Source: The Conversation – in French – By Éric Bélanger, Professeur en science politique, McGill University
L’été 2025 n’a pas seulement été chaud, il a électrisé la scène politique québécoise. Le Parti québécois (PQ) a fait élire un autre candidat lors d’une élection partielle dans Arthabaska en août, et des sondages récents laissent présager un regain de popularité pour la souveraineté, notamment chez les jeunes. Assiste‑t‑on à un renouveau souverainiste solide ou à une simple poussée estivale d’émotion politique ?
Avec 35 % des voix (contre 46 % pour le PQ), la défaite a été crève-cœur pour Éric Duhaime qui a perdu son second pari visant à se faire élire et à amener le Parti conservateur du Québec à l’Assemblée nationale. Elle aura été cependant l’occasion de se réjouir pour le chef du PQ Paul St-Pierre Plamondon.
Parallèlement, on constate un certain regain dans l’opinion publique alors que des sondages récents ainsi que des jeunes artistes comme Lou-Adriane Cassidy ou le rappeur kinji00 remettent la question de la souveraineté du Québec à l’ordre de jour.
Pour nous, cotitulaires de la Chaire de recherche sur la démocratie, le vivre-ensemble et les valeurs communes au Québec, et spécialistes de la politique québécoise et de l’opinion publique, cette dynamique mérite un regard approfondi. Nous l’examinons sous trois angles : la méthodologie des sondages, les motivations profondes du regain, et les précédents historiques.
Interroger les sondages : ce qu’ils disent… et ce qu’ils ne disent pas
Dans un premier temps, il importe de s’attarder à la dimension méthodologique des sondages cités dans les médias. Ces coups de sondes ont des limites bien réelles. D’abord, l’appui de 56 % des jeunes de 18-34 ans, mesuré par la firme CROP au début du mois d’août, ne correspond pas à une intention de vote à un éventuel référendum – où la réponse se résumerait à « Oui » ou « Non ». Il s’agit plutôt d’un appui exprimé sur une échelle en quatre points, allant de « très favorable » à « très défavorable » à l’idée de souveraineté.
En juin dernier, la firme Léger a quant à elle mesuré une hausse des intentions de vote en faveur du « Oui » dans la même tranche d’âge, s’élevant à environ 48 %.
Sans mettre en doute l’existence de cette évolution chez les jeunes, on n’en sait très peu sur la taille exacte et la provenance des échantillons qui ont été rejoints dans ces deux enquêtes ni sur la manière avec laquelle les deux firmes de sondage ont pondéré les réponses de ces jeunes à ces questions. Par exemple, le chiffre de 48 % chez Léger paraît reposer sur les réponses de 195 jeunes individus seulement. L’appui de ce même groupe d’âge à la souveraineté est d’ailleurs retombé à 42 % dans leur enquête suivante publiée au mois d’août. De manière générale, plus les échantillons sont petits, plus les opinions mesurées sont susceptibles d’être volatiles.
Enfin, on a déjà observé par le passé que les appuis à la souveraineté ont tendance à diminuer une fois le PQ porté au pouvoir. Ces appuis avaient par exemple reculé de 8 points de pourcentage en quelques mois seulement à la suite de la victoire de Pauline Marois en 2012. Ce phénomène peut être attribuable à l’ambivalence qu’entretiennent généralement les Québécois vis-à-vis le PQ : ils aiment l’idée que ce parti dirige le Québec mais ils entretiennent des réserves face à son option constitutionnelle. Il est donc ici important d’offrir une nuance quant aux « réelles » préférences politiques des jeunes personnes sondées.
Langue, culture, crises politiques : ce qui motive l’appui à la souveraineté
Dans un second temps, nos travaux de recherche portant sur l’appui à l’indépendance au Québec et ailleurs dans le monde, notamment en Écosse et en Catalogne, indiquent que c’est surtout la volonté de protéger sa langue ou de conserver sa culture qui alimentent l’intérêt pour cette option constitutionnelle.
