Robert Laurent-Vibert, le patron humaniste de Pétrole Hahn

Source: The Conversation – France (in French) – By Danièle Henky, Maître de conférences habilité à diriger les recherches en langues et littérature française (9e section) émérite, Université de Strasbourg

«&nbsp;Pétrole Hahn, trésor des cheveux&nbsp;»&nbsp;: affiche publicitaire datant du début du XX<sup>e</sup>&nbsp;siècle. Archives municipales de Lyon

Robert Laurent-Vibert, l’un des dirigeants emblématiques de l’entreprise Pétrole Hahn, disparu prématurément il y a cent ans, était un patron atypique. En intellectuel lettré, il considérait que la culture générale est utile à l’homme d’affaires.


Érudit, chef d’entreprise de Pétrole Hahn, Robert Laurent-Vibert (1884-1925), dont l’œuvre fut couronnée par la restauration du château de Lourmarin en Provence, semble appartenir à une époque lointaine.

Couverture d’un livre consacré à Robert Laurent-Vibert
Lourmarin sera notre chef d’œuvre : Robert Laurent-Vibert un humaniste pour notre temps (2025), par Danièle Henky.
Livre Provence Alpes Côte d’Azur

Sa vie brève comme sa forte personnalité sont des modèles pour qui s’intéresse aux valeurs de l’humanisme en entreprise. Il a su discerner les différences entre travail intellectuel et travail d’affaires. Alors que le premier exige du temps, des recherches patientes et minutieuses, le second veut la rapidité dans l’étude et l’esprit de décision. Laurent-Vibert s’est ingénié à passer de l’un à l’autre domaine, grâce à son goût de l’action secondé par une belle capacité d’adaptation.

En humaniste, il accorde toute son attention à la qualité de vie de ses employés dont il améliore les conditions de travail et le quotidien. En philanthrope, il estime impérieux pour l’homme d’affaires de protéger la civilisation française par l’intermédiaire de ses artistes et de ses scientifiques, en leur procurant laboratoires, bibliothèques ou bourses d’études.

Orphelin devenu chef d’entreprise

Orphelin à l’âge de 10 ans, Robert est adopté par la famille lyonnaise Vibert, proche de ses parents biologiques, les Laurent. François Vibert, son père adoptif, devient, en 1901, propriétaire-fabricant en France du « pétrole pour les cheveux », inventé par Charles Hahn : le fameux « Pétrole Hahn » ! En 1885, ce pharmacien créé une lotion capillaire à base de pétrole, solution aujourd’hui contestée comme le souligne l’article de Ouest-France. En 1896, François Vibert lance sa fabrication en France. C’est ici que s’est joué le destin de Robert Laurent-Vibert.

L’enrichissement rapide de son père adoptif permet à Robert d’acquérir une excellente éducation à l’école Ozanam puis au Lycée Ampère, à Lyon, où Édouard Herriot, son professeur, le pousse vers des études littéraires. À l’École normale supérieure de la rue d’Ulm (Paris), le jeune homme entreprend des études d’histoire. Il réussit l’agrégation et entre à l’École française de Rome. Mais il ne peut poursuivre sa carrière de professeur et de chercheur, car son père, malade, l’appelle pour le seconder dans l’entreprise. Il finit par en devenir le directeur en 1912 et par jouer un rôle prépondérant dans le développement de celle-ci grâce à son recours à la publicité et à son management moderne.

Pionnier de la publicité

L’homme d’affaires a laissé des témoignages probants de son implication dans l’avenir des établissements Vibert, non seulement en tant que chef d’entreprise visionnaire, mais aussi par son humanisme. Devenu président du Syndicat de la parfumerie, s’inspirant des patrons avant-gardistes du XIXe siècle, il crée dans sa société un modèle social qui accorde à ses salariés congés payés et allocations familiales.

Pétrole Hahn lui doit également son statut de société anonyme. Après la Première Guerre mondiale, son succès est tel qu’on l’appelle au gouvernement pour devenir conseiller du Commerce extérieur. Dans les années 1920, le passage de la réclame à la publicité stimule les ventes. Un homme d’affaires aussi attentif et bien renseigné que Laurent-Vibert ne peut pas manquer de s’y intéresser. Il fait appel à des illustrateurs talentueux pour représenter, façon Art déco ou sur le modèle des affiches de cinéma, le précieux flacon et ses effets sur celles et ceux qui l’emploient pour leur bénéfice. Il fait ainsi la connaissance de Benjamin Rabier avec lequel il entreprend de moderniser la communication publicitaire des produits Pétrole Hahn.

