Où sont passés les phoques à capuchon, sur la banquise qui fond ?

Source: The Conversation – France (in French) – By Tiphaine Jeanniard-du-Dot, Chercheuse en biologie et écologie marine, La Rochelle Université

Le phoque à capuchon doit son nom à la capacité qu’ont les mâles de remplir d’air une poche qu’ils ont sur le sommet de la tête et de gonfler une de leurs cloisons nasales, à la fois pour impressionner les autres mâles et pour séduire les femelles. Tiphaine Jeanniard-du-Dot , Fourni par l’auteur

Que se passe-t-il quand l’espèce animale que l’on étudie commence à disparaître ? Certains biologistes marins qui étudient le phoque à capuchon doivent aujourd’hui se poser la question. Car, avec la banquise qui fond et les changements brutaux qui perturbent l’Arctique, cette espèce hors du commun est devenue de plus en plus difficile à surveiller.


C’est un mystère qui reste encore sans réponse. Où sont passés les phoques à capuchon ? En 2023, alors qu’une équipe de scientifiques qui étudie cette espèce hors du commun survolait la banquise flottante canadienne, ils n’en ont vu aucun. Depuis 1992, année où le suivi de leur population a commencé, cette absence était une première. Depuis, les phoques ne sont pas revenus. Nous ne sommes, nous non plus, pas retournés survoler cette zone l’année suivante, car, en 2024, la banquise elle-même avait virtuellement disparu. Et s’il n’y a plus de banquise, il n’y aura pas de phoque à capuchon, une espèce qui dépend de cet écosystème, pour vivre, se reproduire, se nourrir.

Pour la biologiste marine que je suis, être témoin de la disparition d’une population de phoque emblématique, que j’ai suivie pendant plusieurs années, est une catastrophe écologique qui rend le réchauffement climatique très concret, même s’il se passe loin de nos yeux.

C’est également édifiant de voir comment des changements environnementaux brusques peuvent impacter une espèce qui a, pourtant, su s’adapter et prospérer jusque-là dans un contexte des plus hostiles.

Le phoque à capuchon est ainsi présent dans une seule région du monde : la banquise flottante en Arctique, entre le Canada et le Svalbard, un archipel au nord de la Norvège. C’est de ce fait un animal peu connu, mais pourtant tout à fait fascinant. Il doit son nom à une particularité notable des mâles. Ces derniers ont la capacité de remplir d’air une poche qu’ils ont sur le haut de leur tête, en plus de gonfler une de leurs cloisons nasales en un ballon rouge protubérant, pour à la fois impressionner les autres mâles et séduire les femelles.

Un phoque à capuchon mâle sur la banquise canadienne
Un phoque à capuchon mâle sur la banquise canadienne.
Tiphaine Jeanniard-du-Dot, Fourni par l’auteur

Ces dernières ne sont pas en reste. Les phoques à capuchon ont la lactation la plus courte connue chez les mammifères, puisque les mères allaitent leur petit sur la banquise pendant trois à quatre jours seulement. Celui-ci prend environ sept kilogrammes par jour pour doubler son poids de naissance, avant d’être sevré et de devenir autonome.

Phoque à capuchon juvénile
Phoque à capuchon juvénile.
Tiphaine Jeanniard-du-Dot, Fourni par l’auteur

S’il se sépare alors de sa mère, le jeune phoque à capuchon ne quittera, par contre, jamais vraiment la banquise. Il y retournera toute sa vie pour sa période de mue, qui advient une fois par an, pour se reproduire à son tour, pour se reposer et pour accéder à des zones de pêche. Mais cette banquise arctique se réchauffe quatre fois plus vite que le reste du globe, ce qui entraîne des changements physico-chimiques dans les océans.

La fonte des glaces due à l’augmentation des températures en est le plus évident, mais on observe également une diminution de la salinité de l’eau de mer, un changement des courants, un approfondissement de la couche de mélange, la partie superficielle des océans très productive en nutriments. Tous ces changements impactent les écosystèmes marins, du phytoplancton jusqu’aux prédateurs tout en haut de la chaîne alimentaire, comme les phoques à capuchon. Cette place, ainsi que leurs grandes capacités de plongée à des profondeurs allant jusqu’à 1 000 mètres et leurs longues migrations dans les eaux arctiques, en font de très bons bio-indicateurs des changements climatiques et de la santé de leur habitat.

Près de trente ans de données sur une espèce remarquable

Mais toutes ces caractéristiques les rendent aussi particulièrement vulnérables aux changements environnementaux.

Dans une recherche récemment publiée, nous avons étudié avec mon équipe deux populations distinctes – l’une dans l’Atlantique nord-ouest canadien, l’autre en mer du Groenland – pour mieux comprendre les impacts des changements de conditions écologiques locales sur cette espèce clé particulièrement sensible à la perte de la banquise. Le but était d’identifier les pressions spécifiques que chaque population subit dans un océan en mutation rapide et les conséquences sur leur distribution ou sur leur capacité à se nourrir.

En combinant le suivi d’animaux en mer grâce à des balises enregistreuses avec des analyses biochimiques, nous avons pu retracer leurs déplacements et comportements de plongée, analyser leur régime alimentaire et évaluer leur efficacité à trouver de la nourriture, et cela, sur plusieurs décennies. Cette incroyable série de données temporelle, réunie grâce à une collaboration entre la France, le Canada, la Norvège et le Groenland, couvre une période de presque trente ans – qui comprend donc la période de réchauffement la plus rapide et intense en Arctique.

In fine, ce que l’on cherche à savoir, c’est ce qu’il adviendra de cette espèce hors du commun si nous continuons sur la même trajectoire climatique.