Il y a ici lieu de se questionner sur le rapport à la langue française des jeunes interrogés. Quelle est réellement l’importance de cette langue pour eux ? Certains, notamment ceux qui consomment beaucoup de contenu sur les plates-formes numériques comme TikTok, sont plus près des préoccupations des vlogeurs français (voir l’étude de l’Institut de la statistique du Québec). Ces jeunes parlent français certes, mais leurs référents culturels sont beaucoup plus franco-français que québécois.
Par ailleurs, les recherches ont aussi montré que les griefs, stimulés par des crises politiques tels l’échec de l’Accord du lac Meech ou le scandale des commandites, sont parmi les facteurs qui font le plus augmenter les appuis à la souveraineté. Or, il n’y a pas, présentement, de tels griefs ou de telles crises qui soient clairement en place au Québec.
Le poids de l’histoire : les jeunes (presque) toujours en tête du mouvement
Dans un troisième temps, c’est en posant un regard historique qu’il est possible d’offrir un autre éclairage sur cette montée, même modeste, de l’appui à la souveraineté. Historiquement, ce sont les jeunes qui ont surtout appuyé l’idéal d’indépendance. Ce fut le cas tant au Québec qu’ailleurs, comme en Écosse. Il est donc cohérent que ce soit la jeunesse québécoise qui soit à l’avant-garde de ce regain de soutien pour la cause souverainiste.
C’est notamment ce qui a été observé dans les précédents regains d’intérêt pour la souveraineté (chez les baby-boomers durant les années 1970 ; dans une moindre mesure chez la génération X durant les années 1990). Avec le recul, on se rend compte que la réelle anomalie historique tient peut-être à la cohorte des millénariaux (les individus nés entre 1980 et 1995) qui a davantage boudé le mouvement souverainiste que les autres.
À la lumière de ces différents travaux, les causes actuelles de ce regain pour la souveraineté chez les jeunes sont donc loin d’apparaître claires. Verrons-nous un réel engouement pour le Parti québécois ou bien seulement un passage à ce parti en raison de la fatigue envers le gouvernement de la Coalition avenir Québec (CAQ) ?
Ces trois dernières années, le PQ a su tirer son épingle du jeu, profitant d’une période de turbulence pour le Parti libéral du Québec (PLQ) et Québec solidaire (QS), moins présents dans le débat public. Même s’il formait l’opposition officielle, le PLQ a été affaibli par une absence de chef permanent depuis 2022, comblée seulement en juin par l’élection de Pablo Rodriguez, ce qui a freiné son redéploiement politique. Quant aux membres et aux élus de QS, ils étaient trop occupés par leurs guerres intestines pour fonctionner ensemble et offrir une seule voix commune à l’Assemblée nationale et aux médias.
Et maintenant ?
Les jeunes ont presque toujours été attirés par la souveraineté. Cet attrait observé actuellement est-il lié à un rapport à l’avenir qui serait fondamentalement différent chez cette cohorte ? Se transformerait-il en appui réel dans l’urne à l’occasion d’un nouveau référendum ? Est-ce que les votes enregistrés dans les élections partielles étaient des votes de protestation ou bien un appui réel au PQ et à son option constitutionnelle ?
Nous avons des bémols. L’évolution de l’appui à la souveraineté demeure bien sûr à surveiller et à étudier.
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Éric Bélanger a reçu des financements du programme de Chaires de recherche du Québec (FRQSC)
Mireille Lalancette a reçu des financements du programme de Chaires de recherche du Québec (FRQSC)
– ref. La montée de l’appui à la souveraineté chez les jeunes au Québec, feu de paille ou vague de fond ? – https://theconversation.com/la-montee-de-lappui-a-la-souverainete-chez-les-jeunes-au-quebec-feu-de-paille-ou-vague-de-fond-264227
