Source: The Conversation – in French – By Roberta Soares, Assistant Professor, Faculty of Education, L’Université d’Ottawa/University of Ottawa
On peut s’étonner que le ministère de l’Éducation de l’Ontario continue d’utiliser le terme « anomalie » pour désigner des élèves dans le cadre de l’éducation spécialisée, malgré les critiques à l’égard de ce terme considéré capacitiste. Employé 87 fois dans un guide officiel encore en circulation, et désormais intégré à la Loi sur l’éducation, ce terme peut véhiculer de la stigmatisation.
Le document en question, « Éducation de l’enfance en difficulté en Ontario de la maternelle et du jardin d’enfants à la 12ᵉ année – Guide de politiques et de ressources » (2017), ne comporte d’ailleurs aucune définition explicite du terme « anomalie ». La mention « ébauche » figure sur la page de couverture, mais une note publiée sur leur site Web indique que, bien que le document n’ait pas été mis à jour, l’expression « enfance en difficulté » a été remplacée par « éducation spécialisée » depuis le début de 2025.
Professeure en éducation à l’Université d’Ottawa, je donne des cours aux futures personnes enseignantes, notamment concernant les questions portant sur l’éducation inclusive et le soutien à l’apprentissage. J’utilise la sociologie de l’éducation dans une perspective critique pour comprendre des enjeux d’équité, de diversité, d’inclusion, de justice sociale et de décolonisation liées aux différentes catégories sociales.
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Des élèves atteints d’« anomalies » ?
Le document en question reprend la définition de l’élève « en difficulté » tirée de la Loi sur l’éducation, où il est décrit comme étant « atteint » d’« anomalies ». Plus précisément, il rappelle que cette loi, toujours en vigueur (première version en 1990, dernière mise à jour en 2025), identifie cinq catégories d’« anomalies » pour les élèves dits « en difficulté » : comportementales, communicationnelles, intellectuelles, physiques et multiples.
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Selon ce document, il s’agit d’un outil d’« identification » des élèves « ayant des besoins particuliers » concernant « l’enfance en difficulté ». Même si aucune définition générale du terme « anomalie » n’y est proposée, dans les définitions des catégories d’« anomalies », on retrouve des termes tels que « difficulté », « trouble » et « handicap », ainsi que certains termes, tels que « grave », « degré » ou « manque », pour souligner leur intensité.
En 2018, dans sa Politique sur l’éducation accessible aux élèves handicapés, la Commission ontarienne des droits de la personne a mis en garde contre l’usage du terme « anomalie » pour désigner les situations de handicap, estimant qu’il s’agit d’une perspective capacitiste. Pourtant, le terme « anomalie » continue à être utilisé dans les documents gouvernementaux, notamment dans les règlements associés à la Loi sur l’éducation de l’Ontario, comme le Règlement 181/98, où il sert à catégoriser des élèves dans le contexte de l’éducation spécialisée.
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Cet enjeu est important parce que les documents gouvernementaux ont une fonction d’orientation, voire normative. Ils servent de lignes directrices pour les institutions dans l’élaboration de leurs politiques et de leurs pratiques.
Pourquoi le terme « anomalie » peut-il être considéré comme capacitiste ?
Le terme « anomalie » peut être considéré capacitiste pour différentes raisons. Voici quatre raisons pouvant être centrales :
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Renforcement du modèle médical : le terme « anomalie » provient du discours médical et diagnostique. Il est utilisé pour signaler des « défauts » ou des « irrégularités ». Il implique une déviation par rapport à la norme, renforçant une dichotomie entre « normal » et « anormal ».
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Pathologisation de la différence : les systèmes éducatifs contribuent à pathologiser la différence. Ces individus ainsi qualifiés sont vus comme ayant des « problèmes » à corriger ou à gérer, plutôt que comme ayant des droits et des manières légitimes d’être et d’apprendre.
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Contradiction avec le modèle social du handicap : le modèle social met l’accent sur le fait que ce sont les barrières systémiques qui produisent le handicap. Ainsi, l’emploi du terme « anomalie » localise le « problème » dans l’individu. Il s’agit d’une pensée déficitaire des élèves, autrement dit, d’une tendance à culpabiliser les élèves de leurs échecs.
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Stigmatisation dans le langage : l’utilisation de ce langage courant peut avoir des connotations stigmatisantes, puisque le terme peut être associé à un mauvais phénomène. Par exemple, le dictionnaire définit l’« anomalie » comme étant un « écart » par rapport à la norme, une « exception à la règle », une « irrégularité », une « déviation » du « normal ». Bref, c’est l’« anormal ». C’est pourquoi les termes ici qui sont naturalisés (ex. « anomalie ») sont placés entre guillemets.
Alors, que peut-on faire à ce sujet ?
Je fais une invitation.
À qui ? À l’ensemble des acteurs et actrices sociaux impliqués à divers niveaux : les élèves et leurs pairs, les familles, les organismes communautaires, les universitaires, les écoles, les conseils scolaires, les gouvernements provincial et fédéral et, plus largement, la société dans son ensemble.
À faire quoi ? À adopter une posture non capacitiste à l’égard de la vie des individus, et en particulier ici, des élèves.
Comment ? Par une réflexion critique sur la reproduction des systèmes oppressifs tels que le colonialisme, le racisme, etc., surtout en tenant compte des recherches qui mettent en évidence la surreprésentation des élèves issus de groupes minorisés (ex. élèves noirs, élèves immigrants, etc.) dans l’éducation spécialisée.
Je recommande notamment la mise en place de formations à ce sujet pour les divers groupes impliqués, ainsi que la révision des documents officiels, en reconnaissant que le langage façonne les pratiques et les manières de penser et d’être des individus.
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Roberta Soares ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
– ref. Malgré les critiques, on utilise encore le terme « anomalies » dans le contexte éducatif – https://theconversation.com/malgre-les-critiques-on-utilise-encore-le-terme-anomalies-dans-le-contexte-educatif-260629
