Source: The Conversation – France (in French) – By Elizabeth Sharda, Associate Professor of Social Work, Hope College
« Il faut tout un village pour élever un enfant. » Pour mieux jongler entre vie familiale et vie professionnelle et gérer le stress parental au quotidien, ne faudrait-il pas prendre plus au sérieux ce proverbe ? L’idéal de la famille nucléaire est récent, nous dit l’anthropologie, et l’inscription dans un vaste réseau social est un facteur de résilience.
Je termine ma journée de travail et je rentre chez moi, en m’arrêtant rapidement pour acheter le matériel dont mon collégien de fils a besoin pour un projet à rendre cette semaine ainsi que les ingrédients nécessaires à un dîner rapide.
Arrivée à la maison, je consulte le site de l’école de ma fille et découvre qu’elle a oublié de rendre un devoir. Lorsque je lui en parle, elle pique une petite crise. Je mobilise toute mon énergie pour l’aider à se calmer et à résoudre le problème. Mon mari rentre à la maison avec notre fils aîné, qui est découragé par un petit incident lors de l’entraînement de football au lycée. Nous devrons nous occuper de cela plus tard.
Autour de la table, nous réalisons que les deux enfants ont des entraînements sportifs jeudi, à deux bords opposés de la ville, au même moment qu’une réunion obligatoire des parents d’élèves. Et maintenant, c’est moi qui suis au bord de la crise de nerfs.
Ce soir-là, je ne suis pas en train de traverser une situation exceptionnelle ou particulièrement catastrophique. Des scènes comme celle-ci, il s’en déroule tous les soirs dans l’intimité des foyers. D’ailleurs, ma famille est privilégiée en ce qu’elle bénéficie d’un certain nombre d’appuis que d’autres n’ont pas.
Pourquoi est-ce, malgré tout, si difficile ?
Pendant longtemps, j’ai eu honte d’être dépassée par mon rôle de parent. Comment les autres s’y prennent-ils pour paraître tout gérer si facilement ? Bien sûr, les témoignages mis en avant sur les réseaux sociaux ne faisaient qu’alimenter ce jeu de comparaison. J’avais souvent l’impression d’être à la traîne, de passer à côté d’une astuce que les autres avaient trouvée pour ne pas se sentir constamment épuisés.
En réalité, je suis loin d’être la seule à ressentir ce que les sociologues appellent le « stress parental ». Défini comme la réaction psychologique négative à un décalage entre les exigences parentales et les ressources disponibles, ce stress s’est de plus en plus répandu au cours des cinq dernières décennies, avec des répercussions non négligeables : les parents qui le subissent à un niveau élevé voient leur santé mentale se détériorer et se sentent moins proches de leurs enfants.
J’ai commencé à m’intéresser au stress parental et au bien-être lorsque, plusieurs années après être devenue mère, j’ai quitté mon emploi d’assistante sociale pour m’inscrire en doctorat. J’ai alors appris quelque chose qui a complètement changé ma perspective : les parents d’aujourd’hui sont soumis à un niveau de stress très élevé parce que, traditionnellement, les gens n’ont jamais élevé leurs enfants seuls. Et pourtant, nous sommes plus isolés que jamais.
C’est là que j’ai eu le déclic. Les parents n’ont pas besoin d’en faire plus ou de redoubler d’efforts. Ce dont nous avons besoin, c’est de créer plus de liens sociaux. Nous n’avons pas besoin de nouveaux articles sur les réseaux intitulés « Les trois meilleures façons d’organiser votre famille ». Nous avons besoin d’un changement de paradigme.
Le mythe de l’autonomie familiale
Tout au long de l’histoire humaine, les gens ont principalement vécu dans des structures multigénérationnelles et multifamiliales. Par nécessité, nos ancêtres chasseurs-cueilleurs comptaient sur les membres de leur clan pour subvenir aux besoins de leur famille, y compris l’éducation des enfants. Des recherches menées au fil du temps et dans différentes cultures suggèrent que les parents sont psychologiquement prédisposés à élever leurs enfants au sein d’une communauté, et non dans des cellules familiales nucléaires isolées.
Les anthropologues utilisent le terme d’« alloparents » – dérivé du grec « αλλο », qui signifie « autre » – pour désigner ces adultes qui épaulent les parents dans l’éducation des enfants.
Des recherches suggèrent que cette alloparentalité contribue au bien-être des enfants, et même à leur survie, dans les populations où le taux de mortalité infantile est élevé. Une étude réalisée en 2021 sur une population vivant de la cueillette aux Philippines a révélé que les alloparents ne fournissaient pas moins des trois quarts des soins aux nourrissons et une proportion encore plus importante des soins aux enfants âgés de 2 à 6 ans.
À l’opposé, l’idéal de la famille nucléaire est extrêmement récent. Il s’est développé avec l’industrialisation, atteignant son apogée dans les années 1950 et 1960. Malgré des changements importants dans la structure familiale – tels que l’augmentation du nombre de familles monoparentales – depuis cette période, le modèle de la famille nucléaire autonome persiste.
