Source: The Conversation – in French – By Pierre-Christophe Pantz, Enseignant-chercheur à l’Université de la Nouvelle-Calédonie (UNC), Université de Nouvelle Calédonie
Le FLNKS, le principal regroupement de mouvements indépendantistes, a officiellement désavoué le 13 août dernier l’accord de Bougival, qui devait renouer le dialogue avec l’État et permettre à la Nouvelle-Calédonie d’accéder à davantage d’autonomie. Qu’adviendra-t-il de ce texte, toujours soutenu par une partie du camp indépendantiste ?
Quelques semaines à peine après la ratification inespérée d’un accord politique entre l’État et dix-huit représentants politiques néocalédoniens – indépendantistes et non-indépendantistes – les voix dissonantes s’amplifient et contestent parfois avec virulence un compromis politique qu’elles considèrent comme « mort-né ».
Dans un premier temps, l’Union Calédonienne (UC), l’un des principaux partis indépendantistes de l’archipel, a vivement réagi en reniant la signature de ses trois représentants. Logiquement, le Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS) – coalition de 7 groupes de pression dont l’UC est le principal membre – a suivi, en actant le 13 août son rejet de ce projet d’accord en raison de son « incompatibilité avec les fondements et acquis de sa lutte ». Il réclame par ailleurs des élections provinciales en novembre 2025. Face à cette levée de boucliers, l’accord de Bougival, qualifié d’« historique » par le ministre des Outre-mer Manuel Valls, a-t-il encore des chances d’aboutir ?
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Le rejet de l’UC et du FLNKS condamne-t-il l’accord ?
Dans ce contexte tendu, certains signataires – notamment ceux du FLNKS – se retrouvent désormais contestés par leur propre parti politique et leurs militants. Quelques jours après les signatures et la publication in extenso de l’accord, l’Union Calédonienne et le FLNKS avaient rapidement précisé que la délégation de signataires ne disposait pas du mandat politique pour signer un tel document au nom de leur parti. Sous la pression des militants, ce sont essentiellement de nouveaux responsables politiques qui ont contribué à l’ampleur de la contestation contre l’accord, puis à sa remise en cause. Rappelons tout de même que les trois signataires de l’UC occupent des rôles fondamentaux dans la gouvernance du parti, ce qui les rendait a priori légitimes à le représenter.
Après le rejet formel de l’Union Calédonienne (UC), principale composante du Front, l’organisation a précisé lors de son comité directeur que « le mandat des signataires et des équipes tombe de fait » : une nouvelle équipe devrait donc prendre le relais. Dans la continuité, le congrès extraordinaire du FLNKS du 9 août dernier a entériné cette position. L’organisation annonce désormais une mobilisation active contre le projet : « Nous utiliserons toutes nos forces et toutes les formes de lutte à notre disposition pour que ce texte n’aille pas au vote », affirme ainsi le président du FLNKS, Christian Tein.
Si le FLNKS considère désormais comme acté la mort de l’Accord de Bougival, il se positionne néanmoins pour la poursuite du dialogue, à condition toutefois de n’aborder que « les modalités d’accession à la pleine souveraineté » avec « le colonisateur ».
Si un consensus global autour de l’accord de Bougival semble désormais s’éloigner, qu’en est-il de la viabilité de cet accord, au regard notamment des 5 autres délégations de signataires – l’Union Nationale pour l’Indépendance (UNI), l’Éveil Océanien (EO) et les partis non indépendantistes – qui continuent de défendre et de soutenir ce compromis politique ? Au regard du paysage politique actuel, dont le Congrès de la Nouvelle-Calédonie est l’émanation représentative, et en considérant l’hypothèse d’une unanimité au sein des groupes, ceux en faveur de l’accord de Bougival représenteraient 40 membres sur 54 (12 membres de l’UNI, 3 pour l’EO et 25 pour les non-indépendantistes), contre 13 élus du groupe UC-FLNKS et nationalistes et 1 non-inscrit.
Si ce calcul théorique représente une majorité significative au Congrès de la Nouvelle-Calédonie, il ne tient pas compte d’une crise de légitimité qui frappe les élus territoriaux, dont le mandat de cinq ans a expiré en mai 2024. Il avait à l’époque été prolongé jusqu’en novembre 2025, en raison d’une situation politique particulièrement tendue résultant des émeutes en cours à l’époque.
Un rejet qui clarifie la fragmentation dans le camp indépendantiste
En parallèle du rejet de l’UC et du FLNKS, le soutien renouvelé de l’UNI (rassemblant les partis indépendantistes Palika et UPM – Union progressiste en Mélanésie) à l’accord de Bougival confirme la scission au sein du camp indépendantiste. En effet, durant les émeutes de 2024, l’unité du FLNKS avait déjà été fragilisée avec la mise en retrait des deux partis de l’UNI (Palika et UPM), qui faisaient auparavant partie du Front.
