Le recours à l’intérim dans le travail social : opportunité ou fatalité ?

Source: The Conversation – France (in French) – By Laura Beton-Athmani, Attachée de Recherche IRTS PACA Corse – Chercheure associée LEST, Aix-Marseille Université (AMU)

Le recours presque inévitable à l’intérim assure la survie des établissements concernés, notamment sur des périodes dites « de tensions ». UnaiHuiziPhotography/Shutterstock

Quelles réalités recouvre l’emploi intérimaire dans le secteur médico-social en 2025 ? Une recherche exploratoire auprès de professionnels permet de dresser un premier panorama du phénomène.


Depuis plusieurs années, l’emploi intérimaire émerge dans un secteur où on ne l’attendait pas. Pire ! Où on le redoutait : le secteur social et médico-social. Au cœur d’un paradoxe fort, entre accompagnement de longue durée et travail par essence temporaire.

Faisant grincer des dents, ce phénomène mérite un intérêt particulier : donner à voir la complexité de celui-ci, et surtout des individus qui sont au cœur de ce dilemme « éthique ».

Et si ce qui s’apparente initialement à un désengagement était finalement une forme de réappropriation d’un métier souffrant d’un manque d’attractivité ? D’une marge de manœuvre dans l’exercice de ses fonctions ? Finalement, prendre soin de soi pour « durer » auprès de ceux qui en ont besoin ?

La crise du travail social ne date pas d’hier

La crise que connaît le travail social n’est pas nouvelle. Dès la fin des années 1990, des auteurs témoignent du malaise des travailleurs sociaux, engendré par une déstructuration de ce champ professionnel. Le sociologue Marcel Jaeger souligne en 2013 cette double impuissance, symbolisée par le manque de moyens et la perte de sens.

Le contexte actuel exacerbe cette crise : difficultés de recrutement, diminution de candidats au sein des instituts de formation, nouveaux profils de stagiaires, abandon de certains déçus par les conditions de travail, complexité des situations des personnes accompagnées, contraintes financières et procédurales, obligation de résultat, bas salaires, libéralisation du travail social, etc.

Émergence de l’emploi intérimaire

L’emploi intérimaire interroge une large frange des travailleurs sociaux et des personnels en poste d’encadrement dans le secteur. Mon intérêt pour ce phénomène émergé d’échanges réguliers avec des étudiants en certificat d’aptitude aux fonctions de directeur d’établissement ou de service d’intervention sociale (CAFDES) au sein de l’Institut Régional du Travail social (IRTS) Paca Corse.

À ce jour, peu d’études scientifiques évoquent ce phénomène, si ce n’est les travaux de Charlène Charles en protection de l’enfance. Ses résultats mettent en avant la « contrainte » du recours à l’intérim pour des professionnels précaires. Ils répondent principalement à des situations « d’urgence sociale », des missions de « contention sociale », souvent sollicités pour faire fonction de « renfort éducatif », pour des situations de « crises ».

Jusqu’alors, l’intérim a été justifié dans le secteur de la protection de l’enfance du fait de l’accroissement de situations complexes chez les jeunes de l’Aide Sociale à l’Enfance, nommés « les incasables ». Il touche d’autres champs, comme le handicap ou encore la lutte contre l’exclusion, champs enquêtés dans notre recherche.

Point juridique à ce sujet

Afin d’encadrer le recours à l’intérim, la loi Valletoux est promulguée le 27 décembre 2023. En application du décret du 24 juin 2024, elle fixe une durée minimale d’exercice préalable de deux ans pour certains professionnels avant leur mise à disposition d’un établissement ou service social ou médico-social par une entreprise de travail temporaire.

Rebondissement le 6 juin dernier. Le Conseil d’État annule cette mesure pour les professionnels expérimentés, eux aussi touchés par cette mesure.

Manque d’attractivité des métiers

Mais alors quelles réalités revêtent le recours à l’intérim en travail social en 2025 ? Notre recherche exploratoire auprès de deux organisations du secteur médico-social permet de dresser un premier portrait du phénomène.




