Rapport sur l’avenir de l’audiovisuel québécois : un bon point de départ, en attendant une métamorphose en profondeur du milieu

Source: The Conversation – in French – By Catalina Briceno, Professeure, École des médias de l’UQAM, Université du Québec à Montréal (UQAM)

Reconduit à la Culture et aux Communications le 10 septembre, le ministre Mathieu Lacombe se retrouve aussitôt face à un dossier urgent : le rapport Souffler les braises, qui lui a été remis cinq jours plus tôt par le Groupe de travail sur l’avenir de l’audiovisuel québécois (GTAAQ).

Co-présidé par Monique Simard (productrice, ex-présidente de la SODEC) et Philippe Lamarre (fondateur d’Urbania), ce groupe rassemblait aussi quatre personnes issues de la production, de la diffusion et de la création audiovisuelle. En plus de 200 pages, le rapport formule 20 recommandations et 76 mesures regroupées sous six lignes directrices : renforcer les institutions publiques, mieux arrimer éducation et culture, reconquérir le public, stimuler l’exportation, accélérer la transition numérique et encourager la concertation sectorielle.

Bien en amont de la rédaction du rapport par le groupe de travail, j’ai encadré à l’UQAM l’équipe chargée du dépouillement des études et synthèses des mémoires. Mon commentaire s’appuie sur ce travail, sur mon expérience d’analyste du secteur de l’audiovisuel et sur ma pratique en prospective.

Dépasser la connaissance ancienne des enjeux

Il importe d’abord de rappeler que les problèmes structurels de l’audiovisuel québécois ne sont pas nouveaux. Depuis au moins une décennie, chercheurs, experts et praticiens identifient les fragilités qui pèsent sur l’industrie : déclin des ressources financières, transfert des écoutes vers le « tout-numérique », dépendance grandissante aux plates-formes étrangères, difficultés de mise en valeur des contenus locaux, fragmentation des publics et déficit de littératie numérique.

De ce point de vue, le rapport révèle peu de choses nouvelles, mais a le grand mérite de remettre à l’avant-plan les manques connus et des pistes de solutions souvent ignorées.

Souffler les braises arrive donc in extremis : alors que le secteur paye le prix d’années de négligence et de demi-mesures face aux mutations mondiales des industries de la création.

Tension entre inventaire et invention

L’exhaustivité et la profondeur du rapport, qui compile l’essentiel de 114 mémoires déposés, d’une trentaine d’études dépouillées et de centaines d’heures de rencontres, sont remarquables. C’est aussi ce qui en fait un document consensuel, accueilli avec enthousiasme par le milieu.


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Toutefois, cette même exhaustivité fait courir un risque de dilution des priorités : chacun peut y trouver une mesure favorable à ses intérêts, fournissant de quoi alimenter les agendas particuliers. C’est aussi ce qui rend la longue liste de recommandations vulnérable aux changements de gouvernement, à l’influence des lobbys et aux priorités politiques changeantes.

C’est là que se révèle la tension fondamentale qui traverse l’exercice : d’un côté, le rapport joue un rôle stabilisateur en apportant un inventaire de solutions pragmatiques et attendues à court terme. De l’autre, il laisse en suspens la nécessité de redessiner en profondeur le modèle de l’audiovisuel québécois pour se préparer aux prochaines mutations de l’économie numérique des contenus.

Une question centrale à approfondir

À travers cette tension, le rapport pose néanmoins une interrogation qui mérite toute notre attention : souhaitons-nous être propriétaires de notre culture, ou rester sous-traitants et consommateurs invisibles des grandes industries culturelles étrangères ?

Le rapport privilégie clairement la première option : une stratégie de souveraineté culturelle, présentée comme urgente et un devoir envers les futures générations.

Le rapport avance certaines pistes pour renforcer cet engagement envers la jeunesse : ouverture de studios de création et développement de marques à Télé-Québec, augmentation des budgets d’investissement en jeunesse, élargissement des genres admissibles à la SODEC. Il n’en reste pas moins que ces mesures demeurent enchâssées dans un système qui, jusqu’ici, n’a pas su renouveler ce « lien affectif » avec les nouvelles générations d’auditoires.

