Femmes et finance : déconstruire les stéréotypes pour faire progresser l’égalité

Source: The Conversation – in French – By Gunther Capelle-Blancard, Professeur d’économie (Centre d’Economie de la Sorbonne et Paris School of Business), Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Le secteur de la finance s’est largement féminisé. Mais, à mesure que l’on monte dans la hiérarchie, les hommes continuent d’être majoritaires. Ces inégalités prennent naissance dans des préjugés – parfois dès le foyer. Est-il possible de les combattre efficacement ? Comment ?


Longtemps, la finance a été considérée comme un bastion masculin. Et si les temps changent, les représentations peinent à évoluer. Golden boys, traders arrogants, dirigeants technocrates : les figures dominantes de l’imaginaire financier restent quasi exclusivement masculines. Or, dans la réalité, la majorité des salariés du secteur bancaire sont… des femmes ! Mais cette majorité est trompeuse. À mesure que l’on grimpe dans la hiérarchie ou que les postes deviennent plus rémunérateurs et stratégiques, leur part décroît nettement. Aucune femme, à ce jour, n’a dirigé de grande banque française.

Dans un contexte où des voix conservatrices s’élèvent, notamment aux États-Unis, contre les politiques de diversité sur fond de croisade antiwokisme, il importe de continuer à documenter, interroger et à comprendre les mécanismes comportementaux, culturels et institutionnels complexes qui façonnent les trajectoires socioéconomiques et, partant, les inégalités de genre.

Des différences souvent mal comprises

Les différences d’attitudes, de préférences et de valeurs entre les femmes et les hommes sont largement exagérées. Il serait temps d’en finir avec cette fable selon laquelle les hommes viendraient de Mars et les femmes de Vénus. Qu’il s’agisse de leur rapport à l’argent, de leur goût pour le risque et la compétition ou de leur volonté de pouvoir, les différences entre hommes et femmes sont souvent faibles, variables et fortement contextuelles. Et surtout, elles sont socialement construites.

Ces différences sont amplifiées par la prégnance de stéréotypes qui finissent par être intégrés, tant par les femmes que par les hommes. Il en résulte des inégalités persistantes au détriment des femmes en matière d’épargne, d’accès aux crédits et de participation sur les marchés boursiers. Les femmes pâtissent aussi lourdement des préjugés dans leur carrière et sont peu nombreuses à occuper les postes les plus prestigieux et les plus rémunérateurs. Et lorsque les femmes finissent par briser ce « plafond de verre », c’est souvent en adoptant des « codes réputés masculins » (en matière de prise de risque, par exemple) – ce qui remet d’ailleurs en cause certains récits sans doute trop simplistes autour des effets vertueux d’une féminisation des instances financières.




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Des stéréotypes qui viennent du foyer

Ces différences se nourrissent des préjugés qui prennent naissance dans les foyers. Ainsi, pendant longtemps, c’est le mari qui s’occupait de gérer le budget du ménage. Ce n’est plus le cas aujourd’hui : les enquêtes montrent au contraire que ce rôle est désormais dévolu majoritairement aux épouses. On en sait toutefois peu sur la gestion de l’argent au sein des couples.

À partir d’une base de données issue d’une banque française regroupant plus de 7 000 couples, on peut analyser la manière dont chacun des partenaires s’auto-évalue en matière de connaissances financières. Fait marquant, un biais de genre est observé dans la perception de ses propres compétences financières puisque la recherche montre que les femmes se sous-estiment plus souvent que les hommes. Pourtant, lorsque les conjoints sont présents ensemble au moment de l’évaluation, l’écart tend à se réduire de 18,7 %.

Ce phénomène suggère que la dynamique du couple peut atténuer ou renforcer les biais de genre. Et plus les couples sont engagés financièrement (épargne, investissement), plus l’écart de confiance tend à s’accentuer au détriment des femmes. Ces écarts ne sont pas anodins : ils conditionnent les prises de décision et les arbitrages patrimoniaux, et il peuvent renforcer les déséquilibres au sein du couple.

Une loi pour quels résultats ?

La finance, ce n’est pas que la gestion des comptes et du budget au sein des ménages. C’est aussi (et surtout) un secteur économique structurant, où les postes les plus stratégiques sont encore largement occupés par des hommes.

En France, la loi Copé-Zimmermann (2011) a imposé un quota de femmes dans les conseils d’administration, dans et hors du secteur financier, suivie plus récemment par la loi Rixain (2021) sur les comités exécutifs. Ces dispositifs ont eu des effets réels. Les conseils d’administration sont, à l’heure actuelle, à quasi-parité en matière de genre et la France est le leader en la matière. Il apparaît, en outre, aujourd’hui, que la loi de 2011 a eu un effet sur la performance extrafinancière des entreprises, qui s’expliquerait par la montée en puissance de femmes ayant eu des parcours professionnels souvent en prise avec les enjeux environnementaux et sociaux.

Si les quotas garantissent donc en général une quasi-parité dans les conseils d’administration (en termes de sièges), ils n’épuisent cependant pas la question des inégalités de genre à la tête des grandes entreprises. En particulier, la hiérarchie au sein même des conseils (présidences, comités stratégiques, etc.) reste très genrée et reproduit les stéréotypes conventionnels, les femmes accédant moins souvent aux fonctions les plus influentes.

Interroger les règles du jeu

Finalement, les inégalités observées ne traduisent pas des différences innées de compétences ou d’appétence pour la finance, mais bien des différences de socialisation, d’éducation et, consécutivement, de trajectoires. Les travaux issus de la recherche expérimentale et des enquêtes institutionnelles convergent : les écarts existent, mais ils sont amplifiés par les structures et les normes sociales. En d’autres termes, il ne suffit pas d’ouvrir les portes de la finance aux femmes. Il faut aussi interroger les règles du jeu, les modèles dominants, et les représentations qui pèsent sur les parcours.

Ainsi, et par exemple, il apparaît clairement aujourd’hui que les quotas à la tête des entreprises, pour importants qu’ils soient, ne suffiront pas à résorber les inégalités de genre aux niveaux inférieurs, à tous niveaux de qualification : le rôle et la prégnance des stéréotypes indiquent que la clé est dans une dynamique bottom up (plus que top down), conduisant les femmes à se projeter pleinement dans l’univers de la finance et des postes à responsabilités, et les hommes à se départir de leurs croyances en la matière. Bref, c’est à la base qu’il faut maintenant agir : dans les écoles, dans les familles, dans les institutions.


Les auteurs de cet article ont supervisé le numéro de la Revue d’économie financière d’avril 2025, « Femmes et finance ».

The Conversation

Antoine Rebérioux a reçu des financements de l’Agence Nationale de la Recherche (ANR).

Gunther Capelle-Blancard et Marie-Hélène Broihanne ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.

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