Football financiarisé : l’Olympique lyonnais, symptôme d’un modèle de multipropriété en crise

Source: The Conversation – France (in French) – By Matthieu Llorca, Maitre de conférences en économie, spécialiste des politiques économiques, Université Bourgogne Europe

La crise de l’OL illustre la multipropriété, ou « Multi-Club Ownership ». Son patron John Textor gère également les clubs Botafogo au Brésil et RWD Molenbeek en Belgique. MarcoIacobucciEpp/Shutterstock

La crise traversée par l’Olympique lyonnais (OL) n’est pas un cas isolé dans le football français et européen. Une illustration de la financiarisation du ballon rond ?


Le 9 juillet 2025, la commission d’appel de la Direction nationale du contrôle de gestion (DNCG), le « gendarme financier » du football français, a infirmé la décision de relégation de l’Olympique lyonnais (OL) en Ligue 2, initialement prononcée le 24 juin, pour cause de graves déséquilibres financiers.

Cet épisode, au-delà de son retentissement national, illustre les dérives d’un modèle de gouvernance fondé sur l’endettement et la multipropriété (Multi-Club Ownership [MCO]), aujourd’hui sous le feu des critiques dans le football européen.

Si le cas lyonnais est emblématique, il ne constitue pas une exception. Il illustre des dérives plus larges à l’œuvre dans les structures multiclubs, où se combinent opacité financière, conflits d’intérêts et atteintes potentielles à l’équité sportive.

Tendance dans le football financiarisé

La multipropriété désigne la situation où « un investisseur unique – un individu ou une personne morale – détient des parts du capital de deux (ou plusieurs) clubs », pour l’économiste Wladimir Andreff, parfois répartis sur plusieurs continents.

Longtemps marginal, ce phénomène s’est considérablement accéléré au cours de la dernière décennie : on dénombrait moins de 40 clubs concernés en 2012, contre plus de 180 en 2022 selon l’Union des associations européennes de football (UEFA), et même plus de 280 selon le Centre international d’études du sport (CIES). Le City Football Group, la galaxie Red Bull, 777 Partners, BlueCo, Eagle Football ou encore RedBird Capital figurent parmi les principales entités de cette nouvelle cartographie du football mondial.

Le modèle repose sur une logique pyramidale : détection de talents dans des clubs satellites, valorisation dans des ligues intermédiaires, puis intégration (ou revente) via un club « étendard ». À travers ces structures, les investisseurs cherchent à diversifier leurs risques, optimiser les chaînes de production de joueurs, ou conquérir de nouveaux marchés. Mais ces stratégies supposent des arbitrages qui peuvent entrer en contradiction avec l’autonomie sportive, financière et symbolique des clubs concernés.

Eagle Football Holding : une multipropriété à la gestion opaque

L’exemple de l’OL reflète bien plusieurs tensions propres à la multipropriété. En décembre 2022, l’OL est racheté pour 800 millions d’euros par l’homme d’affaires américain John Textor, via sa holding Eagle Football Holding, déjà propriétaire de Botafogo (Brésil), RWD Molenbeek (Belgique) et actionnaire de Crystal Palace (Angleterre). Le montage financier reposait sur un endettement massif à un taux insoutenable auprès du fonds de pension américain Ares Management : une première tranche de 278,1 millions d’euros à un taux de 2 à 8 % et une deuxième de 151,7 millions d’euros à un taux de 15 % (avec une clause de pénalité pouvant porter le taux à 20 %).

Ce schéma financier a rapidement fragilisé l’OL, ce qui s’est traduit par une instabilité en interne, avec la mise à l’écart du directeur général Laurent Prud’homme en avril 2025 et du directeur administratif et financier Baptiste Viprey. Dans ce système tentaculaire et pyramidal, la stratégie de John Textor a été de mutualiser les ressources sportives entre ses clubs d’Eagle Football Holding. Des transferts croisés (comme ceux de Jeffinho, Almada ou Nuamah) entre Botafogo, RWD Molenbeek et l’OL ont soulevé des soupçons de contournement des règles du marché et de manipulation des bilans.

