Source: The Conversation – in French – By Michel Ruimy, Professeur affilié, ESCP Business School
La figure du dirigeant d’entreprise est parfois louée, d’autres fois décriée. Mais que serait un « bon patron » ou une « bonne patronne » ? Cela peut-il vraiment exister dans une économie financiarisée ?
La figure du « bon patron » (ou de la « bonne patronne ») est au cœur des dynamiques économiques, sociales et culturelles des entreprises. Si le terme reste largement subjectif, la question est plus actuelle que jamais. Derrière cette notion se cachent des conceptions parfois opposées, voire conflictuelles.
Il ne s’agit plus seulement d’un chef d’entreprise efficace, mais d’un leader complet, qui doit avoir des qualités de gouvernance, de performance et d’éthique, évaluées selon différents prismes, notamment économique, financier, social et sociologique.
Efficacité économique
D’un point de vue économique, un « bon patron » est celui qui assure la pérennité et la croissance de l’entreprise. Il est d’abord celui qui sait où va l’entreprise, et comment s’y rendre. Il ne se contente pas d’exécuter un plan à court terme, mais il projette l’entreprise dans l’avenir, en combinant vision stratégique, innovation et résilience ou adaptation au marché.
Dès le début du XXe siècle, Joseph Schumpeter insistait sur le rôle de l’entrepreneur comme agent du changement, capable de « destruction créatrice » pour faire émerger de nouvelles formes d’organisation plus efficaces. Un « bon patron » sait anticiper les mutations économiques et repositionner son entreprise.
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À cet égard, Emmanuel Faber, ex-PDG de Danone, a tenté d’incarner une « gouvernance durable », conciliant croissance et engagement social. Sous son mandat, Danone a été l’une des premières multinationales à adopter le statut d’« entreprise à mission » (loi Pacte.), 2019). Louable sur le papier, son approche n’a pourtant pas résisté aux pressions des actionnaires. Ironie : il a été évincé au nom… de la rentabilité.
Peut-on vraiment être un « bon patron socialement responsable » dans une économie capitaliste qui reste, fondamentalement, obsédée par le profit immédiat ?
Contrainte financière
Être un « bon patron », c’est aussi faire de bons comptes.
Sur le plan financier, le « bon patron » devrait être, à la fois, un gestionnaire rigoureux et un stratège à long terme. Il maîtrise les équilibres budgétaires, la rentabilité des capitaux investis et la création de valeur pour les actionnaires… tout en refusant une logique de court terme. Le modèle de la « création de valeur partagée », défendu par Michael Porter, s’éloigne du seul rendement actionnarial pour inclure les parties prenantes. Un « bon patron » ne devrait pas sacrifier l’investissement à long terme sur l’autel des résultats trimestriels.
Ainsi, Satya Nadella, PDG de Microsoft depuis 2014, a opéré une transformation radicale de l’entreprise en investissant très tôt et massivement dans le cloud (Azure), en dépit de fortes dépenses initiales. Pari risqué, mais payant. Cette stratégie a restauré la croissance et la valorisation de l’entreprise à long terme.
En France, Carlos Tavares, patron de Stellantis (ex-PSA), a redressé financièrement le groupe avec une discipline de gestion extrême, tout en misant sur l’électrification, devenant l’un des leaders du secteur automobile européen. Pour autant, faut-il admirer des stratégies fondées sur des plans sociaux massifs, comme ceux qu’a orchestrés Stellantis – parfois à peine dissimulés derrière l’innovation technologique ?
Un rôle social ?
Sur le plan social, le « bon patron » est supposé être un leader humain, attentif et équitable, capable de motiver ses équipes (Maslow, Herzberg, de garantir un climat de travail sain et de donner du sens au travail. La crise de la Covid-19 a renforcé cette exigence de proximité et d’écoute. Le « bon patron » est désormais aussi un « leader serviteur », plaçant les collaborateurs au cœur de sa démarche. Il doit ainsi conjuguer exigence de performance et qualité de vie au travail.
À ce titre, Jean-Dominique Senard, ex-patron de Michelin puis président de Renault, a été salué pour son approche sociale du management, avec un dialogue social fort, des investissements dans la formation et l’intéressement des salariés aux résultats. En revanche, des figures comme Elon Musk, bien que visionnaires, sont critiquées pour leur management parfois brutal (licenciements massifs, exigences extrêmes, ruptures sociales), soulevant la question : Peut-on être un « bon patron » sans être un bon manager humain ?
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Entre charisme et capital symbolique
Au-delà de la performance, le « bon patron » est aussi un symbole. Il tire sa légitimité de son autorité symbolique (Max Weber), fondée sur sa capacité à incarner des valeurs, à mobiliser une communauté autour d’un projet collectif. Il a la compétence (capital culturel), la richesse (capital économique) et les réseaux (capital social), comme l’analysent Max Weber ou Pierre Bourdieu
Leader charismatique quand il inspire confiance et sens, le « bon patron » agit dans un espace public où sa posture est scrutée. Il est à l’aise dans l’arène médiatique et politique. Michel Crozier, sociologue des organisations, montre que les patrons efficaces savent naviguer dans des zones d’incertitude et créer des alliances internes. Loin du mythe du patron omniscient, un « bon patron » est souvent un fin négociateur politique.
Être un « bon patron » en 2025, c’est réussir un équilibre multidimensionnel combinant vision économique, rigueur financière, responsabilité sociale et légitimité symbolique. Il n’est ni un simple gestionnaire ni un gourou. C’est un stratège éthique, capable de créer de la valeur pour tous, sur le long terme.
Dans un monde en mutation (transition écologique, intelligence artificielle, pressions ESG), le « bon patron » de demain devra être probablement inclusif, résilient et engagé, autant soucieux des résultats que du sens donné à l’action collective. Mais cette image idéale se heurte à une réalité bien plus conflictuelle. Le patron modèle, capable de plaire aux actionnaires, aux salariés, aux citoyens et à la planète… existe-t-il vraiment ? ou est-il un mythe rassurant dans un capitalisme en quête de légitimation ?
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Michel Ruimy ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
– ref. Quelles qualités devrait posséder un bon patron ? – https://theconversation.com/quelles-qualites-devrait-posseder-un-bon-patron-260966