Et si « parler aux jeunes », c’était justement d’ouvrir la voie à l’invention de modèles inédits, au-delà de ce qui paraît aujourd’hui possible ?

Éviter le blocage structurel

En éclairant ce qui est déjà visible, mais peinant à préparer ce qui est encore à venir, le rapport touche à sa limite la plus importante : celle du maintien d’un statu quo structurel. Si des ajustements opérationnels et des réaménagements significatifs sont proposés, les fondements de l’architecture institutionnelle et économique du modèle audiovisuel québécois, ainsi que les logiques de gouvernance qui organisent rôles, pouvoirs et privilèges au sein de la chaîne de valeur, demeurent largement inchangés.

L’avenir de l’audiovisuel québécois ne pourra pas se jouer sur la seule capacité à répondre aux crises présentes (et permanentes) du secteur, mais sur l’audace de concevoir collectivement des futurs désirables, au-delà de la seule préservation du modèle existant. Mais cela suppose de créer un espace commun de réflexion et de coconstruction, où puisse se déployer une véritable pensée du devenir.

Le rapport Souffler les braises offre l’occasion d’amorcer ce momentum et d’engager le travail.

Une méthodologie à interroger

La démarche du groupe de travail reposait sur une vaste consultation des personnes travaillant dans le secteur qui, logiquement, ont exprimé des préoccupations liées à leur quotidien et aux menaces immédiates qui pèsent sur leur pratique. Une méthode classique, mais qui enferme le rapport dans un rôle de compromis destiné à rassurer les multiples segments de l’industrie.

Tout le monde a été entendu. La prochaine étape appartient maintenant à l’industrie. Transformer les recommandations en résultats exige de concentrer les efforts sur quelques fronts communs. Le rapport le souligne clairement dans sa conclusion : il faut apprendre à avancer ensemble, mais surtout dans la même direction. Or, viser des résultats différents suppose d’abord de changer nos façons de faire : développer des compétences collectives capables d’anticiper les ruptures, d’explorer des futurs multiples et de renforcer la capacité d’adaptation continue de l’écosystème.

Se réinventer exigera également d’élargir le cercle. Sur plus d’une centaine de mémoires, un seul provenait d’un autre secteur que l’audiovisuel. Les prochaines étapes gagneraient à mobiliser plus largement : population, autres filières culturelles, universités et milieux d’affaires. C’est à cette condition que le Québec pourra dépasser une posture défensive et s’engager dans une véritable coconstruction, afin d’imaginer et de bâtir collectivement les futurs de ses industries créatives.

Pour faire long feu…

Sous cet éclairage, le rapport Souffler les braises doit être compris non comme un aboutissement, mais comme un point de départ. Il propose un ensemble de mesures stabilisatrices susceptibles d’atténuer les tensions actuelles. Cet apaisement au sein de l’industrie audiovisuelle est nécessaire et désiré. Ça ne saurait cependant se substituer à une refonte en profondeur des systèmes qui régissent actuellement ce secteur.

En définitive, le défi n’est pas seulement de préserver l’existant, mais de cultiver une capacité collective à se projeter dans ce qui nous apparaît souhaitable. Pour ce faire, il faut développer une imagination institutionnelle et politique à la hauteur des transformations sociales, culturelles, climatiques et technologiques qui s’annoncent.

C’est important, parce que quiconque a déjà soufflé sur des braises sait qu’on peut augmenter temporairement leur incandescence. Mais que sans l’ajout de bois nouveau, le feu ne reprend pas longtemps.

La Conversation Canada

Catalina Briceno a reçu un financement de recherche partenariale de la part du Ministère de la culture et des communications dans le cadre de la revue de littérature destinée au groupe d’experts sur l’avenir de l’audiovisuel.

ref. Rapport sur l’avenir de l’audiovisuel québécois : un bon point de départ, en attendant une métamorphose en profondeur du milieu – https://theconversation.com/rapport-sur-lavenir-de-laudiovisuel-quebecois-un-bon-point-de-depart-en-attendant-une-metamorphose-en-profondeur-du-milieu-264943