Pour s’adapter au réchauffement du climat, les populations doivent changer leurs comportements

Les résultats de notre étude sont étonnants : les phoques à capuchon montrent des réactions contrastées face aux bouleversements climatiques. Si certaines populations canadiennes ont donc, ces dernières années, perdu leur lieu de reproduction avec la fonte de la banquise, l’ensemble des populations de phoques étudiées peuvent, elles, adopter des stratégies assez variées.

Au sein de la population de l’Atlantique nord-ouest, les individus se reproduisant dans le golfe du Saint-Laurent, au Canada, privilégient les eaux froides et côtières pour trouver leur nourriture et ont vu leurs zones d’alimentation et de mue se déplacer vers le nord, suivant le recul des eaux froides et la migration de leurs proies.

De plus, leurs plongées pour se nourrir en profondeur sont plus longues que par le passé, ce qui indique qu’ils ont maintenant plus de difficultés à trouver et à attraper leurs proies. Proies qui sont également différentes que dans les années 1990, probablement à cause d’un bouleversement de l’écosystème et du type de proies disponibles dans leur habitat, de plus en plus similaires à celles de l’Atlantique. On parle alors d’« atlantification » de ces zones arctiques.

Les projections climatiques indiquent, par ailleurs, une réduction de l’habitat favorable aux phoques à capuchon de l’Atlantique nord-ouest dans les décennies à venir, ce qui pourrait évidemment, à plus ou moins long terme, entraîner une « crise du logement » et une compétition féroce si toutes les espèces de l’Arctique sont réduites à migrer vers un habitat nordique de plus en plus réduit. Cette réduction de l’habitat favorable semble particulièrement intense pour les phoques du golfe du Saint-Laurent.

Le devenir d’une des populations que nous surveillions jusqu’alors et que nous n’avons plus revue depuis 2023 reste encore mystérieux. Où sont allées les femelles pour mettre bas et fournir un habitat stable à leurs petits ? Les colonies reproductrices ont-elles fusionné vers le nord ? Que se passera-t-il d’ailleurs pour cette espèce quand l’Arctique connaîtra des étés sans glace à l’aune de 2040-2050 ? Les grands prédateurs comme les ours polaires vont-ils s’ajouter aux menaces qui pèsent sur ces animaux, s’ils se rapprochent des côtes pour pallier le manque de banquise ?

Ces questions restent, pour l’instant, en suspens pour l’incroyable phoque à capuchon de l’Atlantique Nord-Ouest, tout comme celle de son avenir dans ces eaux froides arctiques en pleine mutation.

Les phoques à capuchon ont la lactation la plus courte connue chez les mammifères, puisque les mères allaitent leur petit sur la banquise pendant trois à quatre jours seulement. Celui-ci prend environ sept kilogrammes par jour pour doubler son poids de naissance avant d’être sevré et de devenir autonome.
Tiphaine Jeanniard-du-Dot, Fourni par l’auteur

En plus du climat, les populations subissent d’autres pressions

En revanche, la population des phoques à capuchon de la mer du Groenland paraît, elle, moins inféodée aux eaux très froides pour se nourrir. Contre toute attente, ces phoques ont d’ailleurs déplacé leurs zones d’alimentation vers l’est, s’éloignant du Groenland pour se rapprocher des côtes norvégiennes. Les projections montrent aussi que ces zones auront tendance à s’élargir et à se déplacer encore plus vers l’est – et non, à se rétrécir et à se déplacer vers le nord, comme les phoques de l’Atlantique Nord-Ouest.

Il ne faudrait cependant pas s’en réjouir trop vite. Car l’agrandissement de l’habitat favorable de ces phoques à capuchon de la mer du Groenland ne signifie pas forcément que l’environnement global est satisfaisant. Cette population a, en effet, connu un effondrement dramatique d’environ 85 % de son effectif depuis les années 1950, sans signe de rétablissement. Ce déclin suggère que d’autres facteurs que l’aire d’alimentation favorable pourraient contrebalancer les bénéfices d’un habitat théorique plus vaste : par exemple, les changements dans les écosystèmes ou dans les chaînes alimentaires, l’augmentation de la prédation, l’éloignement entre les zones de reproduction et les zones d’alimentation, qui pourrait obliger les phoques à parcourir de plus grandes distances pour se nourrir, ou, encore, les effets durables de la chasse commerciale aujourd’hui interdite.

Un avenir incertain

Tous ces constats montrent que les phoques à capuchon ne réagissent pas de manière uniforme aux pressions environnementales. Chaque population fait face à des défis spécifiques, liés à ses spécificités comportementales et adaptatives, à sa localisation, à l’évolution de ses proies et à l’histoire de ses interactions avec les humains. Les variabilités individuelles ou populationnelles peuvent conférer à l’espèce dans son ensemble une capacité d’adaptation plus grande aux défis environnementaux auxquels elle fait face.

En revanche, si des espaces clés de leur cycle de vie disparaissent, comme c’est le cas pour la population du golfe du Saint-Laurent dont les sites de reproduction sur la glace ont récemment disparu, on peut s’attendre à des extinctions locales plus rapides que d’autres. Si l’avenir de l’incroyable phoque à capuchon en Arctique reste incertain, son cas souligne en revanche l’importance d’adopter des stratégies de conservation différenciées, adaptées aux réalités écologiques locales.

The Conversation

J’ai été employée par le Ministère de Pêches et Océans Canada, ou j’ai démarré ma recherche sur les phoques à capuchon.

ref. Où sont passés les phoques à capuchon, sur la banquise qui fond ? – https://theconversation.com/ou-sont-passes-les-phoques-a-capuchon-sur-la-banquise-qui-fond-259920