Source: The Conversation – in French – By Meaghan Furlano, PhD Student, Sociology, Western University
L’actrice Sydney Sweeney est une nouvelle fois au cœur d’une polémique. Après avoir fait parlé d’elle pour la vente de savons infusés avec l’eau de son bain ou pour la publication de photos où ses invités portent des casquettes rouges inspirées du mouvement MAGA, la star d’Euphoria fait cette fois la une pour son rôle dans une campagne publicitaire controversée menée par American Eagle Outfitters.
Si l’ensemble de la campagne a suscité un vif débat en ligne, une publicité en particulier a été la cible de critiques spécialement virulentes.
On y voit Sweeney allongée avec élégance sur une chaise longue, en train d’enfiler un jean American Eagle. D’une voix haletante, elle dit : « Les gènes sont transmis des parents à leurs enfants et déterminent souvent des traits tels que la couleur des cheveux, la personnalité et même la couleur des yeux. »
Alors que la caméra se déplace lentement et qu’elle tourne les yeux vers le spectateur, Sweeney conclut : « Mon jean est bleu. »
Des commentateurs et des utilisateurs des réseaux sociaux ont affirmé que cette campagne était un message codé destiné aux conservateurs, exprimant un soutien à peine voilé à la suprématie blanche et à l’eugénisme.
American Eagle a publié un communiqué défendant la publicité le 1er août, affirmant que « Sydney Sweeney Has Great Jeans » (Sydney Sweeney a de beaux jeans) faisait toujours référence aux jeans.
Marketing innocent ou message subliminal intentionnel ?
L’eugénisme est une idéologie discréditée enracinée dans la suprématie blanche et le racisme scientifique. Elle promeut la fausse croyance selon laquelle les groupes raciaux sont déterminés biologiquement et que certains groupes sont génétiquement supérieurs à d’autres, et devraient se reproduire de manière sélective afin de préserver leurs « bons gènes ».
Historiquement, l’objectif ultime de l’eugénisme a été d’éliminer les soi-disant « mauvais gènes » — souvent associés aux communautés non blanches, aux personnes handicapées, aux populations pauvres ou marginalisées — afin que les élites sociales puissent maintenir leur domination.
La publicité dans le domaine de la mode qui joue sur les thèmes de l’eugénisme a une longue histoire. Des commentateurs ont souligné les similitudes entre la publicité de Sweeney et la célèbre campagne Calvin Klein des années 1980 mettant en scène Brooke Shields, alors âgée de 15 ans, qui se roule dans ses sous-vêtements Calvin Klein tout en parlant de codes génétiques, d’évolution et de survie du plus apte, un langage évocateur de la pensée eugéniste.
La campagne American Eagle semble être un hommage direct à celle de Calvin Klein, mais la rhétorique eugéniste est-elle vraiment quelque chose que nous voulons voir employée dans le marketing ?
Le retour de la féminité « traditionnelle »
La campagne American Eagle est intitulée de manière provocante « Sydney Sweeney Has Great Jeans » (Sydney Sweeney a de beaux jeans), le mot « jeans » étant parfois remplacé par « gènes ». Il s’agit clairement d’une plaisanterie.
Mais elle n’est pas pour autant inoffensive. Si la campagne ne reflétait pas des tensions culturelles plus larges, ni le président américain Donald Trump ni le sénateur Ted Cruz n’auraient pris la peine de s’y intéresser.
« La gauche folle s’en prend aux belles femmes », a écrit Cruz dans un tweet à propos de la controverse. Un média de droite est allé plus loin, affirmant que la positivité corporelle menait « la blonde rieuse à la poitrine généreuse… au bord de l’extinction. »
En célébrant l’apparence conventionnellement attirante de Sweeney, American Eagle a réintroduit haut et fort la silhouette féminine « traditionnelle ». En ce sens, cette campagne symbolise un changement de tendance culturelle : fini la positivité corporelle, place à la « poitrine généreuse » et tout ce qu’elle implique.
Dans le contexte culturel actuel, saturé de messages conservateurs, il n’est guère surprenant de voir Sweeney, une jeune star hollywoodienne mince, blanche et sexualisée, vendre la qualité de ses « gènes » (pardon, de ses « jeans »).