L’une des conséquences de cette fragilisation du Front indépendantiste a été une recomposition institutionnelle : alors que le FLNKS détenait auparavant les présidences des deux principales institutions du Territoire (le Gouvernement et le Congrès), la combinaison des divisions en son sein et de la prise de distance de l’Éveil Océanien, un parti non aligné détenant une position de pivot, a entraîné un recul politique et institutionnel des indépendantistes. Ils ont ainsi perdu successivement la présidence du congrès en août 2024 et celle du gouvernement en décembre 2024.
Au sein du camp indépendantiste, cette recomposition du paysage politique s’apparente à une guerre d’influence entre UC et UNI, notamment sur la question de la stratégie et de la méthode à adopter en vue d’obtenir l’indépendance. L’UNI privilégie ainsi la voie du compromis politique pour parvenir à une souveraineté partagée à moyen terme. L’UC actuelle, quant à elle, se montre plus intransigeante et défend un rapport de force visant une pleine souveraineté immédiate.
Le FLNKS dans sa configuration actuelle se retrouve désormais sous domination de l’UC, marquée depuis août 2024 par la présidence de Christian Tein. Ce dernier s’est d’abord démarqué comme leader de la Cellule de coordination des actions de terrain (CCAT), mise en place par l’UC le 18 novembre 2023 pour lutter contre le projet de dégel du corps électoral. Le FLNKS se revendiquant comme seul mouvement légitime de libération du peuple kanak, son retrait vaudrait donc retrait de ce peuple de l’accord politique, le rendant mécaniquement caduc. L’UNI de son côté assume désormais son soutien au « compromis politique » de Bougival, prévoyant un statut que le parti estime évolutif, et qui permettrait in fine à la Nouvelle-Calédonie d’accéder à une « souveraineté partagée avec la France ».
Cette division risque d’être accélérée par le rejet en bloc de l’accord de Bougival par le FLNKS, qui marginalise en interne une ligne plus consensuelle, incarnée par les trois signataires qui sont désormais désavoués par leur propre camp. Des sanctions disciplinaires sont désormais réclamées par une partie des militants, contribuant à rendre intenable une ligne favorable au compromis politique.
L’État parviendra-t-il à poursuivre le processus tout en maintenant le dialogue ?
Face au rejet catégorique exprimé par une partie du camp indépendantiste, la réaction de l’État, notamment par la voix du ministre des Outre-mer Manuel Valls, n’a pas tardée. Il a insisté sur le fait que l’accord représente un « compromis » et que son rejet risquerait de ramener le territoire au « chaos ». Il précise également qu’un « non-accord » aurait des conséquences sociales et économiques délétères, ce qui a pu être perçu par certains comme un chantage néocolonial.
Le ministre des Outre-mer a également réaffirmé sa disponibilité permanente au dialogue, annonçant se rendre en août une quatrième fois sur le territoire calédonien pour la mise en place d’un comité de rédaction chargé d’affiner les textes, de lever les ambiguïtés et de clarifier l’esprit de l’accord, sans toutefois en altérer l’équilibre. Toutes les forces politiques, y compris l’UC et le FLNKS, sont conviées à ce travail. Mais il y a peu de chances que ces deux organisations, en boycott actif du processus, y participent.
Malgré cette main tendue, Manuel Valls reste déterminé à tenir le calendrier prévisionnel de l’accord : report des élections provinciales à mai-juin 2026, adoption des réformes constitutionnelles et organiques à l’automne 2025, et surtout consultation populaire visant à adopter définitivement l’accord en février 2026.
Deux fragilités majeures pèsent sur ce processus : au plan national, l’instabilité politique et l’incertitude pour le gouvernement d’obtenir la majorité des 3/5e au Congrès, nécessaire à l’adoption finale de l’accord qui implique une révision constitutionnelle ; au plan local, la contestation de la légitimité des signataires, les divisions internes du camp indépendantiste et la menace d’une mobilisation active de l’UC-FLNKS qui compte fermement bloquer la consultation populaire.
Dans un contexte post-émeutes et marqué par de profondes fractures politiques, cette consultation populaire en forme de nouveau référendum interrogera la capacité des signataires à rallier une large majorité de Calédoniens, et conditionnera la viabilité durable de l’accord de Bougival.
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Pierre-Christophe Pantz ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
– ref. Nouvelle-Calédonie : les indépendantistes du FLNKS rejettent l’accord de Bougival. Et maintenant ? – https://theconversation.com/nouvelle-caledonie-les-independantistes-du-flnks-rejettent-laccord-de-bougival-et-maintenant-263130
