L’IA en Afrique : 5 défis à relever pour garantir l’égalité numérique

Source: The Conversation – in French – By Rachel Adams, Honorary Research Fellow of The Ethics Lab, University of Cape Town

Si elle est correctement orientée, l’intelligence artificielle (IA) a le potentiel d’accélérer le développement. Elle peut favoriser des avancées décisives dans le domaine de l’agriculture. Elle peut élargir l’accès aux soins de santé et à l’éducation. Elle peut aussi stimuler l’inclusion financière et renforcer la participation démocratique.

Mais sans une action volontariste, la « révolution » de l’IA risque d’aggraver les inégalités plutôt que d’élargir les opportunités.

En tant que chercheur spécialisé dans l’histoire et l’avenir de l’IA, j’ai écrit sur les dangers de l’IA qui creusent les inégalités mondiales. Il est urgent de mettre en place des mécanismes de gouvernance qui tenteront de redistribuer les bénéfices de cette technologie.

L’ampleur du fossé en matière d’IA est flagrante. L’Afrique détient moins de 1 % de la capacité mondiale des centres de données, qui sont les moteurs de l’IA. Cela signifie que le continent dispose d’une infrastructure minimale pour héberger la puissance de calcul nécessaire à la création et à l’exécution de modèles d’IA.

Si 32 pays dans le monde hébergent des centres de données spécialisés dans l’IA, les États-Unis et la Chine en représentent à eux seuls plus de 90 %.

Et seuls environ 5 % des talents africains en IA (innovateurs possédant des compétences en IA) ont suffisamment accès aux ressources nécessaires à la recherche avancée et à l’innovation.




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Les dirigeants et les décideurs politiques du monde entier doivent se confronter à une vérité dérangeante : l’IA n’est pas répartie de manière égale sur la planète, et sans une action déterminée, elle amplifiera les divisions mondiales.

Mais ils ont encore la possibilité de tracer une nouvelle trajectoire, dans laquelle l’Afrique et la majorité mondiale définiront les règles du jeu. Une trajectoire qui garantit que l’IA devienne un moteur de prospérité partagée plutôt que d’exclusion.

Pour y parvenir, cinq domaines politiques essentiels doivent être abordés. Il s’agit des données, de la capacité de calcul, de l’IA pour les langues locales, des compétences et de la maîtrise de l’IA, ainsi que de la sécurité, de l’éthique et de la gouvernance de l’IA. Il ne s’agit pas seulement de priorités pour l’Afrique, mais d’impératifs mondiaux.

1. Informatique et infrastructure

L’accès à la puissance de calcul est devenu le point d’étranglement déterminant dans l’écosystème actuel de l’IA. Les chercheurs et les innovateurs africains resteront en marge de l’économie de l’IA tant qu’il n’y aura pas d’investissements dans les centres de données régionaux, les clusters GPU (un groupe d’ordinateurs travaillant ensemble sur le traitement à grande échelle de l’IA) et une infrastructure cloud sécurisée.

L’Union européenne, en revanche, a réuni plus de 8 milliards de dollars américains pour créer une entreprise commune pour le calcul haute performance afin de garantir que le continent dispose de la capacité nécessaire pour les innovations locales.

Les pays africains devraient faire pression pour obtenir des financements et des partenariats afin de développer leurs capacités locales. Ils devront également insister sur la transparence des fournisseurs mondiaux quant au contrôle de l’accès et garantir une coopération régionale afin de mettre en commun les ressources au-delà de leurs frontières.

2. Gouvernance des données

Les systèmes d’IA ne sont efficaces que dans la mesure où les données sur lesquelles ils sont entraînés le sont également. La plupart des données du continent sont fragmentées, mal gérées ou extraites sans compensation équitable pour ceux qui les ont fournies. De vastes ensembles de données diversifiés et lisibles par machine sont utilisés pour apprendre aux modèles d’IA les contextes et les réalités que ces données reflètent.

Là où des cadres de gestion éthique existent, les ensembles de données gérés localement ont déjà stimulé des innovations qui ont eu un impact. Par exemple, le Lacuna Fund a aidé des chercheurs de toute l’Afrique à constituer plus de 75 ensembles de données ouvertes pour l’apprentissage automatique dans des domaines tels que l’agriculture, la santé, le climat et les langues à faibles ressources. Ceux-ci ont comblé des lacunes critiques en matière de données, permettant la création d’outils qui reflètent mieux les réalités africaines : des ensembles de données très précis sur le rendement des cultures pour l’agriculture, ou des ressources vocales/textuelles pour les langues mal desservies.

Des lois nationales solides en matière de protection et de gouvernance des données sont nécessaires. Il en va de même pour les données communes régionales, une ressource partagée où les données sont collectées, stockées et rendues accessibles à une communauté selon des normes et une gouvernance communes. Cela permettrait la collaboration, la réutilisation et des avantages équitables. Les normes de qualité, d’ouverture, d’interopérabilité et d’éthique élaborées par les organisations multilatérales doivent être conçues en mettant les priorités africaines au centre.

