Source: The Conversation – in French – By Satang Nabaneh, Director of Programs, Human Rights Center; Research Professor of Law, University of Dayton School of Law, University of Dayton
La transition démocratique post-dictature de la Gambie a récemment subi un revers. Le projet de loi sur la Constitution de la République de Gambie (2024) n’a pas été adopté en deuxième lecture à l’Assemblée nationale.
L’adoption du projet de loi nécessitait le soutien d’au moins 75 % des 58 membres du Parlement gambien, y compris le président. Aujourd’hui, l’avenir des réformes démocratiques du pays est incertain.
La Gambie reste donc régie par la Constitution de 1997 rédigée sous la junte militaire de Yahya Jammeh. La Constitution de 1997 était largement considérée comme un outil permettant à l’exécutif d’abuser de ses pouvoirs. Elle ne prévoit pas de limitation du nombre de mandats, bloque les réformes démocratiques essentielles et n’offre pas une protection suffisante des droits de l’homme et des principes démocratiques.
L’échec de l’adoption de la nouvelle Constitution est un revers pour le programme « New Gambia », une promesse électorale de la coalition au pouvoir en 2016. Ce programme visait notamment la rédaction d’une nouvelle Constitution et la reddition de comptes pour les violations passées des droits humains. Son blocage pourrait raviver les tensions politiques.
Les partisans du projet de Constitution ont salué un pas vers l’institutionnalisation des contre-pouvoirs et le renforcement des libertés civiles. Les détracteurs ont dénoncé le manque de transparence, l’absence de consultation approfondie des parties prenantes et certaines clauses controversées.
Parmi ces dispositions, on trouvait la suppression rétroactive de la limitation des mandats présidentiels, un affaiblissement des contre-pouvoirs avec un contrôle parlementaire réduit sur les nominations, ainsi qu’un risque d’atteinte à l’indépendance judiciaire.
En tant que chercheure en droit gambien et spécialiste des droits humains, je suis de près le processus de consolidation de la démocratie en Gambie depuis la dictature de Jammeh. Dans cet article, je présente cinq points clés pour comprendre cette réforme constitutionnelle et les raisons de son blocage.
Comprendre l’échec de la nouvelle Constitution gambienne : origines et obstacles
1. La recherche infructueuse d’une nouvelle base :
Une Constitution véritablement démocratique est une promesse centrale depuis le départ de l’ancien président Jammeh en 2017.
Un premier projet de 2020, fruit de vastes consultations nationales, n’a pas non plus été adopté. Des désaccords ont surgi au sujet de certaines dispositions, telles que la limitation rétroactive du nombre de mandats présidentiels. Mais le projet de loi de 2024 continue de se heurter à des obstacles politiques et sociaux.
La Constitution de 1997 présente une approche paradoxale de la gouvernance démocratique, en particulier dans ses mécanismes de transition politique et de modification constitutionnelle. Par exemple, elle impose des conditions strictes pour toute modification constitutionnelle : une majorité des trois quarts des voix de tous les membres de l’Assemblée nationale lors de deux lectures.
Elle exige également un référendum national, avec une participation électorale de 50 % et 75 % des voix.
Un seuil élevé pour les modifications constitutionnelles peut protéger contre des changements impulsifs. Mais cela confère également un pouvoir disproportionné à une super majorité parlementaire. Cela politise la réforme constitutionnelle, la rendant dépendante de l’allégeance des partis et des manœuvres stratégiques plutôt que d’un large consensus national.
Un tel dispositif peut freiner l’évolution naturelle de la gouvernance démocratique et limiter l’adaptation de la loi fondamentale à la volonté populaire.
2. Préoccupations non résolues concernant les pouvoirs présidentiels :
L’une des principales raisons pour lesquelles le projet de 2024 a suscité une opposition aussi forte concernait les pouvoirs présidentiels. Le projet de 2020 prévoyait une limitation à deux mandats avec une clause rétroactive (ce qui signifiait que le président Adama Barrow ne pourrait pas se présenter aux élections de 2026). Mais le projet de 2024 a supprimé ce décompte rétroactif.
