Source: The Conversation – in French – By Cécile Doubre, Physicienne du Globe, Université de Strasbourg
Les tremblements de terre ne restent jamais isolés : ils peuvent déclencher toute une cascade d’autres phénomènes géologiques, un effet que les chercheurs étudient depuis des décennies. Une nouvelle étude confirme que les fluides, comme l’eau, jouent un rôle majeur dans la résistance de la croûte terrestre aux forces tectoniques à l’origine des séismes.
La Terre ne reste pas immobile après un grand séisme. À proximité de l’épicentre d’un fort séisme, des dégâts importants peuvent être provoqués par les secousses sismiques (destructions de routes ou d’immeubles, par exemple). Et il n’est pas rare d’observer également des glissements de terrain. Le choc principal peut aussi déstabiliser les failles environnantes, et créer ainsi de nouveaux points de rupture, appelés les « répliques ».
Beaucoup plus loin, là où personne ne ressent la moindre secousse, les instruments détectent une augmentation des petits tremblements de terre, surtout dans les régions volcaniques et géothermiques. Récemment, on a aussi pu observer des mouvements le long de zone de subduction, situés à plusieurs milliers de kilomètres de l’épicentre d’un séisme ayant eu lieu quelques minutes avant, interrogeant ainsi sur le lien mécanique entre ces deux phénomènes.
Dans notre article, publié cette semaine dans Science, nous révélons comment les grands tremblements de terre qui ont frappé la Turquie en 2023 ont produit des effets imprévus dans le bassin de Kura en Azerbaijan, à 1 000 kilomètres de l’épicentre : éruptions de volcans de boue (grands édifices faits de boue consolidée à la suite d’éruptions successives), gonflement d’une nappe d’hydrocarbures et séismes lents (également appelés « silencieux », c’est-à-dire sans émissions d’ondes sismiques).
Ces observations nous ont permis de mettre en évidence de manière quasi directe, et c’est bien là la nouveauté de cette étude, le rôle fondamental que jouent les fluides présents dans la croûte terrestre (de l’eau, par exemple) sur la résistance de celle-ci et, par conséquent, sur l’activité sismique.
Des observations inattendues à 1 000 kilomètres des deux séismes turcs
Dans le cadre de sa thèse sur la déformation lente dans le Caucase oriental, notre doctorant, Zaur Baraymov a traité de nombreuses images satellitaires radar de l’Agence spatiale européenne. En les comparant une à une (technique de géophysique appelée interférométrie radar), il a été étonné d’observer un signal le long de plusieurs failles dans la période correspondant aux deux grands séismes de Kahramanmaras, en Turquie, en février 2023.
Grâce à cette compilation d’images satellites et aux enregistrements sismologiques locaux, nous montrons que ces grands séismes ont déclenché, à plus de 1 000 kilomètres de distance, des gonflements et des éruptions de plusieurs dizaines de volcans de boue ainsi que des « séismes lents » sur plusieurs failles : ces glissements ont lieu trop lentement pour émettre eux-mêmes des ondes sismiques.
Que s’est-il passé ?
Sous l’effet du mouvement continu des plaques tectoniques à la surface de la Terre, des forces s’accumulent dans la croûte terrestre. Au sud-est de la Turquie, les plaques arabique et anatolienne se déplacent l’une par rapport à l’autre et la faille est-anatolienne résiste à ce mouvement. La majeure partie du temps, les failles sismiques sont « bloquées », et rien ne se passe… jusqu’au moment où ça lâche.
En février 2023, ce système de failles a brutalement glissé de plusieurs mètres, deux fois en quelques heures. Ce mouvement brutal est comparable au relâchement soudain d’un élastique : lorsqu’il se détend d’un coup, il rebondit dans tous les sens. Dans le cas d’un séisme, des ondes sismiques sont émises dans toutes les directions de l’espace. Typiquement, les secousses sont très fortes et peuvent détruire des bâtiments à proximité de l’épicentre, mais, à 1 000 kilomètres de distance, ces mouvements sont atténués et ne sont plus ressentis par les humains, même si les sismomètres, très sensibles, enregistrent des vibrations.
