Source: The Conversation – in French – By Laurent Muller, Maitre de Conférences en Sciences de l’éducation et de la formation, Université de Lorraine
Les micro-violences sont ces actes ou remarques du quotidien qui, sans être perçus comme des violences, portent atteinte à la dignité d’un élève et peuvent durablement le blesser. Pour les enrayer, il faut d’abord apprendre à les reconnaître.
La circulaire de rentrée 2025 réaffirme la volonté de « refuser toute forme violence » à l’école, avec comme ambition d’« engager et responsabiliser tous les acteurs de la communauté éducative ». Mais il ne suffit pas de vouloir pour pouvoir : encore faut-il comprendre les raisons du symptôme, pour pouvoir vraiment les traiter.
Pour redonner vie à la responsabilité collective, celle des enseignants, éducateurs, parents… et élèves, il faut en passer par la conscientisation des discours qui autorisent les micro-violences dans les relations interpersonnelles. Il s’agit aussi de savoir reconnaître et mettre en pratique les micro-attentions qui contribuent à l’épanouissement des élèves.
Micro-violences et déni de responsabilité
Dans ses expériences sur la soumission à l’autorité, le psychologue Stanley Milgram se réfère au concept de « banalité du mal » cher à Hannah Arendt et note que l’essentiel du mal susceptible d’être fait dans le monde ne vient pas d’une volonté perverse ou diabolique, mais du simple déni de responsabilité. Devenir étranger à son « moi profond » pour devenir « un simple instrument destiné à exécuter les volontés d’autrui » : c’est ce genre de petite démission de la volonté qui constitue le premier pas, anodin, vers le mal qu’on peut faire à l’autre.
À cet égard, l’intention affichée ne saurait constituer une garantie d’innocuité. Il faut ici prêter l’oreille et identifier les poncifs, ces phrases toutes faites qui servent de prêt-à-penser, dont on peut s’autoriser pour se montrer (micro) violent :
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« C’est pour ton bien » ou l’anticipation des conséquences favorables ;
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« C’est à moi que ça fait mal » ou l’inversion accusatoire ;
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« C’est pas la mer à boire » ou la minimisation ;
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« C’est pour tout le monde la même chose » ou la banalisation ;
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« Pauvre chou » ou l’ironie ; toutes les manières de renoncer à l’empathie, et même à l’auto-empathie en se disant à soi-même : « Je n’ai pas le choix. »
Le spectre des mécanismes de défense est large, et il faut engager un travail de clarification intérieur pour se (re)saisir de sa responsabilité. La réforme des automatismes de langage visant à se donner bonne conscience à peu de frais est indispensable pour sortir du statut quo. Mais si la conscientisation n’a rien à voir ici avec une quelconque « bonne conscience » qu’on se donne, elle n’a rien à voir non plus avec une quelconque « mauvaise conscience » qu’on devrait s’attribuer, cet ulcère de l’âme qui nourrit la culpabilité.
Bienveillance bien ordonnée commence par soi-même : oui, nous nous sommes (très) probablement montrés micro-violents, et il n’y a rien d’étonnant à être dans la « reproduction ». Mais l’essentiel n’est pas ce qui a été fait : c’est ce qui sera fait désormais. Il ne saurait être question d’être « parfait » (exigence étouffante et impossible à satisfaire) mais, plus modestement, d’accepter que l’être humain, certes imparfait, est « perfectible ». Il a besoin de progresser, conduisant à pouvoir autant s’améliorer que se dégrader.
Les micro-attentions nourrissent les missions éducatives
Ce travail à la responsabilisation ouvre un champ de possibles, déjà exploré par de nombreux éducateurs, à travers le développement de micro-attentions. Ces marques de reconnaissance contribuent à tisser des liens et soutiennent la confiance et l’estime de soi : elles valorisent non seulement l’élève, mais aussi (et surtout) la personne de l’élève.
À l’occasion d’une sortie scolaire, d’un temps de pause (la récréation), d’un projet ou dans le cours ordinaire d’une séance, une remarque, un sourire, un regard, une attention informelle vient nourrir un besoin de reconnaissance et introduit une forme de « jeu » dans le fonctionnement rigide de l’institution.
Au contraire des micro-violences, les micro-attentions sont ces gestes ou mots qui font la différence, et qui, dans la chaleur d’un regard ou d’un sourire, écoutent, soutiennent sans chercher à normaliser. Un étudiant de master témoigne :
« Au lycée, j’ai eu une enseignante de SVT qui a créé un lien formidable avec notre classe, elle s’intéressait à notre parcours, nos projets, elle nous a d’ailleurs beaucoup aidés pour notre choix d’étude. Encore aujourd’hui elle demande des nouvelles de ses élèves sur un groupe Discord. Cette enseignante a été un point d’attache et un repère pour beaucoup. Lorsqu’on avait une difficulté dans la vie lycéenne ou dans les cours nous pouvions lui parler librement, elle était à l’écoute et nous proposait des solutions ou des conseils. C’est une des personnes qui m’a donné envie d’enseigner et de créer une vraie relation avec sa classe. »
Sommes-nous dans l’anecdotique ? Peut-être… Mais l’essentiel surgit parfois à la marge, à la dérobée, de manière imprévisible. Ce sont les grands et heureux effets des petites causes, générées par une attitude qui permet (qui ose) la rencontre.
Chacun a fait l’expérience de ces éducateurs solaires, faisant d’eux des « tuteurs de résilience » qui permettent aux plus fragilisés de « tenir ». Leur agentivité se transfère, et fait de l’école davantage qu’un lieu de (sur) vie : un lieu où il est permis de s’épanouir.
Le paradoxe est que cette agentivité n’est guère soutenue dans cette institution hautement normalisatrice qu’est l’école française. Ne serait-il pas temps, pour autant qu’on souhaite donner corps à la prévention de toutes les formes de violence à l’école (et ailleurs), d’institutionnaliser autant qu’il est possible, les micro-attentions, afin d’en faire non plus l’exception, mais la règle ? De faire de la qualité des relations interpersonnelles un enjeu central de la formation des enseignants, jusqu’à présent centrée sur les contenus à enseigner ?
Sans doute s’agit-il là d’un changement de paradigme, celui-là même qui est censé faire vivre les valeurs inclusives, en en faisant tout autre chose que des normes quantitatives à respecter. Pour l’initier, il faut libérer la parole, non à des fins d’accusation, mais pour engager le dialogue, remettre au centre l’intelligence collective et la responsabilité partagée.
Une enquête sur les micro-violences à l’école et à l’université est en cours, et le questionnaire sur les souvenirs scolaires est toujours accessible ici.
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Laurent Muller est fondateur de l’association à but non lucratif Stop Micro-Violences (http://www.stopmv.fr/)
– ref. Lutter contre les micro-violences à l’école : ces attentions qui changent la donne – https://theconversation.com/lutter-contre-les-micro-violences-a-lecole-ces-attentions-qui-changent-la-donne-260757