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Elle permet de confirmer le manque d’attractivité des métiers ou la souffrance des professionnels du secteur face à des conditions de travail difficiles. Quelques lignes de notre carnet de chercheur font état d’un acte de violence d’un résident auprès d’une professionnelle :

Le 30 janvier 2025, arrivée à 09 heures 15. Je croise C., la [cheffe de service], et H., une [aide-soignante], dans les couloirs. H. a une poche de glace sur la joue. Elle vient de se faire frapper par un résident. Elle propose l’achat d’un sac de frappe pour les résidents. C’était le cas dans un ancien établissement où elle a travaillé.

Intérim contraint et choisi

Au-delà, le recours à l’intérim met en lumière un rapport de force inversé, désormais entre les mains des individus et non plus des organisations. Il entraîne un recours presque inévitable à l’intérim afin d’assurer la survie des établissements concernés, notamment sur des périodes dites « de tensions ». Force est donc de constater le glissement d’un intérim « contraint » à un intérim « choisi » pour les professionnels du secteur.

« Les agences non lucratives, ça fait partie de leur mission d’amener les intérimaires à l’emploi. Les agences non lucratives, c’est une perte de capital humain », rappelle un directeur d’une association.

La digitalisation des agences d’intérim facilite la mise en contact avec les intérimaires, ainsi que la présence de nouvelles agences d’intérim dites coopératives. Certaines d’entre elles ont justement vu le jour grâce à un travail interassociatif, les organisations du secteur souhaitant retrouver une forme de contrôle sur les embauches de ces professionnels.

Période d’essai du CDI

Du côté des organisations, l’usage de l’intérim peut paraître ambigu. Pour l’une des organisations enquêtées, l’intérim est clairement affiché comme une « période d’essai » du CDI. Cela permet aux managers de proposer des CDI à des intérimaires dont les compétences ont été reconnues.

« Oui, c’est une source d’embauche importante. Ça a été un moyen de permettre, en fait, de remplacer une période d’essai, on va dire comme ça, avec des conditions, pour être honnête, plus avantageuses et pour la personne en intérim, et plus souples pour nous » relève un directeur associatif.

Pour les organisations, les motivations exposées résident principalement dans le fait que les « intérimaires repérés » jouent un rôle de facilitateur. Le recours à l’intérim facilite une partie du travail administratif, notamment lorsque l’agence d’intérim s’occupe des plannings des intérimaires et des roulements.

Ce type d’intérimaires repérés sont porteurs d’une histoire, de connaissances d’un dispositif. De facto, ils facilitent la prise de poste de professionnels permanents, notamment de leur supérieur hiérarchique.

« Pour ne rien vous cacher, ça m’arrangeait aussi puisque c’était toujours les mêmes intérimaires. Elles maîtrisaient mieux le dispositif que moi. Et si je suis honnête, c’est elles qui m’ont plus formée quand je suis arrivée » souligne une cheffe de service éducatif.

Se confronter à la réalité du travail

Du côté des intérimaires, l’intérim est utilisé pour choisir l’établissement d’exercice, afin d’éprouver les conditions réelles de travail face à l’image et la notoriété d’un établissement ou d’une association.

Les intérimaires témoignent de plusieurs motivations à recourir à ce statut : moins de stress, plus de liberté, des avantages financiers et une meilleure conciliation vie privée/vie professionnelle.

« J’ai des parents vieillissants dont je suis seule à m’occuper. Et comme je disais à la [cheffe de service] : je ne pourrais pas accompagner les résidents ici comme j’ai toujours fait […] Et ne pas m’occuper des miens, ce n’est pas possible. »

The Conversation

Laura Beton-Athmani est vice-présidente de l’association MJF – Jane Pannier.

ref. Le recours à l’intérim dans le travail social : opportunité ou fatalité ? – https://theconversation.com/le-recours-a-linterim-dans-le-travail-social-opportunite-ou-fatalite-262823