Et pourtant, le soutien aux autres est un facteur clé de la résilience familiale. Le dicton bien connu « Il faut tout un village pour élever un enfant » est en fait corroboré par des recherches sur le soutien social auprès des parents en général ainsi que par celles menées auprès d’enfants ayant des besoins particuliers.
Un « village » pour élever un enfant
Le soutien social, souvent considéré comme un phénomène unique, est en réalité un ensemble d’actions, chacune ayant sa propre fonction. Les sociologues distinguent au moins trois types de soutien :
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matériel : ressources ou aide matérielles ou financières ;
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émotionnel : expressions d’attention, d’empathie et d’amour ;
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informationnel : fourniture d’informations, de conseils ou d’orientations.
Les différents défis liés à l’éducation des enfants nécessitent différents types de soutien. Lorsque mon mari et moi avons réalisé que nous avions trois engagements le même soir, nous n’avions pas besoin de conseils pour gérer le calendrier familial, mais plutôt de quelqu’un pour emmener notre enfant à son entraînement. C’est ce qu’on appelle un soutien concret. Lorsque ma préadolescente piquait une crise à cause de ses devoirs, je n’avais pas besoin que quelqu’un nous aide à préparer le dîner ; j’avais besoin de mobiliser ce que j’avais appris dans un livre sur l’éducation des adolescentes : c’est ce qu’on appelle un soutien informationnel.
Pour s’éloigner du mythe de l’autonomie familiale et revenir à un idéal de prise en charge collective, il faudrait un changement de paradigme à tous les niveaux. Des stratégies systémiques telles que l’accès à des soins de santé mentale de haute qualité, l’extension de programmes qui soutiennent les parents et les aidants, et l’investissement dans des infrastructures sociales comme les bibliothèques publiques et les parcs pourraient contribuer à réduire ce stress parental qui est un réel problème de santé publique.
Changer de modèle et demander de l’aide
Le stress parental n’est pas un problème qui peut être repose seulement sur les personnes qui en souffrent. Mais voici déjà cinq façons dont vous pouvez commencer à évoluer vers un autre modèle.
Faites le point sur votre réseau. Évaluez non seulement le nombre de personnes qui peuvent vous aider, mais aussi le type de soutien qu’elles vous apportent. Avez-vous beaucoup de personnes à qui parler, mais personne pour vous aider dans la préparation des repas ou pour conduire votre enfant à une activité ? Identifiez les lacunes de votre réseau et réfléchissez aux possibilités de l’étoffer.
De petits pas pour commencer. Présentez-vous à votre voisin retraité. Asseyez-vous à côté d’un autre parent lors d’un événement sportif. Discutez avec la baby-sitter que vous voyez régulièrement au parc. Les relations de soutien ne se créent pas toutes seules, elles se développent.
Offrez votre aide aux autres. Bien que cela semble contre-intuitif, les personnes qui apportent leur soutien aux autres bénéficient d’un plus grand bien-être et même d’une plus grande longévité que celles qui ne le font pas. Aider les autres crée également des opportunités de réciprocité. Ceux que vous aidez seront peut-être plus enclins à vous rendre la pareille à l’avenir.
Normalisez le fait de demander de l’aide et d’accepter qu’on vous en propose. Pour beaucoup de gens, demander de l’aide est difficile. Cela nécessite de ne plus s’abriter derrière une image de façade et de laisser les autres entrer dans votre vie. Cependant, les gens sont souvent plus disposés à apporter de l’aide qu’on ne le pense. De plus, permettre aux autres de vous aider leur donne la permission d’exprimer leurs propres besoins à l’avenir.
Réfléchissez à vos attentes en matière de garde d’enfants. La manière dont les autres s’occupent de vos enfants peut ne pas correspondre entièrement à la vôtre. Afin de voir comment élargir votre réseau d’« alloparents », réfléchissez aux pratiques non négociables pour votre famille, telles que la limitation du temps passé devant les écrans, et à celles sur lesquelles vous pouvez faire des concessions, comme manger des légumes à chaque repas.
Aucune de ces suggestions n’est facile à mettre en œuvre. Cela demande du temps et du courage. Dans notre société caractérisée par un individualisme farouche, élever ses enfants dans une optique plus collective est tout simplement anticonformiste.
Mais cela correspond peut-être davantage à la manière dont nous, êtres humains, avons élevé nos enfants au cours des millénaires.
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Elizabeth Sharda a reçu un financement de recherche du Andrew W. Mellon Foundation Faculty Development Fund. Elle siège au conseil d’administration de Michigan Fosters, une organisation à but non lucratif qui se consacre à soutenir les familles impliquées dans le système de protection de l’enfance.
– ref. Pour réduire le stress parental, faut-il sortir du modèle de la famille nucléaire ? – https://theconversation.com/pour-reduire-le-stress-parental-faut-il-sortir-du-modele-de-la-famille-nucleaire-265254
