des fondamentaux économiques solides.
Deuxièmement, les analystes qui évaluent les risques travaillent le plus souvent hors du continent et appliquent des critères subjectifs, souvent pessimistes.
Troisièmement, les économies en développement sont pénalisées en raison de l’impact supposé des chocs externes tels que les pandémies mondiales ou les catastrophes climatiques.
Enfin, on relève des variations importantes dans la manière dont les facteurs de risque sont évalués en Afrique par rapport à des pays similaires en Asie ou en Amérique latine, qui ont des profils de risque proches.
Une occasion manquée de leadership
Le G20 reste le principal forum mondial où se réunissent les principales économies avancées et les économies en développement les plus influentes. En tant que pays qui en assure la présidence, l’Afrique du Sud a le pouvoir de définir l’ordre du jour, de constituer des groupes de travail et de rédiger des communiqués qui influencent les débats au niveau mondial.
Mais à ce jour, la commission proposée sur le coût du capital n’a pas été mise en place. On peut dès lors affirmer sans se tromper que la présidence sud-africaine du G20 n’a pas utilisé cette plateforme pour régler la question du coût du capital. Ses engagements en matière de réforme de la notation de crédit se sont limités à réitérer les éléments de langage. Elle n’a pas fait de propositions structurées dédiées à cette question.
Cette inaction étonne d’autant plus que l’Afrique du Sud connaît bien les effets des décisions de notation. Au cours des huit dernières années, une série de déclassements par les agences de notation internationales a conféré le statut dit « junk » à la dette du pays. Ces décisions ont entraîné une augmentation des coûts d’emprunt et ébranlé la confiance des investisseurs. Pretoria dispose donc à la fois de l’expérience et de la légitimité nécessaires pour mener un débat sur la réforme des notations souveraines.
Par ailleurs, le secteur financier et des entreprises sud-africain (banques, assureurs et investisseurs institutionnels) est resté largement en retrait dans cette séquence.
Des plateformes telles que le Cost of Capital Summit, organisées par le groupe de travail Business (B20), la Standard Bank, Africa Practice et le Mécanisme africain d’évaluation par les pairs, ont été utiles. Mais le monde des affaires sud-africain n’a pas su tirer parti de la présidence de son pays au G20 pour faire pression en faveur de réformes qui profiteraient non seulement aux entreprises nationales, mais aussi aux partenaires africains.
La baisse des coûts d’emprunt souverains dans les pays hôtes, par exemple, réduirait directement les risques macroéconomiques pour les entreprises sud-africaines opérant sur le continent et élargirait leurs possibilités d’investissement.
Ce qui aurait pu être fait
Trois mesures concrètes pourraient remettre la question de la réforme des notations de crédit à l’ordre du jour:
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Intégrer les notations de crédit dans l’agenda du groupe de travail technique du G20. Les communiqués officiels devraient reconnaître que les notations conditionnent le coût de l’emprunt, influencent les investisseurs et déterminent la marge budgétaire dont disposent les gouvernements pour financer leur développement.
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Reconnaître et défendre l’Agence africaine de notation de crédit (AfCRA) comme l’un des mécanismes permettant de traiter la question du coût du capital en Afrique. L’Union africaine a déjà approuvé la création d’une agence continentale pour compléter les agences de notation de crédit mondiales. L’Afrique du Sud devrait utiliser la plateforme du G20 pour mieux faire connaître cette initiative, attirer un soutien technique et encourager les investisseurs mondiaux à tenir compte de ses évaluations.
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Promouvoir la responsabilité réglementaire des activités de notation de crédit en Afrique en garantissant l’octroi de licences, la supervision et l’alignement sur les meilleures pratiques mondiales. Dans le même temps, mener une campagne en faveur de la pleine participation de l’Afrique aux organismes internationaux de normalisation tels que l’Organisation internationale des commissions de valeurs. Ces cadres sous-tendent la réglementation de l’architecture financière mondiale. Cela suppose la participation de l’Afrique à l’élaboration de ces normes et nécessite que l’on promeuve une présence institutionnelle tangible sur le continent et le déploiement permanent d’analystes en Afrique.
Le coût de l’inaction
Selon la CNUCED, les pays en développement paient des taux d’intérêt jusqu’à trois points de pourcentage plus élevés que leurs homologues ayant des fondamentaux similaires, ce qui représente des milliards de dollars de coûts supplémentaires chaque année.
Cette « taxe cachée » sur le développement a des conséquences humaines directes: moins de ressources pour les infrastructures, l’adaptation au changement climatique, les systèmes de santé et l’éducation. Pour l’Afrique, où les besoins de financement sont immenses, des notations de crédit plus précises pourraient libérer un espace budgétaire vital.
L’Afrique du Sud ne peut se permettre de laisser sa présidence du G20 se réduire à un symbole. La promesse de notations de crédit souveraines « plus justes et plus transparentes » doit se traduire en action, par le biais de groupes de travail, de communiqués et d’alliances qui font avancer la réforme.
Pretoria a également besoin que son secteur privé se mobilise. Il ne s’agit pas seulement d’un impératif moral, mais aussi d’un impératif économique.
Une prime de risque plus faible et un accès plus équitable au capital élargiront les opportunités à travers le continent, y compris pour les investisseurs sud-africains. Le monde entier a les yeux rivés sur l’Afrique du Sud. Si le pays ne saisit pas cette chance, il renforcera l’idée que le discours sur la réforme de l’architecture financière mondiale ne se résume qu’à des paroles en l’air. Si l’Afrique du Sud agit, elle pourra laisser un héritage qui dépasse ses propres difficultés internes : l’ébauche d’un système de notation plus juste et plus responsable pour le Sud global.
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– ref. Les coûts d’emprunt de l’Afrique sont trop élevés : l’occasion manquée par le G20 de réformer les agences de notation – https://theconversation.com/les-couts-demprunt-de-lafrique-sont-trop-eleves-loccasion-manquee-par-le-g20-de-reformer-les-agences-de-notation-266595
