Transition énergétique : une leçon autochtone venue du Myanmar

Source: The Conversation – in French – By Margaux Maurel, Doctorante en affaires internationales spécialisée sur les impacts économiques, sociaux et environnementaux des projets d’infrastructure et d’énergie dans les pays du Sud Global et l’activisme transnational. Chercheuse affiliée au CERIUM, HEC Montréal

Hydro-Québec a plusieurs projets hydroélectriques dans sa ligne de mire, notamment sur la Côte-Nord, où elle devra s’entendre avec les Innus si elle veut aller de l’avant.

Selon la société d’État,
près de 4000 MW de nouvelles capacités hydroélectriques seront ajoutés d’ici 2035 grâce à la rénovation de centrales existantes et la construction de nouveaux barrages dans plusieurs régions du Québec.

Les grands barrages occupent une place particulière dans l’imaginaire du développement national, où ils ont longtemps été associés au développement et à l’émancipation de la province.

Pourtant, ces projets, majoritairement situés sur des terres ancestrales, suscitent dans de nombreux cas une vive opposition, en particulier de la part des communautés autochtones.

Si l’attention se porte souvent sur la contestation à ces grands barrages, la question des alternatives pour ces espaces reste peu explorée.

En tant que doctorante en affaires internationales à HEC Montréal et chercheuse affiliée au CÉRIUM, mes travaux portent sur la résistance des communautés locales et autochtones à des mégaprojets (barrages, mines, exploitation pétrolière).

Cet article présente un projet inspirant au Myanmar, le Salween Peace Park, qui offre un rare exemple de victoire de la résistance autochtone et de transformation socio-écologique qui peut éclairer et inspirer les débats actuels jusque chez nous. Une zone protégée a été crée, gérée par les communautés locales. Il s’agit d’un exemple d’autodétermination, d’autonomie énergétique et de gouvernance autochtone et décentralisée à méditer ici.

Dépossession, violence et résistance

Les grands barrages produisent intrinsèquement des violences, notamment la dépossession des terres de communautés vulnérables et des violations graves des droits de la personne (répression des opposants, intimidations, travail forcé, etc.).

Selon le rapport de la Commission mondiale des grands barrages, environ 40 à 80 millions de personnes ont été déplacées durant le XXe siècle, principalement des communautés autochtones, tribales et paysannes. Ces personnes ont été économiquement, culturellement et psychologiquement dévastées. Environ 400 à 800 millions de personnes ont été confrontées à des changements d’écosystèmes liés à la construction de grands barrages en amont des cours d’eau dont ils dépendent.

Au Myanmar, en 2013, le président de l’époque, Thein Sein, a annoncé des plans pour la construction de six grands barrages sur le fleuve Salween.

Le Salween abrite un écosystème exceptionnel, mais les projets de barrages menacent gravement sa riche biodiversité et les moyens de subsistance des communautés locales. Le projet Hatgyi, situé dans une zone de conflit, a provoqué des violences, déplacements et violations des droits des Karen, qui ont résisté par diverses actions jusqu’à suspendre les travaux et créer le Salween Peace Park.




À lire aussi :
« Drill, baby, drill » : face à l’obsession de Trump pour le pétrole, une mobilisation citoyenne verra-t-elle le jour ?


Résister et reconstruire

En réponse à ces menaces, depuis des décennies, les communautés autochtones Karens ont employé une grande variété de stratégies pour résister au barrage Hatgyi qui agresse le fleuve Salween, vital pour leur culture, l’eau, le transport et les terres fertiles.

Une vaste coalition karen, notamment le Save the Salween Network, organise chaque année des manifestations et célébrations culturelles, comme le 14 mars, le 9 août ou le Nouvel An karen, pour défendre leur fleuve et leur territoire.

Né de cette résistance, le Salween Peace Park, créé en 2018, regroupe plus de 340 villages et 70 000 personnes. Il constitue l’un des plus grands exemples de zones autochtones protégées et autogérées au monde.

En matière de gouvernance, les pratiques traditionnelles karens – les kaw, qui régissent l’usage des terres selon des principes écologiques – structurent la gestion du territoire : harmonie écologique, autodétermination et préservation culturelle. Grâce à cette organisation communautaire, le Salween est l’un des derniers et des plus longs fleuves à écoulement libre au monde.

Cependant, il faut mentionner qu’à la suite du coup d’État militaire du 1er février 2021, des frappes aériennes mortelles ont forcé certains habitants à fuir. Malgré cela, les efforts communautaires de protection du territoire et de création d’un modèle alternatif se poursuivent et un second parc a été créé en décembre 2024.


Déjà des milliers d’abonnés à l’infolettre de La Conversation. Et vous ? Abonnez-vous aujourd’hui à notre infolettre pour mieux comprendre les grands enjeux contemporains.


Une inspiration pour le Québec

Hydro-Québec a lancé en 2019 une politique d’implication des peuples autochtones dans ses projets et souhaite renforcer les partenariats. En décembre 2024 est lancée la Stratégie de réconciliation économique et de renforcement des relations avec les Premières Nations et les Inuit.

Hydro-Québec veut offrir une plus grande part des contrats à des entreprises autochtones et accroître l’accompagnement qui leur est offert.

Pourtant, il n’existe pas (encore) d’entreprises autochtones qui produisent des matériaux d’éoliennes ou de centrales hydroélectriques.

Certaines communautés collaborent déjà avec Hydro-Québec, comme les communautés d’Ekuanitshit, de Nutashkuan, d’Unamen Shipu et de Pakua Shipu pour le complexe hydroélectrique de La Romaine, sur la Côte-Nord.

Mais ailleurs, d’autres communautés dénoncent un manque de reconnaissance de leurs droits sur le territoire. En 2025, alors que la mise en œuvre du projet de loi 97 sur la gestion des forêts publiques se poursuit, les débats autour des droits autochtones et de leur participation aux décisions énergétiques restent vifs au Québec.

De plus, selon une étude menée de 1975 à 2020 dans tout le Canada, notamment au Québec, la majorité des projets d’énergies renouvelables (dont hydroélectrique), ne sont pas détenus par des Autochtones ou ne le sont que de manière minoritaire. Il n’existe pas non plus de formes de propriété décentralisées et démocratiques, telles que les coopératives et les organisations à but non lucratif.

Les partenariats et la propriété privée non autochtone restent la forme dominante, tournés vers le profit et la productivité. Des initiatives comme les Énergies Tarquti, au Nunavik, démontrent la volonté d’autonomie des communautés.

Dès lors, le Salween Peace Park montre qu’une autre voie est possible : une transition énergétique menée par et pour les communautés locales. Une source d’inspiration, au moment où le Québec redéfinit ses choix énergétiques.

Une transition socialement juste et équitable pourrait aussi passer par d’autres chemins que les barrages géants : réduction de la consommation, décentralisation, efficacité énergétique et redéfinition des besoins sont autant de pistes à envisager.

La Conversation Canada

Margaux Maurel ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Transition énergétique : une leçon autochtone venue du Myanmar – https://theconversation.com/transition-energetique-une-lecon-autochtone-venue-du-myanmar-227839