Ce point est resté controversé, alimentant les craintes d’une éventuelle manipulation de la limitation du nombre de mandats. Plus généralement, le projet de loi proposait de supprimer le contrôle parlementaire pour toutes les nominations, y compris celles des ministres, de la Commission électorale indépendante et des institutions indépendantes.
Il visait également à accorder au président plus de pouvoir sur les membres de l’Assemblée nationale. Ces propositions ont été considérées comme une centralisation excessive du pouvoir et un recul par rapport à la Constitution de 1997.
3. Menaces non traitées à l’indépendance de la justice :
L’objectif déclaré du projet de loi en matière d’indépendance de la justice a été compromis par certaines dispositions. Le projet de 2024 a supprimé l’obligation pour l’Assemblée nationale de confirmer la nomination du président et des juges de la Cour suprême.
Il a également supprimé l’exigence d’être un citoyen gambien pour le président de la Cour suprême. Compte tenu de l’histoire récente de la Gambie, où des juges étrangers sur des contrats renouvelables attribués sur la base de critères politiques ont servi d’outil de répression et ont érodé la confiance du public. Ces changements ont donc suscité des inquiétudes quant à l’impartialité de la justice et à la disparition progressive de tout contre-pouvoir.
Le projet omettait aussi le chapitre V du projet de 2020 sur «Leadership et intégrité», cadre essentiel pour la conduite des responsables publics et la lutte contre la corruption.
4. Dispositions controversées sur les droits de l’homme et les libertés civiles :
Si le projet de 2024 visait globalement à moderniser les droits fondamentaux et à introduire des protections socio-économiques supplémentaires, il contenait également des restrictions spécifiques que les défenseurs des droits humains ont critiquées. Il s’agissait notamment de l’allongement de la durée de la garde à vue de 48 à 72 heures et de restrictions perçues comme portant atteinte au droit à l’éducation, au droit de pétition contre des fonctionnaires et à la liberté de réunion.
Les dispositions relatives à la citoyenneté par mariage (doublement de la période d’attente pour les conjoints étrangers souhaitant obtenir la citoyenneté) et à la limitation de la propriété et de l’exploitation des médias laissées aux seuls citoyens gambiens ont suscité des débats sur l’inclusivité et la liberté des médias.
Ces clauses ont probablement contribué à l’insuffisance des votes pour l’adoption du projet de loi.
5. Lassitude du public face à l’échec du projet de loi :
L’échec du projet de loi constitutionnelle de 2024 en deuxième lecture reflète un débat public complexe et polarisé. Alors que le gouvernement défendait le projet de loi comme essentiel à la stabilité et à une république moderne, le principal parti d’opposition, le Parti démocratique uni, s’y est opposé.
De nombreuses organisations de la société civile ont exprimé leurs préoccupations concernant l’affaiblissement des garanties démocratiques et l’extension des pouvoirs présidentiels. En fin de compte, l’absence perçue d’une véritable participation publique a empêché son adoption.
La voie à suivre
Cet échec montre une division au sein de la population. Une partie de la population, lassée par ce processus de réforme constitutionnelle long et complexe, souhaite avant tout la stabilité. D’autres souhaitent continuer à œuvrer pour une constitution véritablement transformatrice.
Cette division est aggravée par une désillusion généralisée due aux difficultés économiques et à la lenteur des progrès réalisés dans le cadre des différentes réformes depuis le début de la transition post-dictature.
L’échec du projet de loi de 2024 laisse la Gambie dans un état d’incertitude quant à son cadre juridique fondamental.
Comme je l’ai déjà souligné ailleurs, il est temps que tous s’engagent dans un processus de réforme inclusif.
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– ref. La nouvelle Constitution gambienne est à nouveau au point mort : 5 raisons qui expliquent cette situation – https://theconversation.com/la-nouvelle-constitution-gambienne-est-a-nouveau-au-point-mort-5-raisons-qui-expliquent-cette-situation-263947