De la montée en puissance des tradwife influencers et des SkinnyTokers à la performance féminine ritualisée des « morning shedders », la campagne s’inscrit clairement dans un renouveau plus large des idéaux féminins régressifs, enrobés d’une esthétique policée et édulcorée.
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Exorciser l’amour-propre de l’agenda des entreprises
En tant que chercheuse féministe spécialisée dans les médias et intéressée par l’intersection entre la culture pop et l’extrême droite, mes recherches actuelles explorent la montée de l’antiféminisme et de la politique de droite. Nous ne sommes plus à l’ère du féminisme populaire, où les entreprises s’appropriaient avec empressement la rhétorique féministe pour vendre leurs produits et services.
À la place, les marques reviennent à des images traditionnelles : des femmes minces et blanches stylisées pour le regard masculin, un terme qui désigne l’objectivation et la sexualisation des femmes dans les médias populaires, du cinéma et de la télévision aux publicités de mode. C’est une stratégie qui a longtemps fonctionné et que les marques se réjouissent de voir redevenir tendance.
La régression esthétique incarnée par la campagne Sweeney/American Eagle révèle ce que de nombreux critiques soupçonnaient depuis longtemps : l’adhésion des entreprises au féminisme n’a jamais été sincère.
Les campagnes vantant « l’amour de son corps », « l’émancipation » et « la confiance en soi » à la fin des années 2010 et au début des années 2020 ont été délibérément conçues pour séduire les consommateurs progressistes et tirer profit de la popularité du féminisme. Le modèle économique fondamental de ces entreprises – vendre des insécurités et engranger des profits pour leurs actionnaires – n’avait pas fondamentalement changé.
Au contraire, comme le soutiennent d’autres chercheurs, le marketing de l’amour de soi a encouragé les femmes à améliorer non seulement leur corps, mais aussi leur esprit. Il n’était plus culturellement acceptable que les femmes soient belles ; elles devaient également se sentir bien dans leur corps. Cette norme exigeait davantage d’efforts et, bien sûr, davantage de produits, que les marques se faisaient un plaisir de vendre.
Poussées par un climat politique de plus en plus conservateur, de nombreuses marques n’hésitent plus à exprimer leurs motivations. La minceur est de retour et la blancheur est à nouveau associée à la « rectitude »
Vivre le contrecoup culturel
Comme je l’ai expliqué ailleurs, nous vivons actuellement une période de contrecoup. Dans son livre publié en 1991, la journaliste Susan Faludi écrit que le contrecoup est « un phénomène récurrent qui revient chaque fois que les femmes commencent à faire des progrès vers l’égalité ».
Bien que de nombreux articles décrivent une « réaction négative » des consommateurs à la campagne Sweeney/American Eagle, je parle ici d’une réaction négative culturelle contre les mouvements sociaux et politiques progressistes. Elle se manifeste aujourd’hui dans les sphères politique, juridique et économique, et va bien au-delà d’une simple publicité.
Le contrecoup actuel vise le féminisme populaire, le mouvement Black Lives Matter, la diversité, l’inclusion et à l’équité (DEI) et les analyses systémiques incisives issues des études et du militantisme féministes, antiracistes et queer. La campagne Sweeney n’en est qu’un symptômes parmi d’autres.
Faludi a observé que « les images de femmes contraintes tapissent les murs de la culture populaire » dans les périodes de contrecoup. Cette remarque semble tristement d’actualité.
Quelques jours seulement après l’abandon de la campagne d’American Eagle, la marque SKIMS de Kim Kardashian a lancé ses « sculpt face wraps », un produit destiné à donner à celles qui les portent un menton plus « sculpté ». Les photos promotionnelles montrent des femmes emprisonnées dans des produits qui ressemblent au célèbre masque d’Hannibal Lecter ou à un appareil orthodontique. Des images particulièrement dérangeantes.
Si Faludi nous a appris quelque chose, c’est que la tendance à montrer des images de femmes contraintes — physiquement ou par des rôles rigides — ne préfigure pas seulement un avenir inquiétant : elle reflète aussi un présent alarmant, qu’il faut reconnaître pour pouvoir y résister.
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Meaghan Furlano ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.
– ref. Sydney Sweeney, American Eagle et le retour à une féminité « traditionnelle » – https://theconversation.com/sydney-sweeney-american-eagle-et-le-retour-a-une-feminite-traditionnelle-262852
