Acquittement des hockeyeurs : le système judiciaire est inhospitalier aux victimes d’agression sexuelle. Il faut trouver d’autres façons de les soutenir

Source: The Conversation – in French – By Rachel Chagnon, Doyenne Faculté de science politique et de droit, spécialiste de l’analyse féministe du droit, droit à l’égalité et lutte aux violences sexospécifiques, Université du Québec à Montréal (UQAM)

Le 24 juillet, cinq joueurs de l’équipe junior de Hockey Canada ont été acquittés d’agression sexuelle.

Cette affaire, emblématique d’un scandale plus large sur la culture de silence au sein de l’organisation, a ravivé un profond malaise. Malgré #moiaussi et des réformes judiciaires, plusieurs ont l’impression que la justice échappe encore aux victimes.

Le jugement R. C. McLeod est tombé comme une onde de choc. Il marque la fin d’un procès très suivi, mais il s’inscrit surtout dans conversation sociale plus vaste : celle sur la capacité du système judiciaire à rendre justice aux victimes de violences à caractère sexuel (VACS). Pour plusieurs, la juge Maria Carroccia a échoué à démontrer que la justice peut agir équitablement à leur égard. Or, s’agit-il d’une « mauvaise » décision ou de la démonstration des limites structurelles du droit criminel dans son application actuelle ?

Juriste de formation, je m’intéresse depuis plusieurs années au traitement juridique des victimes de VACS et de violences conjugales par le système judiciaire. À titre de professeure à l’UQAM j’ai, avec d’autres collègues, documenté l’évolution du système de justice au cours des dernières années, particulièrement depuis la déferlante de #moiaussi en 2017.

Des réformes, mais peu de changements concrets

Historiquement, la justice canadienne n’a pas été très portée à défendre adéquatement ces victimes en particulier et les femmes en général. Des ouvrages comme Sexual Assault in Canada, un collectif dirigé par Elizabeth Sheehy, nous rappellent d’ailleurs à quel point les femmes reviennent de loin dans leur face à face avec le système judiciaire.

La défiance des personnes soutenant les victimes de VACS à l’égard du système a donc des racines profondes, bien alimentées par des décennies de sexisme ordinaire.

On tente pourtant depuis quelques années d’améliorer le système à l’égard des victimes. Dorénavant, le droit criminel encadre très strictement l’accès au passé sexuel des victimes, les victimes ont accès à un avocat, etc. Toutefois, plusieurs doutent des effets réels de ces mesures dans les salles d’audience.

On pourrait croire que la juge Carroccia leur donne raison. Sa décision, où elle indique que le témoignage de la plaignante n’était « ni crédible ni fiable », peut sembler très sévère. On peut même penser que les mesures mises en place afin de rendre la justice moins hostile aux victimes n’ont pas vraiment d’impact sur le sort qu’on finit par leur réserver.

On pourrait argumenter ici que la plaignante n’est pas une « vraie » victime, puisque sa version des faits n’a pas convaincu. Et c’est précisément là que se révèlent les limites du système. La juge n’a pas tranché quant à savoir si la plaignante a bel et bien été victime d’agression sexuelle. Elle a essentiellement statué sur la capacité de la plaignante à la convaincre de ce fait au-delà de tout doute raisonnable, c’est-à-dire à un seuil où aucun doute sérieux et rationnel ne subsiste quant à la culpabilité des accusés.

Cela dit, la décision de la juge n’a pas seulement comme impact d’acquitter cinq hommes d’agression sexuelle, elle remet aussi en cause le statut de victime de la plaignante et, de ce fait, peut potentiellement décourager d’autres victimes de porter plainte.

Une justice de gagnants et de perdants

Le système criminel repose sur un modèle contradictoire, où deux parties s’affrontent – la poursuite et la défense – chacune tentant de faire triompher sa version. Cela produit inévitablement des « gagnants » et des « perdants ».

Bien que les médias aient adopté un ton relativement nuancé dans leur couverture du procès, on constate rapidement que la plaignante est décriée pour « son manque de fiabilité », tandis que l’accent est mis sur la souffrance des accusés et les « dommages » qui leur avaient été faits. Ils ont gagné, donc, elle mentait. Les subtilités propres au droit criminel se perdent dans le résultat final qui, lui, tranche dans le vif. Finalement, ce ne sont pas les nuances apportées par la juge dans sa décision de près de 90 pages qui marquent les esprits, mais bien l’acquittement.

Et pourtant, la réalité est plus complexe. Ils étaient cinq et elle était seule. Comment prendre en compte les dynamiques de pouvoir dans ce qui peut paraître, de l’extérieur, un consentement librement donné ? Peut-être la plaignante voulait-elle vraiment passer une nuit avec cinq hommes. Peut-être les regrets sont-ils venus après coup. Mais il est tout aussi possible que ce qui est arrivé dans cette chambre d’hôtel n’ait pas été pas consensuel.

Pensons aussi au contexte particulier du hockey d’élite au Canada, marqué par une culture de hiérarchie, de virilité et de tolérance envers les écarts de conduite de ses joueurs. En 2018, Hockey Canada a versé trois millions de dollars à la plaignante à même un fonds secret, alimenté en partie par les cotisations des parents. Ce geste a d’ailleurs déclenché une profonde crise de confiance envers l’organisation.

Ce contexte, tout en zones d’ombre, tranche avec la clarté de la décision et laisse un malaise.

Repenser la justice pour ne pas perdre les victimes

On ne peut donc pas blâmer les victimes de VACS d’hésiter avant de s’engager dans un système qui risque de les stigmatiser une seconde fois et ce, malgré toutes les précautions prises pour tenter d’alléger leur parcours.

Le système est naturellement inhospitalier aux victimes. Pensons aux règles de preuve très strictes, aux contre-interrogatoires éprouvants, aux longues procédures publiques et à l’exigence du doute raisonnable, qui placent une lourde charge sur leurs épaules. À moins de trouver un autre système, il y a peu de choses à faire.

Changer n’est pas non plus une option si attrayante. Après plus de 500 ans d’existence, la justice criminelle, comme système de régulation des comportements sociaux, a fait ses preuves. Si aujourd’hui les sociétés libérales telles que la nôtre sont aussi sécuritaires, c’est entre autres grâce à elle.

Il nous faut donc sortir des sentiers battus et envisager d’autres façons de soutenir les victimes de VACS et de leur procurer un sentiment de justice. Soyons optimistes, plusieurs trouvent leur compte dans le système actuel et obtiennent ce qu’elles étaient venues y chercher. Mais il ne faut pas laisser les autres de côté. Des solutions existent. Trouvons-les.

La Conversation Canada

Rachel Chagnon a reçu des financements du Ministère de la Justice du Québec et du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada

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