Un phénomène comparable avait déjà été observé dans les transferts circulaires entre Chelsea et Strasbourg (groupe BlueCo), ou entre Salzbourg et Leipzig (groupe Red Bull), remettant en cause les principes de transparence sur le marché des transferts, et de compétition équitable.

Le modèle multiclub, une atteinte à l’équité sportive

La multiplication de ces montages financiers dans le football soulève une question centrale : celle de l’équité sportive. Que se passe-t-il lorsque deux clubs d’une même structure se qualifient pour une même compétition européenne ?

Conformément à sa règle « d’intégrité des compétitions », l’UEFA interdit à une même entité de contrôler ou d’exercer une influence déterminante sur plusieurs clubs engagés dans une même compétition européenne.

Un seul club par groupe de multipropriété est autorisé à participer ; celui qui dispose du coefficient UEFA le plus élevé. C’est justement ce qui s’est produit dans le cas d’Eagle Football Holding, avec l’UEFA qui autorise l’OL a participer à l’Europa League 2025/2026 au détriment du club anglais de Crystal Palace. Quelques semaines plus tôt, Drogheda United (Irlande) avait été exclu de la Ligue Conférence pour non-conformité aux nouvelles règles, en raison de sa propriété commune avec Silkeborg (Danemark).

Des solutions juridiques ont été trouvées pour contourner cet obstacle (modification des conseils d’administration, dilution des parts), comme ce fut le cas en 2023 lors de l’Europa League, pour Toulouse et l’AC Milan (fonds RedBird), ou pour Brighton et l’Union Saint-Gilloise. Mais ces ajustements soulignent aussi les limites d’un système dont les règles peinent à s’adapter aux nouvelles logiques financières du football mondial.

Le modèle multiclub questionne ainsi les conditions de l’intégrité des compétitions européennes, déjà menacées par les écarts budgétaires croissants et les stratégies de contournement des règles du mécanisme de « fair-play financier (FPF) ».

Identité club affaiblie par la multipropriété

Au-delà des enjeux financiers et réglementaires, la multipropriété influe aussi sur l’identité même des clubs. Une partie des supporters lyonnais considère que leur club a été instrumentalisé et sacrifié par Textor au profit de Botafogo.

Là encore, des parallèles existent : les débats récurrents sur la subordination du RC Strasbourg aux intérêts de Chelsea (groupe BlueCo) ou sur le statut du Girona FC dans la galaxie du City Football Group montrent que les supporters s’interrogent sur la place réelle de leur club dans les stratégies globales de la multipropriété.

Le modèle Red Bull (avec Leipzig et Salzbourg), tout en affichant de bons résultats sportifs et économiques, est souvent critiqué pour sa standardisation des identités visuelles, sa logique purement marketing et son effacement des spécificités locales.

Redresser la barre

Sous la direction de Michele Kang, nouvelle présidente de l’OL depuis juin 2025, le club tente de redresser la barre : réduction de la masse salariale, limitation des transferts, discipline budgétaire, nouvelles garanties bancaires. Mais les conséquences de la multipropriété continuent de peser sur le club, placé sous haute surveillance par l’UEFA en raison de ses dérapages financiers. L’Instance de contrôle financier des clubs (ICFC) de l’UEFA a d’ailleurs sanctionné le club d’une amende de 50 millions d’euros (dont 12,5 millions d’euros ferme payable en deux fois et 37,5 millions d’euros en sursis, conditionnés aux respects des objectifs financiers exigés par l’UEFA).

Le cas de l’OL, loin d’être isolé dans le football européen, révèle ainsi les tensions internes du modèle multiclub : entre diversification financière et perte d’autonomie, entre promesses de synergies et réalités opaques.

The Conversation

Matthieu Llorca ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d’une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n’a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

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