Affiche d’une publicité pour Petrole Hahn
Supplément littéraire du magazine l’Illustration du 19 avril 1913.
Archives de Lyon

On vante les qualités du produit non seulement dans la presse et les magazines, mais aussi sur des cartons publicitaires, des chromos, des buvards, des cartes postales, des timbres, des calendriers, des puzzles, des enseignes lumineuses… Et, si, dès 1905, sous l’égide de François Vibert, Petrole Hahn se fait connaître en Grande-Bretagne et en Allemagne, de 1920 à 1924, la Grèce et le Canada, la Chine, l’Australie et l’Amérique du Sud l’adoptent à leur tour. Laurent-Vibert n’hésite pas à voyager lui-même dans toute l’Europe et jusqu’en Amérique, curieux des innovations de ce pays, pour commercialiser ses produits.

Première Guerre mondiale, de l’Europe à l’Orient

Retour sur sa vie personnelle. Pendant la Première Guerre mondiale, il fait preuve de qualités humaines remarquables : aptitude à évaluer les situations, à prendre des décisions, esprit d’initiative… Ne reculant pas devant le danger, il participe activement aux combats et se montre soucieux de préserver la vie de ses hommes. Il laisse de nombreux carnets de notes et de croquis qui en témoignent.

Remis de graves blessures, il est envoyé à Salonique de 1916 à 1918, où il crée une société pour favoriser les échanges commerciaux entre la France et la Macédoine. Il s’intègre au cercle des amis cultivés de Jules Lecoq, proviseur du lycée français, en anime les échanges culturels littéraires et archéologiques et fait la connaissance de nombreux intellectuels dont Henri Bosco. Parallèlement, il fonde la Revue franco-macédonienne en 1916, mensuel dont les articles sont rédigés par des officiers, sous-officiers et soldats de l’armée d’Orient.

Il reste toute sa vie attaché à l’Orient où il revient très souvent, rendant compte de ses voyages dans des récits attachants.

« Mission civilisatrice »

Idéaliste, passionnément patriote, il croit en la mission civilisatrice de son pays. Dès 1910, il insiste sur les facteurs économiques portant en germe les futurs conflits. Après la guerre, il est attentif aux dangers résultant de la complaisance de la France à l’égard de l’Allemagne. Il écrit en ce sens à son ancien maître Herriot pour l’alerter. Son intérêt pour l’histoire lui insuffle la conviction que celle-ci ne doit jamais être rejetée au profit d’une nouvelle ère qui s’ouvre, censée balayer les erreurs du passé.

Cette attitude prend corps dans la restauration du château de Lourmarin (Vaucluse), qu’il découvre dans un grand état d’abandon en 1920 lors d’une excursion. Il en fait l’acquisition dans le but d’en entamer la reconstruction et de créer une fondation dont la mission serait de devenir un centre d’art et de culture. Dans son travail de restauration, l’architecte Henri Pacon – à qui le chantier fut confié – sut exploiter les solutions techniques apportées par la modernité, tout en respectant les recherches historiques de Robert.

Le château de Lourmarin abrite aujourd’hui une fondation culturelle.
Wikimediacommons

Fréquenté par des visiteurs du monde entier, à la fois résidence d’artiste, lieu d’exposition, de concerts et de conférences, l’endroit est devenu aujourd’hui un lieu de visite incontournable du Lubéron, surnommé « la petite Villa Médicis de Provence ».

Source de réflexion

Tout au long de sa vie, Robert Laurent-Vibert publie des revues, écrit des pièces de théâtre et plus tard des livres de voyage. Il fréquente de nombreux érudits, a des relations proches avec l’éditeur Georges Crès ou le maître-imprimeur Maurice Audin dont il fréquente les ateliers et leurs machines, prétendant qu’il est nécessaire pour sa santé de respirer l’odeur de l’encre d’imprimerie.

Mu par la soif des connaissances, l’amour de la création, un attachement aux autres, et une détermination à transmettre savoir et découvertes, Robert Laurent-Vibert a déployé dans ses activités une énergie remarquable. Trop tôt disparu en 1925 dans un accident de la route, voyageur infatigable, lecteur, écrivain, collectionneur, il eut une vie aussi trépidante que riche. À la fois dirigeant d’entreprise talentueux et généreux humaniste, il reste aujourd’hui un exemple et une source de réflexion pour tous.

The Conversation

Danièle Henky ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

ref. Robert Laurent-Vibert, le patron humaniste de Pétrole Hahn – https://theconversation.com/robert-laurent-vibert-le-patron-humaniste-de-petrole-hahn-264710