En 2023, au moment où les ondes atténuées du séisme turc ont traversé le bassin de Kura en Azerbaïdjan, à 1 000 kilomètres de l’épicentre, quelque six minutes après le séisme, nous avons détecté, sur des images satellites, du mouvement sur sept failles tectoniques. Celles-ci ont glissé silencieusement de plusieurs centimètres, sans émettre d’ondes sismiques.

Romain Jolivet, Fourni par l’auteur
En même temps, une cinquantaine de volcans de boue sont entrés en éruption en crachant de la boue, tandis que d’autres se déformaient.
Nous avons même mesuré le soulèvement du sol de quelques centimètres au-dessus d’un gisement d’hydrocarbures situé à l’aplomb d’une des failles activées.
Jamais une telle accumulation de phénomènes déclenchés par un même séisme n’avait été observée.
Comment un séisme peut-il déclencher de tels phénomènes à distance ?
La concomitance des éruptions de volcans de boue et des glissements silencieux sur les failles met en évidence le rôle des fluides dans ces déclenchements.
Plus précisément, observer ces volcans de boue s’activer et le champ d’hydrocarbures gonfler indique que la pression des fluides dans les roches du sous-sol a augmenté au passage des ondes sismiques. Cet effet est connu, notamment le phénomène appelé « liquéfaction » qui se produit sur les sols saturés en eau, perdant leur stabilité à la suite d’un séisme.
L’augmentation de la pression des fluides est aussi connue pour fragiliser les failles et les conduire à relâcher de la contrainte en glissant. De plus, il est bien établi qu’une pression de fluide élevée favorise un glissement lent sur les failles, qui ne génère pas d’ondes sismiques. Les ondes sismiques, en passant, ont donc fait grimper la pression des fluides dans la croûte, occasionnant à la fois les éruptions de boue et les glissements asismiques sur ces failles.
Cette étude constitue la première observation directe de l’influence des fluides présents dans la croûte sur le déclenchement à distance des séismes lents.
Le rôle des fluides dans la propagation des ondes sismiques sur de grandes distances
Depuis longtemps, les géophysiciens soupçonnaient que les fluides jouent un rôle dans une observation intrigante : comment de simples ondes sismiques, qui génèrent de faibles contraintes de quelques kilopascals, peuvent-elles déclencher des glissements sur des failles pourtant capables de résister à des contraintes bien supérieures, de quelques mégapascals ?
Nos observations apportent la réponse. L’augmentation de pression de fluide peut permettre d’atteindre l’échelle des mégapascals et d’activer les failles présentes dans la croûte saturée en fluides.
Il reste maintenant à généraliser ces observations. Toutes les failles sont-elles baignées de fluides circulant dans les roches de la croûte ? Si oui, quelle est la nature de ces fluides ? Nous savons qu’il y a de l’eau dans la croûte, et particulièrement dans les sédiments de la région du bassin de Kura, mais nos observations montrent que les hydrocarbures peuvent aussi être impliqués.
Des analyses géochimiques suggèrent même que des fluides, comme de l’eau chargée en dioxyde de carbone, pourraient remonter du manteau. La question reste ouverte…
Le projet Évolution spatiale et temporelle de la déformation sur et hors faille – SaTellite est soutenu par l’Agence nationale de la recherche (ANR) qui finance en France la recherche sur projets. L’ANR a pour mission de soutenir et de promouvoir le développement de recherches fondamentales et finalisées dans toutes les disciplines, et de renforcer le dialogue entre science et société. Pour en savoir plus, consultez le site de l’ANR.
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Jusqu’à fin 2024, Alessia Maggi a été conseillère en matière de formations universitaires à l’Université Franco-Azerbaijanaise, un partenariat entre l’université de Strasbourg et la Azerbaijan State Oil and Industry University (ASOIU).
Romain Jolivet a été membre de l’Institut Universitaire de France entre 2019 et 2024. Il a reçu des financements de l’ANR ainsi que l’ERC.
Cécile Doubre et Luis Rivera ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.
– ref. Volcans de boue et séismes silencieux : quand les ondes d’un séisme ont des effets à très grande distance – https://theconversation.com/volcans-de-boue-et-seismes-silencieux-quand-les-ondes-dun-seisme-ont-des-effets-a-tres-grande-distance-264526