3. L’IA pour les langues locales

Une IA inclusive dépend des langues qu’elle parle. Les grands modèles actuels privilégient massivement l’anglais et d’autres langues dominantes. Les langues africaines sont pratiquement invisibles dans la sphère numérique. Non seulement cela renforce les inégalités et les préjudices existants, mais risque également d’exclure des millions de personnes de l’accès aux services basés sur l’IA.




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Prenons l’exemple de l’organisation à but non lucratif Gender Rights in Tech, basée au Cap. Elle a développé un chatbot sensible aux traumatismes appelé Zuzi qui soutient les victimes de violences sexistes en leur fournissant des conseils anonymes et accessibles dans diverses langues sud-africaines sur leurs droits, les services juridiques disponibles et la santé sexuelle et reproductive. Il aide à surmonter la stigmatisation et à combler les écarts en matière d’accès. Zuzi démontre ainsi la puissance des technologies d’IA dans les langues locales.

Il est donc urgent d’investir dans des ensembles de données, des références et des modèles pour les langues africaines, ainsi que dans des outils de reconnaissance vocale, de synthèse vocale et d’alphabétisation.

4. Compétences en IA et alphabétisation

Les infrastructures et les données africaines n’auront que peu d’intérêt sans la capacité humaine à les utiliser. À l’heure actuelle, l’offre de compétences en IA sur le continent est bien inférieure à la demande, et la compréhension du public quant aux avantages et aux risques de l’IA reste faible.

Pour améliorer les compétences, l’IA et la science des données devront être intégrées dans les programmes scolaires et universitaires, et la formation professionnelle devra être développée. Il est essentiel de soutenir les programmes d’apprentissage tout au long de la vie.

Les campagnes de sensibilisation du public peuvent permettre aux citoyens de comprendre à la fois les promesses et les dangers de l’IA. Cela favorisera un débat public plus approfondi sur ces questions. Ces campagnes peuvent également cibler le soutien aux femmes, aux communautés rurales et aux locuteurs de langues africaines afin d’éviter la formation de nouvelles fractures.

5. Sécurité, éthique et gouvernance

Enfin, il est urgent de mettre en place des cadres de gouvernance plus solides. Les pays africains sont confrontés à des risques uniques liés à l’IA. Parmi ceux-ci figurent l’ingérence électorale, la désinformation, la perturbation de l’emploi et les coûts environnementaux. Ces risques sont liés aux réalités structurelles de l’Afrique : écosystèmes d’information fragiles, marchés du travail informels importants, filets de sécurité sociale faibles et infrastructures aux ressources limitées. Des stratégies nationales voient le jour, mais les capacités d’application et de contrôle restent limitées.

Les gouvernements africains devraient promouvoir la création d’un institut africain pour la sécurité de l’IA. Des audits de sécurité et d’éthique doivent être obligatoires pour les systèmes à haut risque. Les réglementations et les instruments de gouvernance de l’IA doivent être alignés sur les principes africains fondés sur les droits qui mettent l’accent sur l’équité, la justice, la transparence et la responsabilité. La participation aux organismes mondiaux qui forgent les normes est également cruciale pour garantir l’inclusion des perspectives africaines dans les règles élaborées ailleurs.

Tous les regards tournés vers le G20

Dans leur ensemble, ces priorités ne constituent pas des mesures défensives, mais bien un plan d’action pour l’autonomisation. Si elles sont mises en œuvre, elles réduiraient le risque d’inégalité. Elles permettraient à l’Afrique et à d’autres régions du monde de façonner l’IA de manière à servir leurs populations et leurs économies.

Les ministres du numérique et de la technologie des plus grandes économies mondiales ont participé à la réunion ministérielle du groupe de travail sur l’économie numérique du G20 à la fin du mois de septembre.

Sur le papier, il s’agit d’une réunion de routine. Dans la pratique, il pourrait s’agir de la réunion la plus importante jamais organisée sur la politique en matière d’IA.




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Cette réunion est intervenue au moment même où l’IA est saluée comme la technologie qui redéfinira l’économie mondiale.

Cette réunion n’est pas unique. Elle sera suivie de la conférence AI for Africa, co-organisée par la présidence sud-africaine du G20, l’Unesco et l’Union africaine. C’est à cette occasion que sera lancée l’initiative « AI in Africa » sera lancée. Elle est conçue comme un mécanisme pratique visant à mettre en œuvre les engagements du G20 et à faire progresser la mise en œuvre de la stratégie continentale en matière d’IA de l’Union africaine.

Le Cap pourrait donc marquer un tournant : le moment où les dirigeants africains, en collaboration avec le G20, commenceront à réduire la fracture numérique en matière d’IA et à exploiter cette technologie pour une prospérité partagée.

The Conversation

Rachel Adams bénéficie d’un financement du Centre de recherches pour le développement international du Canada, dans le cadre du programme de financement AI4Development, codirigé avec le ministère britannique des Affaires étrangères et du Développement international.

ref. L’IA en Afrique : 5 défis à relever pour garantir l’égalité numérique – https://theconversation.com/lia-en-afrique-5-defis-a-relever-pour-garantir-legalite-numerique-266118